Politique en Bretagne : et si on changeait ?
Une organisation politique doit se poser la question de son adaptation aux règles du jeu politique et doser la rupture qu'elle veut promouvoir et son accord avec la société à laquelle elle s'adresse. De nos jours, ce qui ressemble à une invective ou à une comparaison négative peut braquer immédiatement une majorité des auditeurs.
Toute proposition qui paraît « séparatiste », aussi bien politiquement que socialement, est rejetée sans examen par beaucoup comme attentatoire au « vivre ensemble ».
Ce qui n'est pas repris dans les médias n'est que de la fumée dans les airs. Ce qu'on dit dans les médias doit avoir une « couleur » repérable, mais, si l'on ne veut pas être vu comme porte-bidon d'un parti hexagonal, donc, se tenir à l'écart de la corruption, il faut avoir un stock renouvelé de phrases toutes prêtes, en français du peuple, mais, « tenu », expliquer ses objectifs principaux et dire, de manière claire, quelle alliance on accepte et quelle compromission on refuse.
Il ne peut y avoir qu'un porte-parole attitré dans les médias. La société et les médias n'acceptent pas que le porte-parole n'ait pas de capacité de direction de l'organisation : cela crée une brêche dans la crédibilité, puisque l'exécutant peut être limogé dans la minute suivante.
Parler aux médias signifie être entraîné à le faire, soit par profession, soit parce qu'on a suivi un entraînement spécial. La difficulté est donc de faire émerger une sorte de mouton à cinq pattes qui emporte l'adhésion de son organisation sur des arguments politiques et qui sache jouer sur un clavier politico-affectif à l'intention de la population générale.
Si l'on a pu parler, en forçant le trait, d'un village global, il ne fait pas de doute que la Bretagne est dans un grand village France et que les discours qu'on y tient ne peuvent être déconnectés de la réalité. Un des éléments de celle-ci est l'immigration venant de partout, même si les Bretons implantés depuis longtemps sont destinés à rester très largement majoritaires.
Cela veut dire que le discours d'une organisation politique doit être inclusif, c'est d'ailleurs le seul qu'accepte la jeune génération, si elle n'a pas été abîmée par l'échec scolaire. Être inclusif signifie que si l'on propose des solutions en Bretagne, non seulement elles ne doivent pas nuire aux habitants récents, mais, ceux-ci doivent y trouver leur compte. On doit aussi expliquer que ces solutions pourraient servir d'exemple en France.
Les récents succès électoraux des partis « ethno-régionalistes » (appellation universitaire) en Europe et en Turquie sont, en grande partie, dus à l'esprit d'ouverture aux minorités qu'ils ont su montrer.
Les Catalans et les Écossais ont des élus « nationalistes » issus de l'émigration européenne et africaine, car ils vont en mission organisée dans les milieux qu'on pourrait imaginer réfractaires. C'est ainsi que le oui au référendum sur l'indépendance de l'Écosse l'a emporté largement dans les cités HLM de Glasgow.
Comme le HDP turc, à l'origine uniquement kurde, qui est à l'origine du recul du parti au pouvoir, le SNP, les partis catalans de droite et de gauche ont modifié leurs propositions pour attirer vers eux toutes les minorités, quelles qu'elles soient : ethniques, technos, défenseurs des droits individuels, féministes (et aussi les LGBT), etc.
Pour frapper au coeur les partis de gouvernement corrompus, ils ont réclamé la transparence et des règles de droit égales pour tous et ainsi remporté la mise. Dans ce contexte, on peut demander plus de facilités pour une langue, puisqu'on promeut plus de droits conviviaux.
On entend parfois qu'il ne faut pas se placer dans le sillage d'un « leader charismatique », car on risquerait de tomber « dans le culte de la personnalité ». On risque, en premier lieu, de se condamner à pourrir éternellement dans l'enfer médiatique.
Que serait la vie politique catalane sans les Jordi Pujol, les Artur Mas, les Oriol Junquera et les Ada Colau (maire de Barcelone, qui prône aussi l'indépendance), la vie politique écossaise sans Alex Salmond et Nicola Sturgeon ? Le HDP aurait-il pu obtenir le score inespéré de 13% de voix sans Selahattin Demirtas ? (voir notre article)
Une lutte locale ne peut être endossée par une organisation politique que si elle se relie clairement à un objectif. C'est pourquoi, Europe-Écologie-Les Verts en appuyant avec trop de vigueur des luttes locales comme Notre-Dame-des-Landes ou Sivens a fini par semer le doute sur sa capacité à parler sur des sujets englobants. Le tournevis de José Bové a, surtout, démonté l'échafaudage de sa doctrine.
Les formations bretonnes sont entre deux tentations : s'agiter sur le terrain pour satisfaire les adhérents en mal d'activisme ou tirer argument de l'action de leurs (rares) élus quand ils obtiennent des avancées sur certains objectifs jugés mineurs par les autres élus.
Pour les Bonnets rouges, l'étape suivante était la construction d'une machine politique (elle est toujours en construction et la dispersion activiste les menace). Pour ceux qui veulent concourir aux élections, il faut une machine électorale.
L'actuel front breton en gestation peut être le début d'un vent nouveau dans les organisations bretonnes, mais il faudra qu'elles mettent au grenier nombre de principes et de méthodes empilées sans réflexion depuis des dizaines d'années et que, si elles prétendent s'inspirer des exemples étrangers, elles doivent retenir en priorité les mots : révolution dans l'organisation (plus de numérique et de concentration sur les buts), recherche de l'inclusion, transparence sur soi-même, ouverture à de nouveaux thèmes sociaux.
Note : LGBT est un acronyme pour les organisations défendant les droits des lesbiennes, gay, bisexuels et transgenres. Comprendre ici que le HDP a pris position contre la répression policière et judiciaire qui les frappe en Turquie.
Christian Rogel
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