Alan STIVELL "AMzer" et INTERVIEW

Communiqué de presse publié le 8/11/15 14:19 dans musique par Gérard Simon pour Gérard Simon
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Jaquette du CD Amzer - Alan Stivell
"New'Amzer - Spring" - Alan STIVELL CD Amzer

« Amzer » est le reflet d'une 50ème saison d'explorations musicales.

Dans ce 24ème opus, Alan Stivell côtoie, avec douceur, les sanctuaires de la « zenitude ». Ça commence tel un printemps celte qui s'éveille dès les lueurs du soleil levant. Le Japon en toile de fond, c'est une ode à l'harmonie entre l'Occident et l'Orient. L'artiste avance, à pas délicats, vers ces lieux de recueillement pour nous raconter une histoire… Celle des hommes, celle de Mère nature.

« Le peintre doit tendre à l'universalité ». Voilà ce qu'écrivait Léonard de Vinci. Le pionnier de la « Renaissance de la harpe celtique » ne s'y trompe pas en enluminant de mille couleurs le tableau de sa sérénité.

« Amzer » brille encore par sa qualité sonore rare, proprement cinématographique. Alan Stivell, toujours avide d'innovations, nous ouvre les portes d'un monde en plusieurs dimensions. L'art du « sound design » apparaît comme la quête d'un nouveau Graal. Dès que le printemps revient, c'est un son cristallin qui émane de sa harpe avec « New'Amzer – Spring ». Ce poème de Kentin Bleuzen, ancien élève de l'école Diwan, a inspiré le harper hero. Un univers sonore si imagé, que seul la caméra manque à l'appel. Il n'est pas anodin que ce titre ait bénéficié de la réalisation d'un clip vidéo.

Dans ce contexte, Alan Stivell, cet inlassable créateur, n'hésite pas à redéfinir son style musical actuel par « musique transversale et fusion Celtique ». Il tente de nous guider vers une nouvelle voie, encore plus authentique, plus proche de ses aspirations et de ses expérimentations. Une marche vers le 3ème millénaire !

12 titres, comme 12 mois de « climats stivelliens ». Sublimé par cette révolution électro, cet album baigne dans une ambiance fantastique. Le temps semble s'arrêter au pays de l'éternelle jeunesse. Le Tir Na Nog se dévoile au coeur d'une brume évanescente à l'instar de ces jardins japonais où l'on déclame ces délicieux Haïkus. Inspirés par l'½uvre des poètes Kobayashi Issa, Yosa Buson, Matsu Basho, la suite « Other times-Amzerioù all », « Matin de printemps-Hesa no haru » et « Mintin new'hañv » nous permet de découvrir cet art romantique, concis, exquis et percutant. Les voix de Toshiko Dhotel, de Maliko Oka apportent à ces interprétations une légitimité certaine. Oui, les temps changent ! A l'heure d'un monde déréglé et violent, la réponse d'Alan Stivell est celle de la poésie, celle de l'apaisement. Une poésie qui ne connaît pas de frontières et qui par les phrasés de l'auteur irlandais Séamus Heaney, prix Nobel de littérature, nous parle aussi de la beauté de l'automne dans « Postscript ».

C'est sans compter la participation de poètes très appréciés par l'artiste avec « Purple Moon » écrit par Laurent Bourdelas et « Au plus près des limites - Je marcherai » (An Tostañ d'an harzoù – Nearby the bounds) de Bruno Geneste qui est, notamment, interprété par la chanteuse Grainne O'Malley. Une autre suite, celles des mois sombres, occupe une place considérable dans l'ouvrage : « Hala-Goañv – Calendes d'hiver », « What could I do ? », un hommage à Samuel Beckett et « Herzu-December ». Par ses sonorités, elle marque un nouveau cycle plus monotone… là où la nature se repose.

Mention spéciale pour la magnifique jaquette du disque titrée « Ballmap ». Elle est signée Jérémie Brunet. En toute subjectivité, voici qu'apparaissent ces dégradés de bleu et blanc hypnotisant, semblables à ceux d'un globe terrestre et dont les continents seraient ces belles dentelles ciselées. Une planète au milieu d'une galaxie aux motifs celtiques. De quoi en faire pâlir « L'homme de Vitruve », resté enfermé dans sa bulle. Ici, on parle avec un accent futuriste, d'atomes de musiques en fusion, d'explorations intérieures et extérieures, vers les racines… et vers l'avenir. Un petit pas pour l'homme, un grand pas pour ce chantre à la voix lactée !

Alan Stivell nous appelle à la contemplation, à l'écoute des chants d'oiseaux, de cette nature qui reprend enfin ses droits. C'est une nouvelle symphonie de Celtie qui marque indiscutablement le retour des beaux jours. Un album indispensable à votre discothèque.

Xavier DANIEL

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L'interview :

Afin d'éclairer, plus encore, son article, Xavier DANIEL a posé quelques questions à notre «Harper hero».

«Culture et celtie, le MAGazine...» remercie, chaleureusement, Monsieur Alan STIVELL d'avoir bien voulu nous accorder cette interview.

Xavier DANIEL : Bonjour cher Alan Stivell,

Je tenais sincèrement à vous remercier, ainsi que votre équipe de promotion, pour nous avoir adressé votre nouvel album « AMzer ». Je suis très honoré que vous acceptiez de répondre à cette interview.

J'ai écouté « AMzer » avec beaucoup d'attention et je souhaiterais, à la fois, vous poser des questions sur cet album, ainsi que sur votre vision actuelle de la musique celtique.

Dans « AMzer », vous évoquez la notion de « temps »...

Qu'avez-vous souhaité exprimer au travers de ce thème ? Vous évoquez, notamment, « le passé immémorial ». Quelle signification cela a pour vous ?

ALAN STIVELL : s'arrêter, un instant, sur des chiffres : 24 albums comme les 24 heures d'un jour, 50 ans de « carrière », amène, forcément, à porter un regard sur ces années passées, comme on regarde un paysage. Mais le regard s'échappe facilement vers l'horizon d'un passé presque infini, celui des origines. Tout ça porte, en tous cas, à l'inspiration du temps qui passe et du temps qu'il fait, puisqu'en Breton, comme en Français et contrairement aux autres langues celtiques, le mot « Amzer » joint les deux concepts.

X.D. : L'électro est présent dans votre musique. Quelle est votre approche de ce courant musical ?

Quelles sont, par exemple, vos influences musicales électro ? Quels ingrédients de l'électro avez-vous utilisés dans cet album ?

A. S. : J'ai, toujours, été curieux de toutes les musiques. Mais je dois rappeler que la Science-fiction et l'Anticipation m'ont conquis encore plus tôt que la Culture celtique, dès l'âge de sept ans. Et rappelons que la musique classique contemporaine a été, à peu près, contemporaine, justement de ma vie, puisque ses formes les plus innovantes ont été développées à partir de la fin de la guerre. Donc rien de plus normal que ça fasse partie de ma culture. Il a fallu attendre que les recherches (Ircam, etc...) se démocratisent, pour que je puisse avoir accès à ces outils. On sait, probablement, que j'ai utilisé les premières « boîtes à rythmes » et futurs

« loopers », les premiers synthétiseurs, puis les différentes formes de MAO (Musique Assistée par Ordinateur), dès que ce fut possible : durant les années 70 et surtout les années 80. J'ai écouté divers compositeurs, comme François Bayle, Pierre Henri et plusieurs japonais, aimé Klaus Shultz, etc... et je me suis intéressé, aussi, à ces formes populaires.

X.D. : Vous avez choisi des textes japonais anciens (Haïku) de Kobayashi Issa et de Matsuo Bashô. Puis vous avez créé des collaborations avec Toshiko Dhotel, Maliko Oka et Corinne Altan. Vous avez, également, intégré un instrument comme le shakuhachi. La culture japonaise semble être l'un des éléments les plus importants de cet album. Qu'est-ce qui vous a attiré vers cette musique ou, plus largement, vers cette culture ?

A.S. : Au Japon la dualité du minimalisme Haïku, de son lien viscéral avec la nature, son zen et le pendant technologique de pointe m'a toujours parlé. C'est le premier album où une place s'ouvrait à lui de manière évidente. D'abord, parce que certaines de mes impros (l'album est uniquement basé sur des impros à la harpe et à la voix) m'ont emportées vers lui.

X.D. : Au dos de la pochette du CD promotionnel que nous avons reçu, un descriptif mentionne : « … au service d'une musique contemplative ». Quel est votre rapport à la musique contemplative ou à la contemplation, en général ? Y'aurait-il une facette de vous croisant la musique celtique aux courants contemporains et une autre explorant des sonorités contemplatives plus intemporelles ?

A.S. : quand on a mon âge, le rapport au temps est plutôt l'envie d'arrêter son cours. Ensuite, au tumulte et à l'horreur, l'impression que la seule réponse est la recherche de la beauté et la partager. Ce que procurent les sons de mes harpes avant les notes. Mais ce serait oublier, notamment, le triptyque incluant « KAla-GoAÑv et « What Could I Do », beaucoup plus sombre.

X.D. : Vous avez, aussi, intégré des textes d'auteurs plus ou moins connus comme Séamus Heaney, Laurent Bourdelas, Bruno Geneste et Kentin Bleuzen. Comment les avez-vous découverts ? Qu'est-ce qui vous a touché, notamment, dans leurs textes que vous avez sélectionnés ?

A.S. : Kentin Bleuzen, en me baladant sur le net, à la recherche d'un poème sur le printemps qui se marierait bien à une musique déjà avancée. Je suis tombé sur cette page du collège Diwan de Kemper qui couronnait le lauréat d'un concours de poésie. J'ai été invité à me produire à Moelan où j'ai rencontré le merveilleux poète Bruno Geneste. Laurent Bourdelas a écrit une biographie sur moi, mais j'avais déjà découvert son écriture très sensible. J'aimais déjà Séamus Heaney (prix Nobel de littérature), mais l'entendre dit par le président Michael Higgins lui-même, au théâtre de Lorient, a fini de me convaincre de poser une musique déjà enregistrée se mariant parfaitement à Postscript.

X.D. : Sur cet album, quel(s) type(s) de harpe(s) utilisez-vous ? Quelles sonorités recherchiez-vous ?

A.S. : J'avais dessiné un nouveau prototype, il y a deux ou trois ans, et Tom Marceau l'a réalisé. Une nouvelle harpe pour un nouvel album. Le son le plus cristallin et le plus sensuel de harpe électro-acoustique à cordes Nylon à ce jour. Il y a aussi une autre harpe que j'avais dessinée, puis pensée et réalisée par Léo Goas, la plus belle harpe électro- acoustique à cordes métalliques. Et enfin une harpe acoustique cordée métal de Vincenzo Zitello qu'il a conçue, inspiré par mes premiers modèles personnels. Mais ce qui m'intéresse, c'est qu'on ait, dans ce même disque, des sons très purs et d'autres tellement transformés que personne ne peut reconnaître une harpe.

X.D. : « Amzer » serait-il né dans une certaine idée de prolongement de votre Symphonie Celtique de 1979 ou, pour mieux dire, dans la perspective d'une Symphonie Celtique du 3ème millénaire ? La notion de temps et l'ébauche du thème « Marche » dans le titre « Au plus près des limites, je marcherai ». semblent, notamment, créer un lien entre ces deux albums :

Rappelons, ici, deux titres de la Symphonie Celtique « Tir Na Nog », parue en 1979 :

Divodan - Dissolution dans le grand Un

«Tous les chemins mènent au chaos

Tous les chemins mènent à la dissolution

Il faudra marcher encore longtemps

Longtemps, longtemps,

Passer d'innombrables glaciations

D'innombrables orages

D'innombrables sécheresses

D'innombrables guerres apocalyptiques

Avant de fondre dans le grand Un

Car telle est la loi de l'univers».

Beaj – Voyage vers les espaces intérieurs

«Fermés sont mes yeux

Je marche au-delà de mes organes

Au-delà de mes cellules

Avant ma naissance

Au-delà de mon premier atome

Avant toute tradition

A travers les trois mondes

A travers mes trois formes actuelles

Tu es là au fond de moi

Et je suis tout en toi

Innommable Âme de l'Univers

Tout ici est vrai et illusion

Le passé est le futur

Le futur est le passé.

Il est dangereux et nécessaire d'aller vers toi

Malgré les vents contraires»

A.S. : on peut retrouver certains liens dans la thématique, comme celui de s'éloigner des influences de ce qu'on nomme la « Variété », au sens large.

X.D. : Vous allez, bientôt, fêter vos 50 ans de carrière à travers une tournée. Quel est votre regard sur votre parcours ?

A.S. : si en 50 ans, il n'y avait pas eu un certain travail accompli, il y aurait de quoi en avoir honte. Il y aurait certainement autant à faire dans les 50 ans qui viennent…

X.D. : Quel est votre regard actuel sur l'évolution de la musique bretonne et celtique ?

Va-t-elle vers cette idée universelle que vous avez initiée sous l'emblème de la Celtie ?

D'après-vous, est-ce que la part bretonne dans la musique celtique a imprégné les autres pays celtiques et d'autres endroits du monde ?

A.S. : quand on compare le paysage musical breton il y a 50 ans : deux chanteurs professionnels, Glenmor et moi, une petite minorité s'intéressant à nous, et maintenant, je ne peux cacher ma joie de voir tant de gens qui portent leurs déclinaisons de musique bretonne.

Je reste persuadé qu'il faut davantage analyser ce que sont les traits originaux et propres à la Bretagne et à la Celtie. Beaucoup à faire dans ce domaine. Et sur l'international, je suis malheureusement encore le seul à avoir occupé vraiment ce terrain... et donc permis à pas mal de gens de découvrir mon pays, jusqu'à son nom même. Il reste du boulot...

X.D. : Selon vous, qu'est-ce qu'il faudrait aux nouvelles générations d'artistes bretons pour créer une aussi grande dynamique que ce que celle que vous avez initiée dans le renouveau de la musique bretonne et néo-celtique des années 70 ?

A.S. : il faudrait , éventuellement, qu'ils n'hésitent pas à se « décentraliser » un moment à Paris ou Londres. Et la hargne de faire connaître leurs déclinaisons de musique bretonne et celtique, en ne considérant pas que ce n'est pas leur boulot, que c'est celui de la maison de disques, etc...

X.D. : Avez-vous déjà une idée de vos prochains projets que vous pourriez nous dévoiler ?

A.S. : Je crois avoir évoqué, quelque part, le projet de revisiter ma Symphonie Celtique, de travailler sur une ½uvre artistique et pédagogique sur les fondamentaux musicologiques de la Musique celtique, également une ½uvre hyper contemporaine-expérimentale, et, à nouveau, un album entièrement consacré à la harpe celtique, sans compter des livres.

X.D. : Au terme de cet interview, je vous laisse la possibilité d'évoquer un sujet qui vous tient à c½ur concernant votre musique ou tout élément associé à votre démarche artistique et plus largement, si vous le désirez, à la culture bretonne et celtique.

A.S. : il reste encore beaucoup à faire d'une part pour sauver l'identité bretonne et celtique, à tous point de vues, y compris musicaux, d'autre part, le développement de cette musique au présent, et enfin pour un rayonnement mondial qui est loin d'être achevé.

X.D. : Je vous remercie, Alan, pour le temps que vous avez consacré à répondre à mes questions.

A galon.

Article et interview : Xavier DANIEL

Les titres d' « AMzer »

01 - New'Amzer (Spring) - 04:44

02 - Other times – Amzerioù all (Haïku de printemps) - 03:16

03 - Matin de printemps – Kesa No Haru (Haïku de printemps 2) - 06:41

04 - Mintin New 'Hañv (Haïku de printemps 3) - 02:31

05 - Au plus près des limites – Je marcherai (An Tostañ D'an Harzou – Nearby the Bounds) - 05:16

06 - Post Script - 05:39

07 - Kala Gaañv / Calendes d'Hiver (As a Tribute 1) - 03:00

08 - What could I Do (As a Tribute 2) - 04:32

09 - Kerzu – December (As a Tribute 3) - 05:19

10 - Purple Moon - 07:46

11 - Halage - 02:52

12 - Echu Ar Goañv / Till spring ? - 03:13

Sur «Culture et celtie, le MAGazine...», notre dossier de plus de 200 pages sur l'itinéraire du célèbre «Celtic harper hero» de 1953 à 2008... (voir le site)

Le site officiel d'Alan STIVELL: (voir le site)

© Culture et Celtie

Illustration sonore de la page : «New'Amzer - Spring» - Alan STIVELL.

D'autres extraits sonores sur : (voir le site)