François Hollande, à peine descendu de l'avion qui l'a conduit à New York pour l'ouverture de la 70e Assemblée générale de l'ONU, a livré ce scoop à la presse internationale : la France a bombardé et détruit en totalité le 27 septembre un camp d'entraînement de Daesh, le prétendu État islamique (EI), à Deir ez-Zor, dans l'est de la Syrie. C'est un véritable changement de pied, la France concentrant jusqu'à lors ses efforts en Irak dans la lutte contre les djihadistes du Moyen-Orient. Le premier ministre Manuel Valls a de son côté précisé que ces frappes visent et viseront «ces sanctuaires de Daesh où sont formés ceux qui s'en prennent à la France», l'un et l'autre assurant que ces actions vont continuer. Officiellement la France se détermine en fonction de son propre agenda, dont elle fixe elle-même les priorités, comme l'avait déjà déclaré en décembre 2014 le conseiller du Président recevant à l'Elysée une délégation de la CNSK venue plaider la cause des Kurdes du Rojava? (Kurdistan de Syrie) et demandant une intervention aérienne d'urgence.
La France a donc engagé, sans mandat de l'ONU mais au nom de la légitime défense, une action militaire ciblée. Cette annonce, à ce moment précis, n'est pas l'effet du hasard. La France, membre du conseil de sécurité de l'ONU, qui demande depuis le début de la crise l'exclusion de Bachar al Assad – une position qui est loin de faire l'unanimité – entend être un acteur majeur et écouté à la table des négociations qui va rassembler toutes les parties prenantes engagées dans le combat contre l'EI. C'est-à-dire les Etats-Unis et certains de leurs alliés de la coalition, mais aussi la Russie, l'Iran, sans oublier la Chine, qui serait présente dans le port syrien de Tartous avec un porte-avions et un croiseur lance-missiles, aux côtés des bâtiments russes. Vladimir Poutine, s'appuyant sur les réalités du terrain, a qualifié d'erreur grave la position préconisée jusqu'ici par les Occidentaux visant à ignorer le gouvernement syrien. On peut prévoir d'ores et déjà, malgré les réticences françaises, un compromis international visant à introduire le «gouvernement légitime» de la Syrie et à différer l'exclusion de Bachar, le temps à ses mentors de lui trouver une sortie honorable.
Située sur les bords de l'Euphrate à une centaine de km au sud est de Raqqah (quartier général de l'EI) et assez proche de la frontière avec l'Irak, Deir ez-Zor, capitale de la province du même nom, était, avant la guerre, une ville de 300 000 habitants. Cette ville emblématique fut dès 2012 le théâtre de violents combats entre les forces de l'Etat syrien et les brigades de l'armée syrienne libre, vite rejointes par les mouvements islamistes affiliés à al-Qaeda, l'objectif étant le contrôle des plus importantes ressources pétrolières de la Syrie. L'EI, qui prit le contrôle de la ville le 14 juillet 2014, expulsa ses rivaux de toute la province et encercla les forces du régime massées autour de l'aéroport, lieu stratégique. Les affrontements se succédèrent, chaque camp enregistrant succès et reculs. Un reportage a révélé l'âpreté des combats et la présence à Deir ez-Zor d'une quarantaine de Français parmi les combattants majoritairement étrangers de l'EI.
«Deir ez-Zor est devenu un des fiefs des djihadistes français. C'est ici, à Deir ez-Zor, que sont morts certains des jeunes djihadistes originaires de Lunel, dans l'Hérault. Les Français sont, nous dit-on ici, regroupés au sein d'une même brigade, réputée parmi les plus violentes»
rapporte l'envoyé spécial de France 2 Franck Genauzeau. La France a donc lancé la troisième bataille de Deir ez-Zor, appuyant de fait l'armée syrienne dans son combat contre l'EI.
Hormis quelques irréductibles Gaulois, nul n'a oublié le désastre libyen, ½uvre de l'attelage Nicolas Sarkozy/Bernard-Henri Lévy et chacun en a tiré la conclusion qu'il ne suffit pas d'éliminer un tyran, faut-il encore prévoir la suite pour éviter le chaos. De même, ceux qui ont cru à un printemps arabe en Syrie se sont trompés. On est, en fait, au c½ur d'une guerre civile confessionnelle entre le camp sunnite, financé par l'Arabie Saoudite, le Qatar et aidé par la Turquie et le camp chiite, celui du clan Assad aidé par l'Iran, le Hezbollah libanais et la Russie. Cette situation catastrophique réclame aujourd'hui une riposte à la hauteur de l'événement. Il est bien sûr de notre devoir d'accueillir les réfugiés, mais une réponse durable passe par l'organisation de leur retour dans leur pays sécurisé et économiquement viable.
Oui, la France va collaborer avec les différentes nations, y compris la Syrie, engagées dans cet espace aérien restreint de Deir ez-Zor. Comment pourrait-il en être autrement ? Oubliées les déclarations du «cavalier seul» français, oubliées les exigences de la diplomatie française faisant du départ de Bachar al-Assad un préalable non négociable. Laurent Fabius plaide maintenant pour
«la formation d'un gouvernement incluant des éléments du régime et des membres de l'opposition qui refusent le terrorisme».
La Cheffe de cabinet de la présidence de la République écrit à la CNSK : «En Syrie, nous soutenons les forces kurdes et I'opposition modérée. Ce soutien a contribué à libérer les villes de Kobanê et de Tel Abyad et plus largement de reprendre de nombreux villages aux djihadistes de Daesh».
Mais où est-elle, cette «opposition modéré»? La seule opposition, qui non seulement combat militairement l'EI mais qui met en place une gouvernance décentralisée, pluri-ethnique, laïque, pouvant servir d'exemple pour les pays du Moyen-Orient, est kurde et se trouve au Rojava. Mais les Kurdes ont-ils encore leur place dans un pays qui s'appelle toujours la République arabe de Syrie ? Auront-ils leur place à la table des négociations ? Ne recommençons pas l'erreur du traité de Lausanne, signé en 1923, qui ignora superbement les Kurdes.
André Métayer
■