Dans la revue ArMen, n° 207 de juillet-août 2015, se trouve une interview, réalisée par Gabriel Monot, et consacrée à Michel Le Bris, écrivain et créateur du festival Etonnants Voyageurs de St Malo. Je dois dire que j'apprécie beaucoup la revue ArMen, bien écrite, originale, toujours en pointe pour défendre l'identité , la culture bretonne et la Bretagne en mouvement, c'est à dire le mouvement breton … du moins, c'est toujours l'impression que j'ai eue. Seul bémol, peut être ai-je senti souvent, car nulle (revue) n'est parfaite, une certaine retenue concernant les sujets politiques.
Bref en lisant cette revue, je tombe sur l'interview de Le Bris, et là, les bras m'en tombent.
Monsieur le Bris est un homme plein de ressources et de talents divers, intelligent, original, cultivé, idéaliste sans doute, énergique, « une force qui va », il faut l'être pour créer un grand festival, et pourtant il y a quelque chose qui ne colle pas chez lui.
On nous dit que lui et la mer sont inséparables, n'empêche qu'ils font chambre à part, car, en Bretagne du moins, il est difficile de vivre plus loin de la mer que Le Bris … Qu'importe ! Ensuite on nous apprend qu'ayant fait Hec, choix étonnant considérant l'homme, il pourrait être capitaine d'industrie, non, cela n'a rien à voir. Il a milité à l'extrême gauche, point important, j'y reviendrai … on cite «Maspero», écrivain remarquable (Les Abeilles et la Guêpe) et trop peu connu. Puis Le Bris participe à la création de « Libé », un journal que j'ai lu pendant quatre ans, cela m'a suffit, beaucoup de malhonnêteté intellectuelle … il aime «Conrad, Stevenson et London», je partage ses goûts, pour Stevenson surtout, non pour ses ouvrages les plus connus, car j'ai remarqué souvent que les « chefs d'½uvre » sont rarement les meilleurs livres d'un auteur (1), le «Dr Jekill, le Maître de Ballantrae», mais pour des ouvrages apparemment plus modestes comme «Veillées des îles », « Dans les mers du sud ». Pourquoi ?, je ne saurais trop le dire, poésie, légèreté, style laconique, magie, parfum indéfinissable et entêtant d'aventures, à chaque lecture, la voix unique de Tusitala, le conteur d'histoires. Le Bris nous a fait connaître des auteurs excellents et méconnus, «Nicolas Bouvier, Ella Maillart, Anita Conti».
Et c'est la question fatale, « avez-vous de la sympathie pour le mouvement breton, ? » « ah non pas du tout !, la définition de la connerie bretonne c'est quatre militants bretons , etc...».Pour reprendre une expression de Le Bris, j'ai trouvé cette opinion « grotesque » et insensée.
Venons-en au fait. D'abord, Le Bris, comme Monot semble t-il, confond mouvement breton et indépendantistes, comme le premier RG (2) venu. Ensuite, cela ne me gêne pas du tout que Le Bris la garde précieusement, son opinion, car je suis tout à fait tolérant, mais elle ne le grandit pas, elle nous éclaire au contraire sur ses contradictions. Le mouvement breton, ce n'est pas un quatrain d'indépendantistes qui discutent dans un café, et cela serait ? Ce n'est pas comme cela qu'a débuté l'émancipation de l'Irlande.
Le mouvement breton, ce sont des centaines de femmes et d'hommes qui, depuis des siècles, eurent à c½ur de défendre leur culture, leur originalité, leur identité ; et s'ils l'ont inventée parfois, cette culture, qu'importe ; puisque les cultures s'inventent ; parmi eux, beaucoup de personnalités de grands talents, inoubliables et probes, sans qui la Bretagne ne serait rien, qui ont lutté contre l'appauvrissement, la paupérisation des langues, l'acculturation sévère, pour la richesse et la diversité, pour eux-mêmes et pour les autres, pour la Bretagne et le monde aussi. Non monsieur Le Bris, «la Borderie (Histoire), La Villemarqué (Littérature), Le Braz, Grall, Sohier (langue), Pleven (politique), Creston (artiste, ethnologue), Stivell (musique)» … ne sont pas des cons, aucun risque. Je n'ai pas de crainte pour ces gens merveilleux, qu'il n'est point même utile de défendre, vous vous êtes trompé, voilà tout … le mouvement breton, c'est tout simplement la Bretagne en mouvement, sur tous les plans, rien moins, et on ne peut réduire ce mouvements « aux nationalistes ». Auriez-vous utilisé ces termes injurieux si on avait évoqué le mouvement haïtien ? Vous vous trompez irrémédiablement, vous n'avez pas réfléchi, car vous êtes dominé par vos émotions et vos contradictions, que par suite de cette impolitesse rare, je me sens autorisé à discuter.
Quel est le moteur de vos contradictions et de votre incapacité à saisir la nuance. Votre gauchisme originel, sans doute. Cette curiosité politique française, pour laquelle heureusement les Français éprouvent peu d'appétence, et les Bretons moins encore, n'a jamais rien donné de bon. Ses sectateurs voient la réalité gauchie et déformée au travers les jalousies (3) de leurs doctrines ; il s'agit bien d'ailleurs de ranc½urs et de jalousies, fondement du gauchisme, qui apparaissent clairement chez Melenchon. Cet admirateur de Robespierre, peu avare d'injures, qui considère Diwan comme une secte !
En outre chez Le Bris, l'intelligence suit constamment l'émotion, non pas l'inverse ; par suite, ses jugements tombent souvent « à côté ». Quand il affirme que les Bretons vivent leur bretonnité en toute simplicité, rien n'est plus faux et il en est un exemple frappant. Le Breton vit doublement les angoisses de l'homme occidental et celles de son identité originale, dans un pays qui n'a cessé de vouloir écraser tout particularisme. Ailleurs, dit-il « il faut se méfier des pays où les hommes chantent », les Gallois par exemple ? A côté, une fois de plus. On retrouve ses contradictions dans ses romans, son attrait enfantin pour les aventuriers et chercheurs d'or de tous poils dans « La porte d'or », des hommes darwiniens, souvent racistes, rustiques et sans scrupules, chantés par le socialiste London(4), écrit dans un style phosphorescent mais lourd ; ou dans « La beauté du monde », pour ce couple brillant de la jet-set, (5) qui vit « les dernières heures de « l'heureuse » colonisation, les couleurs fauves d'une ferme en Afrique : un roman en technicolor», un roman vrai du continent noir !!! selon l'éditeur. Nous voilà loin d'un «Gide» ! Et de son remarquable « voyage au Congo », qui, à l'époque où se situe le roman exotique de Le Bris, fit connaître au monde ébahi, l'ignoble sort des africains colonisés du Congo belge ; nous voilà loin de «Laurence Van der Post», écrivain magnifique, qui, au temps de l'Apartheid, lui l'Afrikaner, partait avec amour à la recherche du « vanished people » de son enfance, ces «Bushmen» du désert du Kalahari ; nous voilà bien loin de Libé, du gauchisme et de Sartre !
Au final, il est dommage qu'on ne puisse partager ni comprendre son amour de la Bretagne, inexprimé chez cet écrivain prolixe, cet écorché vif, ce passionné, ce révolté qu'est Le Bris, qui semble lui vouer une sorte d'amour-haine remontant à l'enfance dont témoignent des propos souvent injustes, réducteurs et lapidaires. Il serait temps que cet homme étonnant, aux talents multiples, jette un regard apaisé sur son pays natal, non pas seulement sur ses rivages oniriques mais aussi sur les hommes et les femmes qui l'on fait.
«Notes :»
1. chez Orwel, Melville, Fitzgerald, Joyce, Stevenson, notamment
2. les anciens Renseignements Généraux
3. fenêtre à claire voie
4. qui n'en reste pas moins un écrivain formidable (Martin Eden)
5. sur la couverture, le couple pose devant un lion abattu
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