De l'émigraton bretonne en Angleterre

Chronique publié le 14/10/15 20:47 dans Histoire de Bretagne par Frédéric MORVAN pour Frédéric MORVAN
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Alain le Roux a genoux devant le roi Guillaume le Conquérant (registre de Richmond). Alain porte les armoiries des ducs de Bretagne de la maison de Dreux.

Aujourd'hui nous commémorons la bataille d'Hastings (14 octobre 1066). Vous me direz : quel est le rapport avec l'histoire de la Bretagne et des Bretons ? Et bien en fait tout. Une grande partie de l'armée de Guillaume de Normandie qui remporta la bataille puis le trône d'Angleterre était composée de Bretons conduits par le prince Alain de Bretagne (de la maison de Rennes), fils de l'ancien tuteur de Guillaume, Eudes. En récompense, le nouveau roi donna des seigneuries avec le droit de construire de beaux châteaux (bien plus grands qu'en Bretagne) aux Bretons surtout dans les zones « dangereuses », face aux Gallois et aux Ecossais. Alain devint l'un des trois seigneurs les plus riches du royaume. Ses biens furent transmis à sa famille qui accéda au trône ducal de Bretagne un siècle plus tard.

L'installation des Bretons en Angleterre ne date pas de la Conquête dite normande. Raoul de Gaël fut un des principaux guerriers du roi Edouard le Confesseur (mort en 1066). Les liens entre la Bretagne et l'Angleterre étaient en fait très fréquents. On passait de l'un à l'autre sans problème. On débarquait ou on embarquait souvent dans la région de Dinan. Des princes anglais se servirent des guerriers bretons pour s'emparer du trône d'Angleterre, comme Henri Ier Beauclerc (1008-1035) qui amena avec lui le fils du sénéchal de Dol dont les descendants, les Stewart ou Stuart, s'implantèrent en Angleterre et en Ecosse jusqu'à en devenir les souverains. Il n'est donc pas étonnant qu'une grande partie de la richissime aristocratie anglaise actuelle descende de ces Bretons. Il faut savoir que deux des signataires de la Grande Charte (1215), document à l'origine du système politique anglo-saxon, étaient bretons, et parmi les 23 autres, nombreux étaient ceux qui avaient une mère ou une grand-mère bretonne.

Sur les frontières du Pays de Galles, à Monmouth, un certain Geoffroy entendit parler des actions héroïques d'un roi breton et de ses compagnons. Il écrivit un livre et ce fut le roman du roi Arthur qui fut un succès prodigieux quasi immédiatement. Toutefois peu savaient qu'à l'époque le seigneur de Monmouth était d'origine bretonne. Geoffroy voulut-il plaire ainsi à son seigneur ? Le puissant roi Henri II d'Angleterre (1133-1189) fit de ce roman une arme de propagande, allant jusqu'à trouver une épée du roi Arthur dans l'abbaye de Glastonbury. Son fils, Geoffroy (1158-1186), époux de Constance, duchesse de Bretagne (morte en 1201), appela son fils, Arthur, nom politique devant réunir tous les Bretons, d'Angleterre et de Bretagne. Son but était de disposer d'un des plus grands potentiels militaires de l'Europe chrétienne, celui des Bretons. Il pouvait compter sur eux pour lui permettre, à lui et son fils, de s'emparer de l'immense héritage de son père et de sa mère (Aliénor d'Aquitaine).

Mais, et ici nous rentrons dans la Grande Histoire de l'Europe, Geoffroy mourut juste avant la naissance de son fils. Son frère le roi d'Angleterre, Richard C½ur de Lion (mort en 1199), qui n'avait pas d'enfant, tenta de s'emparer d'Arthur, mais ses troupes furent défaites là même où sont dressées aujourd'hui les statues de la Vallée des Saints (à Carnoët). Arthur vécut auprès du roi de France. A la mort de Richard, Aliénor d'Aquitaine imposa son dernier fils, Jean sans Terre (1166-1216), sur les trônes de l'empire familial. Arthur, qui s'opposa à Jean, fut, il faut bien l'avouer, un peu abandonné par Philippe Auguste, roi de France (1165-1223). Ayant tenté de s'emparer de sa grand-mère à Mirebeau, il fut fait prisonnier par son oncle, Jean, qui le tua en 1203 peut-être de ses mains. Les Bretons de Bretagne décidèrent de s'unir et de venger la mort d'Arthur, leur duc. Ils s'allièrent au roi de France et ce sont eux qui permirent à Philippe Auguste de s'emparer de la Normandie, du Poitou, de l'Anjou et du Maine et de faire de ce roi l'un des plus riches d'Europe. En Angleterre, les descendants des Bretons se révoltèrent (on les voit dans le dernier film sur Robin des Bois avec Russell Crowe) et appelèrent sur le trône anglais le fils du roi de France. Heureusement pour sa famille, Jean sans Terre mourut, et son fils Henri III put devenir roi, mais à une condition, qu'il règne avec les seigneurs (les lords) d'Angleterre. La monarchie parlementaire était née.

Cependant en vengeant la mort de leur duc, les Bretons avaient détruit l'empire fédéral d'Henri II. Henri III et ses successeurs devinrent seulement des rois d'Angleterre (et un peu ducs de Guyenne). Philippe Auguste ordonna en 1205 que l'on choisisse : celui qui ne renoncerait pas à ses biens en Angleterre serait considéré comme un traître (Jean sans Terre fit de même). La politique continentale des rois de France débuta alors. Le nationalisme, aussi : on était du royaume de France ou du royaume d'Angleterre. Les liens entre les Bretons de Bretagne et d'Angleterre furent plus distendus. Les ducs de Bretagne durent louvoyer pour conserver leurs énormes biens en Angleterre. Cela dura un siècle, jusqu'en 1341. Mais après, il y eut la guerre de Succession de Bretagne et l'occupation de manière quelque brutale de la Bretagne par les Anglais (c'était la guerre de Cent ans opposant rois de France et d'Angleterre). Les Anglais se firent détestés en Bretagne, même si certains de leurs chefs étaient descendants de Bretons. Les ducs de Bretagne perdirent leurs biens anglais.

La politique à bascule entre leurs puissants voisins, les rois d'Angleterre et de France, menée depuis plus de deux siècles par les ducs de Bretagne s'acheva. Jean V, à partir de 1421, isola la Bretagne de l'Angleterre et de la France alors ravagées par la guerre et développa l'Etat breton, la principauté de Bretagne, une nation, c'est-à-dire des institutions, des idées, des instruments politiques repris par ses successeurs. La Bretagne, peut-être même avant le royaume de France, était alors entrée dans l'époque moderne.


Vos commentaires :
Loïc lemasson
Vendredi 15 novembre 2024
Cela explique pourquoi la France s'est toujours attachée à affaiblir, dès qu'elle le pût, la Bretagne. La Bretagne était une pièce maîtresse, entre la France et l'Angleterre, pour être une grande puissance. Autre point intéressant, la fin de la guerre de 100ans, à Castillon la bataille, pas très loin de bordeaux, fût gagnée par la France grâce à un allié et son fait militaire : le blocus du port de bordeaux par la marine bretonne, contre laquelle l'Angleterre ne pût rien. La France l'enseigne t'elle? L'évoque t'elle dans les livres scolaires? Bien sur que non!! Si elle ne le fait pas, on peut fortement supposer qu'elle considère qu'il ne s'agit pas de sa propre histoire. Alors soyons sur la même longueur d'onde que la France. Il ne s'agit pas de son histoire. Il s'agit de la notre. Et re-approprions nous notre histoire.

Yann le Bleiz
Vendredi 15 novembre 2024
Cet article est bien plus intéressant que le premier de cette série, qui semblait vouloir provoquer pour jouer au «je suis plus modéré que vous» afin de pour pouvoir dire au deuxième chapitre «j'ai reçu une volé de bois vert», comprendre : voyez, les méchants extrémistes ne m'aime pas donc je ne suis pas comme eux...

Suivant en cela la tradition douteuse du milieu breton, de donner des preuves de «modérations» aux dépens des autres collèges, avant de s'exprimer.


Donc, ce troisième volet exprime lui une réalité que l'histoire de la Bretagne continentale ne peut pas être dissocié de l'histoire de la Bretagne insulaire.

Il n'y a là que du bon sens, or l'immense majorité des livres d'histoire de Bretagne font totalement l'impasse sur l'histoire de la Bretagne insulaire, sauf pour dire en quelques lignes que des «migrants bretons» sont venu en Armorique.

Combien de personnes dans la population bretonne connaissent le nom du Domaine de l' «Honneur de Richmond», possession bretonne en Angleterre bien plus riche que le duché lui-même.

Les Bretons ne pourront comprendre et s'approprier l'histoire de Bretagne que lorsque les livres d'histoire raconteront l'ensemble de cette histoire et non la moitié.

D'ailleurs, on est en doit de se demander si le terme «émigration» bretonne à du sens, car les bretons éternelle «émigré-immigré» cela lasse un peu quand on évoque une population qui se déplaçant sur son propre territoire.

N'oublions pas que les Bretons insulaires (les Gallois) revendiquent toujours l'Angleterre comme étant leur propriété, comme étant la Bretagne, d'où leur difficulté à évoquer l'indépendance du Pays de Galles.

(Avec aujourd'hui le paradoxe de voir les Anglais se demander si la Reine Boudicca, bretonne qui avait repris Londres aux Romains, était bien une héroïne «nationale»...!)

Sans évoquer que les Britanniques considèrent de plus en plus les Armoricains comme des Bretons continentaux et non comme des Gaulois.

Donc, il est temps que les Bretons continentaux se réapproprie leur histoire, toute leur histoire!


frédéric morvan
Vendredi 15 novembre 2024
C'est le 16e article

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