L'agriculture bretonne : des bonnes et des mauvaises nouvelles…

Chronique publié le 31/07/15 18:58 dans Economie par marc Patay Lejean pour marc Patay Lejean

Dans la revue AR Men n° 207, Mr Bouessel Du Bourg publie en breton, un article intéressant concernant l'agriculture bretonne. Avec son autorisation, nous joignons ici sa traduction en français (Pdf joint). Cet article insiste surtout, au-delà de la crise actuelle, sur les atouts et les réussites de notre agriculture.

Certes, il ne faut pas faire des paysans de faciles boucs émissaires de notre société de consommation, car il faudra continuer à produire plus pour une population urbaine toujours plus importante, 6 milliards en 2050 contre 3 milliards de ruraux ! (1) mais nous connaissons mieux aujourd'hui l'impact de nos activités industrielles ou agricoles sur la nature, et ce n'est pas brillant. Bien évidemment, changer notre modèle de société n'est pas de la seule responsabilité des agriculteurs, d'autant qu'ils ne sont pas les mieux lotis en terme de revenus (2), en fait il faudrait tout revoir ... vaste programme aurait dit le Général de Gaulle ! Quant à l'agriculture bio, on n'en parle beaucoup mais cela restera pour longtemps marginal (2,5% de la consommation en France). (3)

Abordons les différents aspects de l'agriculture bretonne d'aujourd'hui : ces bonnes et mauvaises nouvelles ...

Les bonnes tout d'abord : La Bretagne est devenue la 1ère région agricole française et la 1ère région agroalimentaire d'Europe (4). Cette réussite économique, elle la doit surtout à son agriculture intensive, promue par l'État, source d'emplois et de richesse. En apparence, quantité semble rimer avec qualité, car en 2014, la Bretagne a raflé 129 médailles au Concours Général Agricole de Paris (5), en même temps que la première place parmi les régions. Cerise sur le gâteau, l'hebdomadaire La Vie dans son Palmarès de l'écologie 2014, classe les 5 départements bretons parmi les 10 meilleurs de France sur 8 critères écologiques ! (6) Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes ! Ce n'est malheureusement pas le cas.

Puis les mauvaises … le modèle agricole breton est de nouveau en crise. Ne l'a t-il pas toujours été, depuis la dernière guerre du moins ? En tous cas, il n'a cessé d'évoluer avec célérité, infirmant l'idée d'une sorte d'immobilisme des agriculteurs : en 1970, le nombre d'exploitations agricoles bretonnes s'élevait à 150 000 ; en 2010, il était de 34 447. Dans le même temps, la superficie agricole par exploitation est passée de 13 ha en 1970 à 48 ha, restant toutefois en deçà de la moyenne française. (7)

Les causes de cette crise sont connues : fin de la Pac, concurrence internationale et dumping social (8), baisse historique de la consommation de viande (9), prix des intrants (engrais et pesticides), fermeture de marchés (Chine, Russie), pression des distributeurs sur les prix, contraintes administratives en augmentation, en rapport avec les exigences environnementales notamment … les solutions sont évidemment plus difficiles à mettre en ½uvre.

Par ailleurs, le classement de « La Vie » ne doit pas faire illusion. L'impact négatif de l'agriculture intensive sur la nature n'est plus à démontrer. Les rivières sont polluées par les nitrates et autres intrants. D'après l'association Eau et Rivières, entre 1970 et la fin des années 1990, la pollution moyenne des rivières de Bretagne a été multipliée par 7 (10/17) ! En Bretagne, en 1971, le taux de nitrates était de près de 5mg/l ; après avoir dépassé le seuil de 50mg/l de nitrate en 1993, nous sommes redescendus à 35mg/l en 2009 (11), ce qui est un progrès. Il semble heureusement que « les apports d'engrais aient considérablement diminué : 38% d'azote en moins, 50% de moins de phosphore, et 80% de moins de phosphate » (15 et 12). Quant à nos célèbres algues vertes ! « 50 000 tonnes ont été ramassées en 2011, 47 000 tonnes en 2012, 27 000 tonnes en 2013 et 13 500 tonnes en 2014 » (15, 13), il semble donc que cette pollution soit enrayée. Concernant les pesticides, ils s'accumulent dangereusement dans les nappes phréatiques ; « ce sont jusqu'à 23 molécules qui ont été retrouvées dans un même prélèvement en 2012 ... non seulement ils sont présents toute l'année, mais c'est un vrai cocktail auquel nous avons à faire » (14).

D'un autre côté, difficile d'imaginer qu'avec une population mondiale de 10 milliards d'humains en 2050, de 16 milliards en 2100 ! il soit possible de chanter en c½ur Brave New World :

«O, merveille !

Combien de belles créatures vois-je ici réunies !

Que l'humanité est admirable !

O splendide Nouveau Monde

Qui compte de pareils habitants ! »

La Tempête de Shakespeare.

Brave New World est aussi le titre original du roman Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley (1932).

La surpopulation est, sans doute, la première cause des pollutions. A l'évidence, pour nourrir cette population essentiellement urbaine, l'agriculture mondiale restera intensive, mais on peut imaginer un progrès des techniques couplé à celui des consciences, une attention accrue à la nature qui est notre « boite de pétri », une « fertilisation croisée » entre le bio et l'intensif … car le bio n'est pas prêt de remplacer l'intensif ; en 2013, l'agriculture biologique représentait 2,5% de l'alimentation des Français (1 850 exploitations bio en Bretagne), avec de belles croissances, il est vrai.

Les agriculteurs, les troc'herien buzhug ou coupeurs de lombrics (15) d'autrefois, les ont coupés en quatre en réalité depuis des décennies, car « Dans les années 1950, les sols comportaient 2 tonnes de vers de terre par hectare dans les champs. Aujourd'hui, on en est à moins de 100 kilos par champ cultivé. Au total, tout confondu, 90 % de la faune des sols a disparu » (16).

Alors, les vers de terre seront-ils un jour de retour ? et comme le croque malicieusement Nono, dans le Ar Men n° 207, entendrons nous bientôt jaillir du haut des tracteurs, des « Buhzug atao ! », écho du célèbre « Breizh atao !» controversé, et les paysans bretons reprendront-ils le contrôle ?, instruits des erreurs du passé, car comme l'affirme le dicton : « lagad ar mestr a vag ar marc'h hag a laka leunbarr an arc'h » … « l'oeil du maître nourrit le cheval et remplit le coffre » (15)

Notes

1. (voir le site)

2. (voir le site)

3. Le bio en Bretagne : (voir le site)

4. Chambre de commerce de Bretagne : (voir le site)

5. Médailles agricoles : (voir le site)

6. Palmarès de l'écologie : (voir le site)

7. Evolution du modèle breton : (voir le site)

8. Notion utilisée moins par les économistes que par les politiques et syndicalistes

9. Consommation de viandes : (voir le site)

10. Pollution des rivières en nitrates : (voir le site) et (voir le site)

11. (voir le site)

12. (voir le site)

13. Articles sur les algues vertes : (voir le site) et (voir le site)

14. Pollution des rivières en pesticides : (voir le site) et (voir le site) et (voir le site)

15. Ar Men n° 207, Bouessel Du Bourg

16. Entretien avec deux agronomes : (voir le site)

17. Qualité des cours d'eau : (voir le site)


Vos commentaires :
Fanny Chauffin
Lundi 30 décembre 2024
Evit mont war raok e vo ret kalonekaat an dud da zebriñ produioù er vro ha da zebriñ nebuetoc'h a gig, met kig a galite vat, un tammig keroc'h. Il faudra aussi parler de surproduction et de la consommation abusive de viande : avec la même surface de terre on nourrit un carnivore ou dix végétariens. Il faudra intégrer cette donnée dans toutes les prospectives, or la Région Bretagne continue à dire qu'elle va nourrir un monde mangeur de viande et destructeur d'environnement. C'est tout un système qu'il faut revoir, et il n'est pas nouveau : gwechall e veze debret kig ur wech ar sizhun, ha neuze ? Autrefois, on mangeait beaucoup moins de viande. Les accidents cardio-vasculaires, les cancers, l'obésité sont dus à une nourriture trop riche en protéines animales, trop sucrée, trop grasse. Alors, on change ?
C'est une question trop souvent occultée par nos décideurs politiques. Peur de changer ?

SPERED DIEUB
Lundi 30 décembre 2024
Cependant une certaine partie des terres ne sont pas cultivables pour diverses raisons ,par contre on peut y pratiquer l'élevage bovin ou ovins , il est vrai que les ruminants ont une responsabilité dans le réchauffement climatique , s'ils sont nourris à l'herbe pâturée cette nuisance est largement atténuée car les prairies surtout permanentes sont de véritables puits de carbone ,et même s'il faut l'équivalent de huit kilos d'équivalent céréales ,il est au moins trois fois moins couteux de produire la viande bovine à l'herbe pâturée donc cela ramène à l'équivalent d'environ quatre kilos d'équivalent céréales compte tenu de l'alimentation hivernale basée sur les fourrages conservés Evidemment le problème se pose différemment avec le modèle industriel énergivore cependant ses spécialistes tentent de réduire les émanations de méthane en introduisant des substances dans l'alimentation ,ce qui augmente le cout d'une ration bien plus élevée à la limite d' l'aberration économique ,mais il est difficile pour l'élevage vertueux de faire face aux puissances de l'agro business
Pour Fanny tous les excès sont mauvais ,dans un sens comme dans l'autre par exemple les végétaliens fanatiques qui privent leurs enfants de viande pour obéir à leur dogme avec des conséquences dramatiques ,ha gwech'all vefe ket an dud ken koz se ive, mais bientôt ce problème sera résolu grâce aux protéines animales synthétiques ,Bill Gates il me semble vient d'investir dans une de ces start up qui s'est lancée dans cette voie !!

ker itron al lann
Lundi 30 décembre 2024
Passionnante cette chronique.
Quant au commentaire de Fanny, très exact. Il faudra bien un jour que les lobbies de la viande desserrent leurs étaux.
«gwechall e veze debret kig ur wech ar sizhun, ha neuze ?» Gwirionez zo ganeoc'h Fanny!
Réhabilitons les toiles de Bretagne!

Lionel Raobelina
Lundi 30 décembre 2024
Le monde ne demande pas le sacrifice de la Bretagne pour se nourrir ; j'ai le sentiment que vous y croyez un peu au BIO et c'est déjà ça ; Cela m'émeut car je pense souvent à la Bretagne.

C'est un vieux breton de La Réunion, originaire de Tréguénnec qui vous écrit.

Lionel Raobelina


Emilie Le Berre
Lundi 30 décembre 2024
Le bio ne restera pas marginal, non pas que tout le monde va s'y mettre dans la joie et la bonne humeur, mais parce qu'il n'y aura pas d'autre alternative.
Une population de 9 milliards en 2050 ? ça m'étonneraif beaucoup et je n'aimerai pas voir ça.

Emilie Le Berre
Lundi 30 décembre 2024
Le bio ne restera pas marginal, non pas que tout le monde va s'y mettre dans la joie et la bonne humeur, mais parce qu'il n'y aura pas d'alternative.
Une population de 9 milliards en 2050 et une agriculture intensive ? ça m'étonnerais et je n'aimerai pas voir ça

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