Le jacobinisme se donne à voir comme une conviction. Le sens du mot a évolué depuis que s'était installé dans ce couvent le Club breton, qui n'était plus ouvert qu'aux Bretons et qui en a tiré son nouveau nom. Je retiens ici le sens contemporain d'adversaire de la décentralisation et militant de l'uniformité culturelle française.
Les militants du mouvement breton se sont longtemps contentés de cette vision quasi-philosophique d'un «héritage de la Révolution», quitte à discourir sur ses méfaits.
Cette vision, il nous faut aujourd'hui l'enrichir pour mieux en comprendre l'histoire et la réalité.
Le jacobinisme n'est pas un héritage de la Révolution, très décentralisatrice et même officiellement fédéraliste jusqu'à sa confiscation rapide par les courants centralisateurs franciliens.
C'est ainsi que les préparatifs la Fête de la Fédération décidée pour le 14 juillet 1790 déclenchèrent un vent de panique dans les courants «jacobins» de la capitale, qui voyaient se profiler le spectre d'une organisation politique du territoire favorisant les échanges entre collectivités et des initiatives locales concertées échappant au contrôle de Paris. On s'empressa de refroidir une aussi «dangereuse» créativité et de privilégier l'aspect commémoratif et festif1.
Il faut donc inverser la perspective qui fait du jacobinisme une tradition «républicaine» héritée de la Révolution. Républicaine à la française, sûrement, mais pas «révolutionnaire». C'est la confiscation de la Révolution par les jacobins qui a donné naissance à la forme de République centralisatrice que nous connaissons et à l'idéologie qui l'accompagne et la protège.
C'est probablement l'entrepreneur francilien Pierre Dupont, de Nemours2, qui a théorisé le plus clairement les raisons et moyens d'organiser la France autour d'un Paris détaché de toute dépendance envers une collectivité locale - et assurant de plus ainsi la sécurité de ses approvisionnements et débouchés - dans une longue intervention devant l'Assemblée constituante le 5 novembre 1789 (Cliquer en fin d'article sur le lien vers les Archives parlementaires à cette date, pages 692 et suivantes). L'Assemblée, largement influencée par les élus franciliens, a adopté ces propositions qui ne prolongeaient pas vraiment les aspirations révolutionnaires qui avaient mobilisé les provinces. C'était l'apparition d'une conception de la capitale qui a traversé siècles et régimes jusqu'aux actuels projets pharaoniques du Grand Paris.
Faire de Paris le cœur de la France, sa tête et son portefeuille et assurer la pérennité de cette construction, la centralisation régalienne de la monarchie n'avait pas poussé les choses aussi loin ! Les Napoléon, la Restauration et les Républiques ont complété le dispositif en centralisant d'autant plus les transports qu'ils devenaient plus rapides, et en assurant ainsi à la région parisienne un énorme avantage concurrentiel, telle est la traduction économique du projet jacobin, dont on comprend qu'il ne peut prospérer que dans une France asservie, localement encadrée par des fonctionnaires d'État et des amis politiques jacobins.
De là découlent tout naturellement les découpages territoriaux, la gestion par l'État des ressources locales (fiscalité / dotations), la diabolisation de la diversité, la centralisation inouïe de outils et moyens de la culture, la maîtrise de l'information à travers les média publics ou subventionnés, le contrôle de la vie politique locale par des amis politiques (qui peuvent au demeurant être dévoués et compétents, c'est même mieux), le monopole de vitesse donné aux liaisons avec Paris, le déclassement et l'abandon programmé des liaisons transversales, etc....
Il ne faut pas pour les tenants de cet avatar de la colonisation que les régions puissent trouver dans leur cohérence, leur histoire, leur culture et leurs liens internes ou entre elles les moyens de concevoir et de développer des projets dont elles auraient la maîtrise, et contrarier ainsi la suprématie politique, économique, culturelle et autre de la capitale et de la région qui l'abrite.
Les conséquences financières de ces choix débouchent sur une connivence intéressée - et génératrice de nombreux scandales - entre les directions des partis jacobins et les bénéficiaires des hauts revenus générés par la centralisation (dividendes hors normes, hautes rémunérations attachées aux fonctions de direction...), que celle-ci alimente et protège, jusque dans l'évasion fiscale légale ou tolérée de fait. Elles causent d'énormes inégalités qui précarisent les entreprises excentrées et sont de puissants facteurs de destructions d'emplois.
C'est dans la mesure où les populations prendront conscience de ces réalités du jacobinisme qu'elles pourront partager plus activement - notamment lors des élections - les revendications de décentralisation ou d'autonomie, de réunification et même de réelle reconnaissance culturelle.
Veillons à la bonne information de nos concitoyens, en commençant par partager.
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(1) - Voir «Paris accapareur : pour une déparisianisation de la Révolution française», dossier publié pour le bicentenaire de la Révolution par Wolfgang Geiger, historien allemand qui a fait ses études de doctorat à Nantes (Editions Ar Falz, 1989).
(2) - dit Dupont de Nemours, fondateur de la dynastie industrielle bien connue installée avec sa participation par son fils aux États-Unis.
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