1373-1379, une Bretagne sans duc. Pendant six ans, le duché de Bretagne ne fut pas gouverné par son souverain, mais par Bertrand du Guesclin, connétable de France, c'est-à-dire chef des armées du roi de France, armées composées alors essentiellement de troupes bretonnes.
Jean IV, duc de Bretagne en 1364, ne fut jamais accepté par l'aristocratie militaire bretonne. Il est vrai qu'il n'était monté sur le trône breton qu'après sa victoire à la bataille d'Auray (29 septembre 1364), victoire remportée grâce à ses alliés anglais. De nombreux Bretons qui soutenaient Jeanne de Penthièvre, pour eux la vraie duchesse de Bretagne, y avaient trouvé la mort. D'autres y avaient été faits prisonniers, comme Du Guesclin. Beaucoup s'exilèrent et devinrent de redoutables mercenaires. Du Guesclin, libéré, devint leur chef et avec eux permit à Henri de Trastamare de devenir roi de Castille. Récompensés en or, en terres et en châteaux en Espagne, ils étaient alors considérés comme les meilleurs guerriers de l'Europe occidentale. Le gendre de Jeanne de Penthièvre, le duc d'Anjou, frère cadet du roi de France, vint les chercher pour chasser les Anglais du royaume de France. Leur chef, Du Guesclin, obtint l'épée de Connétable de France (2 octobre 1370).
Depuis son avènement, Jean IV n'était pas parvenu à s'imposer dans son duché. Très endetté envers le roi d'Angleterre, il avait laissé l'administration de son duché et donc de ses revenus aux Anglais. Bécherel, Brest, Derval étaient alors occupées par eux. Rien ne s'arrangea pour le duc lorsque les Bretons de Jeanne de Penthièvre et Du Guesclin revinrent en France et même en Bretagne, et surtout lorsque son champion, Olivier de Clisson, décida de s'allier à Du Guesclin. En juin 1372, Jean IV finit par renoncer à l'alliance anglaise. Lorsqu'en mars 1373, le comte de Salisbury, avec un fort contingent anglais, débarqua à Saint-Malo, le duc, accusé d'avoir trahi ses engagements, s'enfuit de Vannes, et traversant la Bretagne s'embarqua à Brest pour l'Angleterre.
Du Guesclin agit alors en lieu et place du duc de Bretagne. Il passa 47 mois, entre 1373 et 1376, en Bretagne et en Normandie, administrant ces deux régions dont il était originaire de la place de Pontorson que le roi de France lui avait donné pour base. Comme le montrent les actes de Du Guesclin, il s'occupa de différents établissements religieux, de fournir des lettres de pardon à des Bretons et de lever des subsides dans toute la Bretagne. Il distribua des forteresses ducales à ses hommes d'armes bretons. Du Guesclin était assisté par trois grands féodaux bretons : le vicomte de Rohan, nommé son lieutenant en Bretagne bretonnante en 1374 ; Olivier de Clisson, seigneur de Blain, de Josselin et de Clisson, et le sire de Laval et de Vitré, cousin de son épouse. Son système permit de faire face aux tentatives de retour de Jean IV, non seulement en avril 1375 où le duc réussit à prendre au piège Olivier de Clisson qui fut sauvé d'extrême justesse par la trêve de Bruges (25 juin) et mais aussi en 1377, intervention qui fut un échec retentissant et si ruineux pour le duc qu'il dut vendre Brest au roi d'Angleterre.
Mais coup de théâtre, le 18 décembre 1378, le roi de France décida d'annexer la Bretagne à son royaume mettant fin au système Du Guesclin. La mort de son principal conseiller, Guillaume de Melun, archevêque de Sens, en mai 1376, laissa la place à des gens comme Bureau de Rivière qui n'aimait guère Du Guesclin et ses constantes et parfois violentes réclamations au Trésor royal et qui de surcroît s'opposaient aux grands féodaux dont Du Guesclin était proche. A partir de cette année, les mandements royaux concernant la Bretagne se multiplièrent. Le roi prit à son service des capitaines bretons, s'attachant sans intermédiaire des hommes de son Connétable, les dévoyant par des cadeaux et la garde de châteaux.
Les 26 et 27 avril 1379 se forma l'Association ou Ligue de la noblesse opposée à la volonté royale. Sur les 66 ligueurs connus, 34 avaient été sous le commandement de Du Guesclin. Tous étaient les vassaux directs de Jeanne de Penthièvre, toujours duchesse de Bretagne en titre, qui n'apprécia pas d'être dépossédée de ses droits. Les ligueurs envoyèrent une ambassade en Angleterre auprès de Jean IV qui fut d'abord incrédule en voyant ses anciens adversaires lui demander de revenir. Il fallut une seconde ambassade pour qu'il se décide à embarquer pour la Bretagne, et encore en sachant qu'une escadre anglaise le suivait. Le duc débarqua près de Saint-Malo à Saint-Servan le 3 août 1379 et traversa rapidement le duché vers le Sud. Du Guesclin, qui était à Dol, ne fit rien pour l'arrêter. Ses alliés, amis et hommes d'armes, qui étaient payés par le Trésor royal pour garder les places fortes bretonnes, non loin de là (Léhon, Saint-Malo, La Roche-Guyon), l'imitèrent.
Devant l'obstination du roi de France qui convoqua à Paris pour les réprimander Du Guesclin, le vicomte de Rohan, Olivier de Clisson et le duc d'Anjou, l'Association nomma quatre maréchaux, Amaury de Fontenay, Etienne Goyon, Eustache de La Houssaie et Geoffroy de Kérimel, qui devaient défendre par tous les moyens les droits du duché. La situation devint dramatique lorsque le roi de France fit lever une armée, armée où l'on trouve beaucoup de Bretons proches de Du Guesclin, pour envahir la Bretagne et les soumettre. Le duc d'Anjou concentra une armée à Pontaubault, mais il fut rappelé à Paris car Montpellier s'était rebellée le 25 octobre 1379. L'armée royale fut alors licenciée le 18 novembre.
Jean IV fut restauré duc de Bretagne par le second traité de Guérande (15 janviers 1381). Charles V était mort (16 septembre 1380) laissant un fils mineur. Du Guesclin, qui aurait menacé de rendre son épée de connétable, était mort lui aussi lors du siège de Châteauneuf-de-Randon le 13 juillet 1380.
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