Naissance d'une communauté culturelle : la brittophonie

Chronique publié le 29/05/15 10:04 dans Langues de Bretagne par Christian Rogel pour ABP
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Affiche de promotion pour l'enseignement du breton aux adultes

D’une élite réduite à une communauté culturelle

La langue bretonne a manqué au 19ème et au 20ème l’étape décisive de l'élargissement de l’enseignement pour avoir une classe moyenne instruite. En 1834, un comité ne retient pas l’idée de s’appuyer sur la langue que parlent les gens pour les amener à la lecture. La question était de pure forme, puisque les élites françaises voyaient, depuis la Révolution, le breton et les autres langues comme un obstacle à l’unité de la France (cela n'a pas changé, voir la tirade de Pompidou et le refus obstiné de ratifier la Charte des langues moins répandues, promesse 56 de François Hollande).

Jusqu’à la mise en place d’un enseignement en breton par Diwan en mai 1977, le fossé était énorme entre une masse brittophone incapable, peu ou prou, de lire de longs textes en breton et une élite intellectuelle, gardienne de la littérature, mais, ne pouvant investir les autres champs culturels et scientifiques, faute d'école.

Aujourd’hui, si le nombre de brittophones s’est beaucoup réduit (de plus d’un million en 1900 à 200 000 aujourd’hui), le tableau est en train de changer, car, les brittophones instruits augmentent et une partie de ceux qui ont acquis la langue par imprégnation familiale tissent des relations avec les jeunes qui sortent des écoles bilingues breton-français.

Le mot communauté est ici employé dans son sens international, marquant ce qui est en commun à des gens, mais qui ne les réduit pas à cela, et non pas dans le sens républicaniste et parisien, méprisant et discriminatoire. Constitutionnellement, la Belgique a trois « communautés (allemande, flamande, française) », la plus fermée aux langues des deux autres étant, et ce n’est pas un hasard, celle de la communauté francophone.

Irruption d’une jeunesse brittophone décomplexée

Le nombre de jeunes scolarisés en breton a atteint 15 000 en 2014, mais, depuis 38 ans, les différentes « cohortes » ont cumulé plusieurs fois ce chiffre et les ménages qui en sont issus peuvent garder le breton comme langue familiale ou mettre leurs enfants dans un type d’école qui leur avait été si bénéfique. Ils portent les projets de nouvelles écoles bilingues ou de crèches enfantines.

Toute une génération de trentenaires, non seulement veut continuer à pratiquer la langue aussi souvent que possible, mais, elle veut, soit un métier en breton, soit des loisirs créatifs en breton. Pour elle, le cinéma, la radio, la télévision, la musique, le théâtre, l’utilisation des outils informatiques (plusieurs logiciels son traduits, dont Firefox, LibreOffice, The Gimp et Inkscape), les blogs, l’usage des réseaux sociaux (Facebook a une version en breton) doivent pouvoir se faire en breton. Ils créent des troupes de théâtre et pratiquent la vidéo, dont ils ont appris les règles à l'école. La création d’une chaîne de télévision tout en breton n’est plus inaccessible, puisque la télé hertzienne est condamnée à terme.

Le collectif de jeunes Ai'ta appelle à des démonstrations non-violentes pour que les élus et les services publics prennent en compte le breton dans la vie sociale et « n'oublient » pas d’apposer une signalisation bilingue sur les routes ou dans les services publics. Il annonce la création d'un lobby qui interviendra dans les prochaines élections régionales (voir notre article).

La professionnalisation et l’amélioration de l’enseignement du breton aux adultes

Grâce aux aides publiques, surtout de la Région Bretagne, les cours de breton sont rarement donnés par des bénévoles, mais, par des professionnels utilisant des méthodes adaptées des meilleures pratiques internationales.

Quatre organismes (Merwent, Roudour, Skol an Emsav, Stumdi) proposent des cours hebdomadaires, la journée ou le soir, et, aussi, une « formation longue » de 5 jours sur 6 mois (environ 840 heures), qui donne une aisance effective dans la parole et l’écrit en breton. Le breton est enseigné dans plus de 50 villes, incluant Paris et sa banlieue, Lyon, Tours et, aussi, New-York et Saigon.

Le nombre d’apprenants est chiffré par l’Office public de la langue bretonne à 3 500 par an, dont 500 deviennent pleinement brittophones, mais le breton est mieux et plus vite appris, si bien qu’il peut faire partie d’un projet professionnel, aidé par la Région. Le nombre d’emplois liés au breton dépasse maintenant 1 300 (2013) et ils se diversifient lentement, depuis l’enseignement et les services périscolaires, principal gisement, vers les médias, l’animation, la traduction et la santé. Les offres et demandes d’emploi sont recueillis sur le site Labour zo (voir le site) .

Un professeur en chair et en os n'est plus le seul médiateur, puisqu’EduBreizh a lancé des cours sur Internet sous forme de MOOC (cours structurés en ligne), avec réception possible sur un smartphone. 5 000 personnes s’y sont inscrites dans un temps record.

Le breton se pratique de plus en plus dans les villes grandes et moyennes

Dans une Bretagne qui tend vers l’urbanisation et la densification des zones péri-urbaines, les jeunes brittophones, après des études universitaires longues, finissent par s’établir préférentiellement dans les agglomérations de Brest et de Rennes (étude du cas de 216 anciens lycéens Diwan par l’Office public de la langue bretonne en 2012).

C’est aussi dans les agglomérations moyennes et grandes que viennent habiter des retraités qui veulent renouer avec la langue de leur jeunesse et, qui n’hésitent pas à prendre des cours.

Un réseau culturel pour des activités intergénérationnelles

En 20 ans, plus d’une quinzaine de fédérations locales d’associations culturelles bretonnes ont été créées avec le soutien des collectivités publiques. Parmi les plus récentes, on peut citer Auray, Landivisiau et Quimperlé, ainsi que les projets de Vannes et le futur grand pôle culturel breton de Saint-Herblain (14 000 m2). Dans certaines villes, elles disposent d’une « maison de pays » (ti ar vro) avec des locaux et une équipe de professionnels brittophones.

Parmi les nombreuses activités proposées, il en est trois qui sont susceptibles de faire levier pour le décloisonnement social et générationnel.

Le théâtre et l’audiovisuel en breton qui sont stimulés par l’arrivée des jeunes brittophones, les clubs de conversation (flapiñ, flapañ) qui font se rencontrer de jeunes apprenants et des brittophones d’âge mûr ne maîtrisant pas l’écrit, et, moins souvent (il y a en a une dizaine), les cercles de lecture qui ont une petite influence sur la vente des livres et sont l’occasion pour les auteurs de dialoguer avec leur public.

Une nouvelle pratique, hors-les-murs, mais, liée aux activités des maisons de pays, est la rencontre hebdomadaire des brittophones dans un restaurant (pred ar vrezhonegerien), qui peut concerner deux ou trois dizaines de personnes, qui ne viennent pas à chaque fois, ne serait-ce que pour des raisons financières. Tous les sujets sont abordés, de l’actualité à la culture.

En résumé, la communauté culturelle brittophone est en mouvement et la décroissance du nombre des locuteurs ne l’empêche pas d’investir de nouveaux champs culturels et de réinventer des pratiques sociales dans la vraie vie ou par Internet.

L’élargissement du domaine du breton :

An Drouizig (traduction de logiciels grand public) : (voir le site)

Labourzo : offre d’emploi d’un développeur pour la création d’un réseau social en breton (voir le site)

Chaîne de France 3 Bretagne rediffusant les émissions en breton sur Dailymotion : (voir le site) (Bali Breizh et Mouchig-Dall)

DAO (fédération pour l'enseignement du breton aux adultes) : (voir le site)

Dizale (formation aux métiers audiovisuels, doublage et sous-titrage en breton) : (voir le site)

EduBreizh (le breton appris par Internet) : présentation sur YouTube (voir le site) Pré-inscription au MOOC Été 20115 (voir le site)

Dictionnaire breton-français et français-breton Freelang, téléchargeable et modifiable : (voir le site)

Les « ententes culturelles de pays » et les centres culturels pour la culture bretonne : Auray (Ti Douar Alre), Bains-sur-Oust (Entente bretonne), Brest (Sked), Carhaix (Centre culturel breton Egin), Cavan (Ti ar Vro Treger-Goelou), Concarneau (Tud Bro Konk), Douarnenez (Emglev Bro Douarnenez), Guingamp (Centre culturel breton), Landerneau (Ti ar Vro), Landivisiau (Strollad Bro Landi), Lannion (Centre culturel breton), Lesneven (Ti ar Vro Bro Leon), Lorient (Emglev an Oriant), Morlaix (KLT), Nantes (Agence culturelle bretonne Morvan Lebesque), Pont-l’Abbé (Startijenn ar Vro vigoudenn), Quimperlé (Ti ar Vro Bro Gemperle), Rennes (Skeudenn), Saint-Brieuc (Telenn et Centre culturel breton Abhervé), Saint-Herblain (Yezhoù ha Sevenadur), Saint-Malo (Centre culturel breton). En cours de création : Saint-Brieuc (Maison des cultures de Bretagne), Vannes (Ti ar Vro Gwened).

Christian Rogel

Licence pour reproduction intégrale, sous condition de mention de l’auteur et de l’Agence Bretagne Presse


Vos commentaires :
Mardi 30 avril 2024
@Spered dieub
Vous avez parfaitement résumé le fond de ma pensée.
Pour enfoncer un peu le clou, j'oserai même affirmer que ces gens (qui ont maintenant plus de 60 ans) de Bretagne occidentale qui ont abandonné le breton (ou du moins n'ont pas voulu soutenir sa pratique quotidienne) pour passer au français se sont lourdement trompés.
En effet qu'a apporté l'abandon du breton comme langue d'usage en «Basse Bretagne»? Les gens sont-ils plus riches qu'avant, sont-ils plus intelligents qu'avant? La République française les a-t-elle remercié par l'arrivée massive de subventions ou mieux par une décentralisation réelle?
la réponse est hélas connue : RIEN ! C'est ce qui s'appelle s'être fait avoir.
Moi, je fais partie de la génération des moins de 50 ans, génération qui a connu le breton comme langue d'usage mais à qui on n'a pas voulu apprendre le breton, sous prétexte de progrès.
Pardonnez-moi mais je ne vois pas où est le progrès? (les quelques avancées qu'il y a pu avoir en Bretagne ces dernières années n'ont eu rien à voir avec un quelconque statut/état de la langue et elles ont été uniquement obtenues par la pression des Bretons; d'ailleurs elles auraient très bien pu être obtenus sans abandon de la langue bretonne)
Et ces gens là voudraient nous donner des leçons ?
C'est pathétique
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