Histoire des batailles, bataille pour l’Histoire

Présentation de livre publié le 15/01/16 0:21 dans Histoire de Bretagne par Rémi De Kersauson pour Rémi De Kersauson
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11 batailles qui ont fait la Bretagne

Mercredi 13 janvier à 18H, trois des auteurs de « 11 Batailles qui ont fait la Bretagne » ont présenté cet ouvrage devant une quarantaine de personnes au Café de la Librairie Dialogues à Brest. Yves Coativy a introduit la rencontre en faisant un rapide balayage historique expliquant la relative pauvreté, jusqu’à aujourd’hui, de « l’histoire bataille » en France, notamment par rapport à la Grande-Bretagne. Par la suite, chacun a exposé sa propre contribution.

Yves Coativy, historien spécialiste de la Bretagne ducale, a traité de la Bataille de Ballon, en une petite dizaine de pages. Soulignant l’absence de sources, il a pointé du doigt une confusion entretenue dans les mémoires, entre la bataille de Ballon, évènement relativement obscur de 845, et la bataille de Jengland-Beslé en 851 où des documents attestent de la débandade de Charles Le Chauve, roi des Francs.

Youenn Le Prat, agrégé d’histoire, est l’auteur de quarante pages sur la bataille de Quiberon. Il conclut que cet évènement est peu présent dans les mémoires régionales si ce n’est, dans une zone limitée à Vannes ou au Morbihan et parmi les héritiers culturels du courant réactionnaire qui en fait, depuis, le reproche. Il a illustré ce courant par son expérience à l’Ecole Navale, ce qui explique peut-être également pourquoi il enseigne à présent au lycée Kerichen.

Jean-Christophe Fichou, professeur d’histoire en classes préparatoires, décrit en 34 pages la bataille des fusiliers marins de l’Amiral Ronarc’h de fin 1914 à Dixmude comme une bataille bretonne. Il s’est présenté, non sans une pointe d’humour, comme un « spécialiste de la sardine à l’huile » ce qui est cohérent avec son œuvre, très impressionnante par ailleurs, sur les Phares, les marins pêcheurs et les sardineries en Bretagne. Il a expliqué le poids, selon lui, de cette bataille dans les consciences bretonnes par le grand nombre de rues ou d’édifices portant les noms Dixmude ou Amiral Ronarc’h.

Cette rencontre avec trois historiens compétents, auteurs de contributions rigoureuses, intéressantes prises une par une, a cependant confirmé les interrogations que peut susciter le résultat d’ensemble.

« Faire la Bretagne », c’est quoi ?

C’est la question que le lecteur est tenté de se poser. On reste perplexe sur le choix de certaines batailles qui « ont fait la Bretagne ». La bataille de Rome contre les Vénètes c’est la guerre des Gaules. Peut-elle être la « première bataille connue de l’Histoire de la Bretagne » quand on écrit juste après « on ne parle pas encore de Bretagne mais d’Armorique » ? La quatrième bataille est celle qui a défait la Bretagne dans la mesure où la défaite de Saint-Aubin-du-Cormier marque la fin de l’indépendance bretonne. Enfin, les trois batailles du 20ème siècle sont celles d’une Bretagne telle qu’elle a été faite par la France sans que l’on puisse dire si elle en tire une quelconque reconnaissance en tant que région.

En se plaçant sous l’angle de la construction d’une « mémoire identitaire » bretonne au sein de l’ensemble français, les constats sont similaires. La réalité historique sur la bataille de Ballon sert à pointer du doigt l’imprécision d’un mythe entretenu par les nationalistes et les régionalistes. Le combat de Camaret se conclut par « Que reste-t-il aujourd’hui de l’affaire de Camaret dans la mémoire collective ? Peu de choses à vrai dire ». Pour Dixmude, l’auteur a expliqué que c’est la Marine qui a mis l’évènement en avant, pour « compenser » son faible nombre de morts lors de la première guerre mondiale. Mais en ce qui concerne l’influence des noms de rues sur la mémoire collective, il convient sans doute de se demander qui, à part l’historien, s’interroge vraiment sur ce qu’il y a derrière un nom sur une plaque. Le fait que les morts d’une bataille soient majoritairement bretons en fait-il une « bataille bretonne » ? Heureusement, le chapitre sur Saint-Aubin du Cormier, dont la récupération par les nationalistes fait l’objet d’un long développement, se termine sur un presque optimiste « on peut penser toutefois que la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier demeure une référence importante ».

Lors de la rencontre du 13 janvier, Yves Coativy a observé qu’il aurait préféré traiter une bataille avec plus de sources à disposition. Jean-Christophe Fichou s’est affirmé non spécialiste mais a traité Dixmude « parce qu’il fallait à tout prix une onzième bataille ». Youenn Le Prat et Yves Coativy ont montré une distance vis-à-vis d’un titre choisi « surtout pour l’aspect vendeur » et pour faire le lien avec une précédente publication de Dominique Le Page : « 11 questions d’histoires qui ont fait la Bretagne (2009) ». Au bilan, on se perd un peu en conjectures sur les motivations des auteurs et sur l’objectif de l’ensemble constitué par l’ouvrage. Peut-être faut-il y voir une tentative de se raccrocher à la mode de l’histoire bataille mais sans forcément avoir le savoir-faire d’un John Keegan (1).

Une conclusion discutable

Le livre se termine sur le maquis de Saint-Marcel. La fin de l’introduction met en avant une opinion bretonne peu sensible à lecture régionaliste des évènements et une fréquentation jugée importante du musée de la résistance de Saint-Marcel. L’auteur en conclut que « les populations gardent en mémoire les « batailles » qui lui paraissent les plus significatives et qui lui permettent le mieux d’affronter l’avenir ». Sur l’histoire et sur la production d’ouvrages historiques il serait présomptueux d’imaginer discuter de la compétence de Dominique Le Page. Mais une telle affirmation ne peut que susciter des avis contrastés.

On peut aussi, voire surtout, conclure du livre que les populations ont en mémoire les batailles qu’on leur inculque, notamment pour celles dont l’ancienneté ne permet la transmission de masse que par l’Histoire. Il met, sans doute involontairement, en exergue le problème de l’absence d’enseignement de l’Histoire de Bretagne. Certes, il montre une distance vis-à-vis d’une lecture nationaliste, autonomiste ou régionaliste des évènements. Mais faut-il attendre autre chose d’une publication dont plusieurs auteurs sont membres du Centre de Recherche Bretonne et Celtique, organisme dont le financement se fait à partir de fonds publics ? En abordant, même de manière critique, certaines batailles du passé, l’ouvrage participe également à leur remémoration. Par exemple, critiquer Ballon n’est pas nier Jengland-Beslé. C’est sans doute mieux que de ne pas en parler du tout ou d’en laisser le récit à une tendance politique, pour le moment, minoritaire et la commémoration à des groupuscules souvent inaudibles et, parfois, défavorablement perçus. Cela laisse aux Bretons la liberté de s’en servir, ou pas, pour revitaliser un « Récit National » ou un « Récit Régional ».

(1) Anatomie de la Bataille – John Keegan – 1993

« 11 batailles qui ont fait la Bretagne »

Sous la direction de Dominique Le Page.

Editions Skol Vreizh

Parution : mai 2015.

362 pages.


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