Hermione, Lafayette, etc. et si on parlait de La Rouërie, un héros américain et néanmoins breton

Chronique publié le 21/04/15 15:12 dans Histoire de Bretagne par Jacques-Yves Le Touze pour JYLT
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La Rouërie en uniforme de dragon américain, portrait conservé aux USA
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La statue de La Rouërie par Jean Fréour à Fougères

Ces derniers jours, les média nous abreuvent d'informations sur L'Hermione et La Fayette [[Gilbert du Motier de La Fayette]]. Et il faut bien dire que la reconstruction à l'identique de L'Hermione, [[Hermione (2014)]] est une magnifique aventure, un projet qui fut fédérateur de nombreuses énergies et d'une cohérence historique et culturelle évidente.

Ça me rappelle une discussion avec Jean-Yves Le Drian, alors maire de Lorient, au tout début des années 1990, qui souhaitait  lancer le projet de reconstruction d'un navire de la Compagnie des Indes : ça aurait été en effet une initiative positive pour le pays de Lorient, initiative qui malheureusement n'en est restée qu'au stade de projet. Dommage, occasion manquée (à dire vrai, on a un peu l'impression de les collectionner à Lorient...).

Bref, nous voilà à applaudir le départ de L'Hermione et sommés de bien comprendre l'apport historique de La Fayette à l'indépendance des États-Unis d'Amérique. Et il est vrai que le royaume de France a aidé de façon importante les insurgés américains, non pas comme on nous le serine en permanence au nom de la Liberté, mais tout simplement pour "embêter" la "perfide Albion" qui venait de gagner la guerre de 7 ans et de mettre la main sur la "Nouvelle France" canadienne.

Comme la France aiderait un peu plus tard les insurgés irlandais ou l'Angleterre les chouans de Cadoudal. Les grands principes sont bien loin et la vieille maxime "les ennemis de mes ennemis sont mes amis" bien plus adéquate pour décrire ces épisodes historiques.

Bref (bis repetita), L'Hermione, La Fayette, l'indépendance américaine, tout ça m'amène à revenir sur le personnage du Colonel Armand, comme on le connaît aux USA, La Rouërie comme on le connait en Bretagne, ou [[Armand Tuffin de La Rouërie]]. Un personnage flamboyant qui eut, pour son malheur, l'attention de s'occuper de l'avenir de ses hommes, et qui fut jeté aux oubliettes de l'histoire par la pensée franco-jacobine dominante ayant fait l'erreur "impardonnable" de s'opposer aux dérives dictatoriales de la révolution française.

Il n'est pas dans mon intention de revenir ici sur la vie bien remplie de La Rouërie, plusieurs biographies l'ont fait, mais de souligner le côté extraordinaire du personnage, de son importance historique et de l'oubli dans lequel il est maintenu par l'histoire officielle française.

Pour résumer, voilà un homme issu de la noblesse bretonne qui fait une petite carrière militaire, adhère à la franc-maçonnerie, admire la révolution américaine, part à ses frais en Amérique au début de l'année 1777, manque de se noyer en y arrivant sous le feu des navires anglais, et devient officier de l'armée insurgée en créant ce que les Américains connaissent sous le nom de "légion Armand", un corps de "chasseurs libres et indépendants" fort de 500 hommes, sorte de brigade légère, et après moult combats, pour finir, à la demande de George Washington, général de l'armée américaine en 1783.

Arrivé en Amérique avant La Fayette, il fut l'un des derniers à revenir en France, souhaitant s'occuper des hommes de sa légion dissoute après la fin de la guerre d'indépendance. Ne pouvant rester au sein de l'armée américaine malgré son souhait, La Rouërie revient en Bretagne, avec de nombreuses dettes dues aux emprunts qu'il avait faits pour s'occuper de ses hommes ; étant rentré l'un des derniers, il ne profita d'aucune retombée "médiatique" à l'inverse de La Fayette et ne put même pas obtenir le commandement d'un régiment, les différents postes ayant déjà été répartis parmi les vétérans de la guerre d'Amérique.

En 1788, La Rouërie sort de sa semi-retraite pour prendre part au bras de fer entre le Parlement de Bretagne et Versailles, le Parlement de Bretagne refusant d'approuver les édits royaux limitant ses pouvoirs. La Rouërie fera partie de la délégation de douze nobles bretons envoyés à Versailles pour plaider la cause du Parlement. Ils ne seront jamais reçus et au lieu de ça, le 14 juillet 1788, la délégation est enfermée à la Bastille... Ils seront libérés fin août suite à la chute du ministère Brienne.

Le retour de la délégation en Bretagne est triomphal et notamment pour La Rouërie à Fougères. Sa réputation grandit à travers toute la Bretagne. En 1789, La Rouërie souhaite devenir député aux États Généraux malgré la décision du corps de la noblesse bretonne de boycotter cette assemblée.

La Rouërie tente de raisonner ses pairs sans succès ; il tentera aussi de réconcilier les étudiants de Rennes qui sont un peu le bras armé de la bourgeoisie et du Tiers État. Là encore échec de La Rouërie malgré son aura parmi les jeunes étudiants.

Ces deux échecs vont l'empêcher de participer aux débats des États Généraux à son très grand regret.

La Rouërie est un libéral inspiré par les évolutions politiques britanniques et américaines. C'est la suppression du Parlement de Bretagne et des institutions bretonnes le 4 août qui lui fait penser que le pire est à venir. Pour La Rouërie, ce sont les Parlements provinciaux qui devraient être renforcés pour contrebalancer le pouvoir de Paris et leur suppression pour mettre en place une seule assemblée à Paris lui semble conduire directement au despotisme.

Voici un extrait d'un de ses courriers envoyés à [[George Washington]] en 1789 : « Nos affaires dans cette partie du monde ne vont pas comme les gens honnêtes et impartiaux le voudraient. Votre Excellence doit s'attendre avant longtemps à de très affligeantes nouvelles de ce côté-ci. Je crains deux grands maux pour ce pays : l'anarchie et le despotisme. […] Chaque esprit ici se prétend un génie et se croit être un législateur. Des hommes d'esprit, nous en avons. Des hommes de savoir, des virtuoses des arts et des sciences, nous en avons. Mais des hommes remarquables par la profondeur de leurs vues et leur dévotion au bien public, ceux-là, nous n'en avons pas. La Noblesse se cramponne à ses droits de naissance. Quant au Clergé, il se battrait s'il avait plus de courage et moins d'enfants naturels. […] Mon cher Général, ce n'est pas ainsi que vous et votre pays avez conquis la liberté ». 

Que voilà des propos d'une grande modernité, non ? Après avoir hésité à repartir aux États-Unis, La Rouërie reste finalement en Bretagne et développe l'idée d'une "Association Bretonne" dont le but est de redonner à la Bretagne ses institutions et son autonomie dans le cadre d'une monarchie maintenue et rénovée. Il va désormais s'employer à organiser cette Association Bretonne à travers toute la Bretagne. Face à la radicalisation du pouvoir parisien, La Rouërie pense qu'il est temps d'organiser un soulèvement armé en Bretagne. Ce soulèvement, La Rouërie ne le verra pas : pourchassé par les révolutionnaires, La Rouërie décédera d'une pneumonie le 31 janvier 1793 à La Guyomarais (Saint-Denoual). Les révolutionnaires déterreront son corps et le décapiteront...

L'Association bretonne cesse ses activités et le soulèvement du 10 mars 1793 n'aura pas lieu. En revanche, c'est la chouannerie qui prendra le relais sans toutefois reprendre à son compte les buts explicites de La Rouërie, notamment sur l'autonomie de la Bretagne. En 1988, en tant que directeur-adjoint de l'Institut Culturel de Bretagne, je travaillais avec le professeur Roger Dupuy à la réalisation d'une exposition sur la révolution française en Bretagne (dont une centaine d'exemplaires fut achetée par des communes  des cinq départements bretons pour le bicentenaire de 1789). Après avoir longuement discuté et argumenté avec Roger Dupuy, j'obtenais que La Rouërie y figurât.

C'est à cette occasion que je me suis rendu compte de l'ostracisme qui frappait la figure de La Rouërie, remisé aux poubelles de l'histoire par la pensée historique dominante à sens unique.

Ce qui n'était pas le cas de Roger Dupuy, bien heureusement. En 1993 était inaugurée à Fougères, une statue de La Rouërie réalisée par Jean Fréour grâce au soutien américain de la Fondation Florence Gould. Le discours à cette occasion du député-maire PS Jacques Faucheux fut remarquable. La Rouërie fut un personnage extraordinaire dont la vie fut un véritable roman et dont les idées sur la répartition des pouvoirs finalement restent d'une grande actualité.


Vos commentaires :
Mardi 30 avril 2024
Très intéressant les commentaires des uns et des autres,je serais d'accord de réhabiliter le Marquis de la Rouerie, sans doute peu de gens ne connaissent Armand Tuffin de La Rouerie, il faudrait donc organiser un évènement dans la région de FOUGÈRES.
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