Hersart de La Villemarqué, pourquoi tant de haine ?

Chronique publié le 20/11/15 9:58 dans Cultures par Jacques-Yves Le Touze pour JYLT
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Théodore Hersart de la Villemarqué, 1884, par Évariste-Vital Luminaise

Le CRBC organisait en fin de semaine dernière deux jours de colloque au Manoir de Kernault autour de la figure de Théodore Hersart de La Villemarqué à l'occasion du bicentenaire de sa naissance.

Les divers intervenants ont tenté avec succès de cerner la personnalité de l'auteur du Barzaz Breiz en abordant son environnement familial, ses engagements politiques, ses réseaux, ses liens avec le Pays de Galles, ses différents ouvrages.

Deux journées particulièrement éclairantes et qui m'ont permis de mieux comprendre les polémiques très violentes dont La Villemarqué fut l'objet pendant des décennies et même pendant près d'un siècle. Rappelons qu'assez rapidement, La Villemarqué fut accusé d'avoir inventé les textes du Barzaz Breiz, polémique qui allait durer jusqu'à ce que Donatien Laurent étudie les cahiers de collectage conservés dans la famille La Villemarqué et établisse la véracité du collectage effectué par Théodore Hersart.

Pourquoi donc tant de haine envers le Barzaz Breiz et La Villemarqué ?

C'est au fil des différentes interventions et aussi des remarques et questions du public que je me suis fait une idée assez précise des raisons qui ont poussé certains, pendant près d'un siècle, à vouloir absolument détruire ce personnage et son oeuvre.

On peut finalement dire que le Barzaz Breiz est un peu l'arbre (très gros arbre !) qui cache la forêt des actions de La Villemarqué qui ont influencé la Bretagne et sa culture jusqu'à aujourd'hui.

L'interceltisme

En participant à l'Eisteddfod d'Abergavenny en 1838 au Pays de Galles, La Villemarqué pose ce que l'on pourrait appeler la première pierre des relations interceltiques des temps modernes, relations qui ne cesseront de se développer jusqu'à aujourd'hui. Alors bien entendu, en cette période de romantisme qui marque la première moitié du XIXe siècle, la vision développée par La Villemarqué et ses collègues nous paraît empreinte de rêves et de brumes bien éloignés de la réalité mais il n'en reste pas moins que La Villemarqué est l'un sinon le fondateur de l'interceltisme.

La langue bretonne

Jusque là, je n'avais pas trop fait attention aux liens profonds entre La Villemarqué et Jean-François Le Gonidec, le grand linguiste. C'est en s'appuyant sur les travaux de Le Gonidec que La Villemarqué va tenter d'imposer une réforme orthographique de la langue bretonne ainsi qu'un travail sur le vocabulaire en s'inspirant de l'exemple gallois. Avec plus ou de moins de succès, La Villemarqué sera pendant des décennies le porte-parole de la modernisation linguistique bretonne par volonté de sortir la langue bretonne de l'état dans lequel elle lui semblait se complaire. Cette volonté sera reprise par d'autres durant le siècle qui suivra et provoquera des débats sans fin assez violents jusqu'à la fin des années 1990.

Le réveil des nationalités

Le XIXe siècle a été marqué par ce que l'on nomme le réveil des nationalités avec le retour sur la scène européenne de peuples qui jusque là avaient disparu, enfermés et étouffés par les empires, royaumes et autres républiques, Tchèques, Écossais, Croates, Irlandais, Baltes, ce sont des intellectuels, des artistes, des écrivains, des musiciens qui remettent à l'honneur leur propre culture en tentant de la mettre au niveau des grandes cultures européennes dominantes. C'est dans ce contexte européen que l'on peut replacer La Villemarqué et ses amis. Grâce à leur travail et à leurs oeuvres, la Bretagne a retrouvé sa place sur la carte européenne. Même si la dimension politique en Bretagne aura pris moins d'importance qu'ailleurs tout au moins dans l'immédiat, le résultat fut que la Bretagne, sa culture et sa langue, retrouvèrent une nouvelle jeunesse aux yeux des intellectuels européens.

Critiquer le Barzaz Breiz pour affaiblir La Villemarqué

La violence des attaques contre le Barzaz Breiz peut s'expliquer bien entendu par diverses raisons, notamment du fait de fortes inimitiés personnelles, des problèmes d'ego, etc. Mais le fait que ces attaques continuèrent longtemps après la disparition de La Villemarqué m'amènent à penser que le sujet véritable n'est pas le Barzaz Breiz en tant que tel. L'inimitié, la haine, les attaques développées contre La Villemarqué portent en fait sur son rôle joué à travers ses oeuvres, ses actions pour la renaissance de la Bretagne, de sa culture et de sa langue.

On a voulu l'enfermer dans des accusations de menteur, affabulateur, réactionnaire mais rien n'y a fait. Grâce à son travail et à celui de ses amis, la Bretagne a pu retrouver sa place au sein des cultures européennes, au grand désespoir sans doute de ceux qui auraient voulu (voudraient) confiner la Bretagne au rôle de province quelque peu folklorique.

PS : juste deux points. Il a été question à plusieurs reprises d'Auguste Brizeux et il m'a semblé que son rôle a été sous-estimé jusqu'à présent ; il serait intéressant de revenir sur ce personnage à l'occasion d'un prochain colloque. Enfin c'est l'occasion de souligner le travail extraordinaire de Fañch Postic, depuis 25 ans cheville ouvrière de Kernault, membre du CRBC et du CNRS.


Vos commentaires :
Lundi 6 mai 2024
Bonjour
je ne suis pas Breton, mais j'aime la Bretagne et cet article m'a bien éclairé sur le sujet et ce livre que je m'apprêtais à acheter dans une édition ancienne par bibliophilie orientée en fait , j'aime beaucoup la littérature, poésie, Bretonne, et l'article est très bien pour faire la part des choses. merci
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