Des Bretons et des Armoricains…

Chronique publié le 27/04/15 19:19 dans Histoire de Bretagne par marc Patay Lejean pour ABP
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Tractus armoricanus. Source : Wikipédia commons

Quand on évoque l'Armorique, on pense à la Bretagne ; il n'en a pas toujours été ainsi. Avant même l'avènement de César, les peuples de la Confédération d'Armorique, englobée ensuite dans la Gaule Lyonnaise, peuplaient une vaste région, s'étendant, suivant les auteurs, de la Loire (ou Garonne) à la Somme. César en parle dans « La Guerre des Gaules ». Les peuples qui composaient cette confédération, y compris ceux de notre péninsule, possédaient en commun la culture celte (y compris des peuples pré-celtiques), et cela les rapprochait donc des Bretons insulaires qui allaient bientôt débarquer en Gaule, dans ce pays qui jouxte la mer, aremorica … petite Bretagne, Normandie, pays de Caux. Par ailleurs, des Brittani sont attestés sur le continent dès le 1er siècle avant notre ère (1).

Les Bretons sont parfois décrits comme un peuple éreinté par l'histoire, un reliquat de ces tribus celtes marchant vers l'Ouest au cours des siècles, curieux de symbolisme en art et fort ingénieux dans les techniques, qui échouèrent aux extrémités du continent, face à l'océan. Thèse romantique mais peu convaincante. Les Celtes, proches des Germains, ont failli dominer l'Europe ; comme conquérants ou mercenaires, ils ont conquis Rome et foulé l'Asie Mineure et la Haute Égypte. Leur valeur guerrière fut appréciée à sa juste valeur par l'Empire Romain qui a fait de ces hommes un rempart contre les nouveaux barbares, Saxons, Germains/Francs, etc. On les vit contenir les envahisseurs, du Rhin (Bonn) au Danube (Ratisbonne), parcourir la Gaule en tous sens et s'y fixer en petites communautés ; d'innombrables toponymes en témoignent.

Mais c'est surtout sur les côtes de la Manche et de l'océan qu'ils se fixèrent dès les premiers siècles, dans cette ancienne Confédération Armoricaine ; saints bretons (Josse, Maclou, Emilion, Judoc, Meen, Samson), monastères (Ponthieu, Pental), évêques (Gonothigerne à Senlis, Brito à Trêves), témoignent de cette diaspora. Il est vain d'opposer Bretons et Normands, car le fond de population est le même !

Sachant cela, on comprend mieux certains faits historiques. Lorsque l'usurpateur Maxime fut défait en 388, ses troupes bretonnes restèrent en Gaule et s'établirent dans une vaste région délimitée par le Mons-jovis, Quantevic (Etaples) et le Menez-Hom ; soit pour certains la Canche, le col de Saint-Bernard et le Menez-Hom ; pour d'autres, Mons-jovis serait le Mont Dol et Quantevic, Nantes (Condevicnum). Dans le premier cas, cette région recouvre à peu près l'ancienne Fédération Armoricaine, ensuite la III lyonnaise. Durant les crises de l'Empire, la révolte des Bagaudes (bagads ou troupes), aux 3è et 4è siècles, se cantonna dans le nord-ouest de la Gaule, là ou résidaient Bretons et Armoricains. Sidoine Apollinaire, évêque d'Auvergne du 5è siècle, signala une légion bretonne au-dessus de la Loire et Blois appartint aux Bretons jusqu'à Clovis. Sidoine évoque le chef breton Ambrosius Aurélianus, alias Riothime, le Merlin de la légende, qui, battu à Déol en 469, se réfugia en Bourgogne (Avalon ?). Ce chef, roi des Bretons et des Francs, parent de Pol Aurélien (du Léon), parcourait un pays familier quand il secourut le parti romain contre les Wisigoths puis les Francs. Ce Riothime aurait régné des deux côtés de la Manche tout comme Riwal, Conomor (5) et Daniel Drem Rud. (2)

Un peu plus tard, Childéric était repoussé sur la Somme et Paris délivré par les Impériaux, dont nombre de Bretons. Son successeur, Clovis, par l'entremise d'évêques bretons, s'alliait avec ces derniers pour faire front commun contre les Wisigoths ; il dut en contrepartie se faire baptiser. De même que durant la guerre de cent ans, cette alliance avec les Bretons sonnait le fin du parti adverse, car les Wisigoths furent défaits peu de temps après.

Plus tard, quand les Vikings déferlèrent sur la petite Bretagne, nombre de moines connurent l'exode et retrouvèrent le chemin d'anciennes communautés bretonnes, en Bourgogne (3) ou jusqu'à Montreuil sur mer (4) et l'Angleterre. En 1066, les Normands s'allièrent naturellement aux Bretons pour partir à la conquête, reconquête pour ces derniers, de l'Angleterre. Les Anglo-Saxons défaits abandonnaient leur fiefs aux vainqueurs. Les Bretons qui durent quitter leur île en masse vers les 4 et 5e siècles ; sous la pression des Pictes et des Scots, à l'ouest et au nord ; plus tard, des Anglo-Saxons à l'est ; ces Bretons recouvraient leur terres ancestrales. Ce point d'histoire n'est pas assez noté.

Dans les livres d'histoire de la Bretagne (6), une césure nette apparaît entre la période gallo-romaine et la période bretonne, à partir du Vè siècle le plus souvent. Une mauvaise habitude, apparue au 19è siècle, qui tend à minorer les rapports entre Bretons et Armoricains ; la présence bretonne en Gaule durant les siècles précédents ; et à renvoyer dans les limbes, dans la légende en tout cas, tout une série de chefs et de rois bretons, antérieurs à Clovis, dont parlent d'abondance les hagiographies des saints bretons. Or tout n'est pas qu' invention (7)

On le voit bien aujourd'hui, lorsqu'on évoque le nom de Maxime et ses Bretons, d'Ambrosius Aurélianus ou du roi Vortigern, dont parlait aussi Geoffroy de Monmouth et dont l'existence ne fait plus de doute. D'ailleurs, Grégoire de Tours, grand admirateur des Francs, avouait que depuis Clovis, les Bretons n'avaient plus de rois, c'était reconnaître qu'ils en eurent !

"Notes"

1. Les origines de la Bretagne, Léon Fleuriot, page 53.

2. voir mon article Abp : Les Bretons faiseurs de rois

3. Saint Germain d'Auxerre dirigea un temps les affaires bretonne, il connu Vortigern, son nom apparaît sur le pilier d'Eliseg, au pays de Galles

4. Qui se trouve non loin de Quentovic

5. Le roi Conomor dont le nom apparaît sur le pilier de Fowey en Cornouaille : « Tristan fils de Conomor »

6. "La Bretagne des saints et des rois, Ve-Xe siècles" de André Chedeville, Hubert Guillotel/ "les anciens Bretons" de Patrick galliou, Michael Jones/ "The colonization of Brittany" de Nora Chadwick/ "Les origines de la Bretagne" de Léon Fleuriot. Voir aussi "Genèse de la Bretagne armoricaine" de Jean-Claude Even/ "THE AGE OF ARTHUR" de JOHN MORRIS/ "LES ROYAUMES BRITTONIQUES AU TRÈS HAUT MOYEN-AGE" d'Y. KERBOUL/ "SAINTS SEAWAYS AND SETTLEMENTS IN THE CELTIC LANDS" de E.G. Bowen/ "La Naissance des nations brittonique de 367 à 410" d'Alan J.Raude/ "la fin de l'armée romaine 284-476" de Philippe Richardot

7. A ce propos, les Chroniques de Touraine recèlent cette perle concernant Arthur et quasi inédite : « en 474, Arturus est élu au trône de Bretagne (grande) à l'âge de 24 ans » !

8. La carte en Une : The Late Roman fortifications of the “en:Saxon Shore” (litus Saxonicum) in Britain and northern France. Date 4 October 2007; Source Base map found here, otherwise self-made; Author Cplakidas


Vos commentaires :
Dimanche 5 mai 2024
Effectivement ,c'est aux bretonnants de s'attacher au développement du Breton littéraire.Ils le font très bien d'ailleurs rassurez vous.
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