La France comme si...Interview avec Yvon Ollivier

Interview publié le 24/02/15 17:38 dans Politique par La Rédaction pour ABP
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Yvon Ollivier

Yvon Ollivier, vous sortez un nouvel ouvrage intitulé « la France comme si.. » chez Le Temps éditeur qui traite notamment de l'insertion de la France dans la mondialisation. La mondialisation n'a pas bonne presse, est-ce vraiment une chance ? Et quelle place pour la Bretagne ?

Je ne raisonne pas en termes de chance, mais plutôt en termes de constat. La mondialisation, nous y sommes ! C'est un fait car les économies sont intégrées. La mondialisation est le produit d'un ordre juridique international qui repose avant tout sur les Etats-nations. Ce sont eux qui en sont à l'origine, par volonté ou par faiblesse devant les forces de l'économie et de la finance. Qu'on le déplore ou non, il nous faut donc nous débattre. Il y a des territoires qui s'en sortent bien lorsque d'autres périclitent.

La mondialisation, c'est le mur contre lequel s'écrase le système juridico-politique français. Le système français était redoutable à l'ère des Etats-nations. Aujourd'hui, c'est un poids dont la France paie le prix fort. Je ne pense pas qu'il y ait grand avenir pour les sociétés tournées contre leur diversité, leurs territoires et donc contre les hommes dans la mondialisation et la concurrence qu'elle génère. La France souffre d'une sphère publique hypertrophiée que nourrit le besoin de protection et de grandeur. Elle ne parvient qu'à se réformer en surface, jamais en profondeur, lorsque les autres Etats nations le font. Elle ne peut résoudre ses contradictions que par une pression fiscale accrue et l'endettement, car elle manque cruellement d'unité.

Quant à la Bretagne, comment pourrait-elle réussir lorsque son territoire demeure coupé en deux, que la fracture entre l'est et l'ouest est appelée à s'intensifier avec la métropolisation ? La Bretagne en tant qu'institution est un nain politique et juridique qui ne dispose pas des leviers du développement. Dans ce système centralisé, la Bretagne n'est qu'une variable d'ajustement au service d'autres intérêts. Et pourtant, elle a des atouts inestimables avec sa géographie, ses ressources maritimes et l'esprit d'initiative et de solidarité de sa population. Vu de l'étranger, on se demande pourquoi la France est incapable d'oser la Bretagne…

Le reste du monde a choisi le libéralisme économique, comment s'y adapter ?

J'essaie d'être lucide. Les Etats ont renoncé au contrôle politique de la finance internationale. Une fois passée la crise financière, les habitudes spéculatives ont repris comme avant. L'Etat protège de moins en moins. Le système de protection social français se délite sous nos yeux. Je pense que la seule manière de réguler la mondialisation de l'économie et d'obtenir une protection sociale décente se situe désormais au niveau supranational, ce qui suppose d'importants transferts de souveraineté. Il faut reconstruire un ordre juridique international, plus multilatéral et démocratique et mettre fin au concert des nations qui entrave toute avancée protectrice. C'est la même chose au niveau européen. C'est par plus d'Europe que nous pourrons restaurer une concurrence loyale et mettre en place un socle social protecteur commun.

Vous parlez d'absence d'unité et pourtant la population française s'est montrée unie après les tragiques attentats du mois de janvier 2015 ?

Il y a en France un fort besoin d'unité car elle en manque. La nation construite historiquement contre sa propre diversité, sous l'égide des plus hautes valeurs -l'égalité, l'universel- aboutit logiquement à l'inverse du résultat recherché avec la formation progressive d'une élite - une sorte d'aristocratie républicaine- coupée du peuple comme vient de l'illustrer encore l'échec de la réforme territoriale.. Dit autrement, la République a perdu ses vertus émancipatrices mais fonctionne sur le mode de l'incantation pour mieux préserver des rentes de situation sociale, économique, culturelle et aussi politique.

Or la seule manière de réunir les hommes en France, ce n'est pas sous l'égide de l'unicité ou de l'éradication de tout ce qui dépasse, mais par la vertu émancipatrice des grandes valeurs à retrouver. C'est tout l'enjeu de l'intégration. On n'intègre jamais que lorsque l'on ne doute pas de soi, de ses propres valeurs. La France, nation politique ne peut être que du côté des valeurs.

Or aujourd'hui, nous avons la France de la crainte et de l'unicité, en laquelle la diversité humaine ne peut se retrouver. Cette France unicité déshumanise à petit feu et ne créée pas d'unité, juste une forme de totalité qui nourrit la haine. Pour moi, la République doit libérer, émanciper, au risque de bousculer les rentes de situation. Elle doit avoir confiance dans les hommes et les territoires. Il ne sert à rien d'avoir une République qui marche au pas lorsque son école est en échec total sur le terrain de l'égalité des chances. Il n'y aura pas plus d'unité, bien au contraire.

Comment peut-on vous définir ?

Je me considère avant tout comme un militant du genre humain. Car la domination culturelle, économique, territoriale et sociale que nous subissons en Bretagne est de celle que l'on n'aborde pas facilement. C'est un peu la face cachée des choses, l'impensée ou l'impensable. Et je reste persuadé que l'humanité, si elle veut se donner quelques chances de paix voire de survie, doit penser l'impensable. Dit autrement, il revient à chaque nation de penser sa face sombre, car elles en ont toutes une. Il leur revient de penser toutes les formes de domination surtout lorsqu'elles s'inscrivent dans les fondations du droit. En fait, je me demande comment peut-on ne pas être militant breton lorsque l'on est soucieux du lien entre les hommes et de démocratie comprise comme empathie ou respect des droits fondamentaux.

Peut-on voir dans ce nouvel ouvrage une référence en creux à l'ouvrage de Françoise Morvan ?

Pas du tout. Il n'y a aucune référence à chercher de ce côté-là. Les travaux anti-bretons de Françoise Morvan ne m'intéressent pas, hormis la virulence et la haine qu'elle voue à son identité bretonne. Car là on touche à quelque chose d'important. La haine qu'elle voue à son identité bretonne et donc à elle-même, trahit un rapport d'aliénation singulier, et toute la violence psychologique qu'a subie notre peuple et qui se traduit par un processus de retournement contre soi dont nous n'avons pas encore pris toute la mesure.

Et la démocratie dans tout cela ? Vous parlez beaucoup de souveraineté partagée, comment peut-on la définir ?

Nous avons fait l'apprentissage de la démocratie avec la France, sur le mode de l'indivisibilité de la souveraineté nationale, mais le moment est venu pour nous d'aller plus loin car la démocratie désormais tourne à vide. Elle nous est pour ainsi dire confisquée, comme vient de l'illustrer cruellement la réforme territoriale. Nos élus se bornent à soutenir les décisions de la centralité au lieu de faire remonter les aspirations du peuple. Le principe démocratique repose sur la séparation que procurent des formes de reconnaissance statutaire, qui doivent permettre à chacun de prendre les décisions qui ne concernent que lui. Je rêve d'une Bretagne dotée des compétences lui permettant de développer son territoire, de sauvegarder ses langues et culture, bref de faire entendre sa voix singulière.

En Bretagne, nous avons conscience des enjeux liés à la sauvegarde de notre culture et au développement de notre territoire, mais nous n'avons pas les moyens légaux de réagir. Au niveau planétaire, les hommes ont conscience des dangers qui menacent la survie de l'humanité, mais ils n'ont pas les moyens légaux pour prendre les décisions appropriées. Dans les deux cas, c'est l'indivisibilité de la souveraineté qui est en cause. Seul le partage de la souveraineté, en permettant aux hommes de prendre les décisions qui les concernent, au niveau adapté, permettra de changer la donne.

Je crois que l'avenir de l'humanité est au partage. Au partage des ressources, des connaissances, comme au partage de la souveraineté. Il n'est rien de pire que les notions d'absolu, d'indivisibilité, ou d'unicité. Avec ces concepts-là, nous sommes sur le versant de la totalité, et non sur celui de l'unité.


Vos commentaires :
Jeudi 2 mai 2024
La mondialisation est un mot trop fourre tout pour qu'on puisse ainsi dire qu'on est pour ou contre.

La mondialisation, c'est la possibilité de se déplacer, de commercer avec le plus grand nombre, c'est une chance aussi pour certains pays de sortir de leur condition. De ce point de vue, oui, la Bretagne a des choses à y gagner : tant sur le plan économique pour vendre ses productions, que sur le plan culturel.

Mais la mondialisation, c'est aussi la spéculation, la possibilité d'éviter les taxes et impôts avec une fraude fiscale qui remet en cause les modèles sociaux évolués, c'est la main mise sur des pans entiers de l'économie par des entreprises qui n'ont de cesse d'unifier les identités et les cultures pour faire du monde un marché de consommateurs achetant les mêmes produits, écoutant les mêmes musiques, regardant les mêmes films... et de ce point de vue, l'identité et la culture bretonne, même si elle résiste plutôt bien, est à terme condamnée à disparaitre. Sans relancer le débat sur Françoise Morvan qui n'est effectivement pas le sujet, ce qui m'étonne le plus dans son discours depuis quelques temps, c'est la démonstration qu'elle tente de faire que les régions, et notamment la Bretagne, en refusant d'abandonner leurs particularités au profit d'un Etat nation présenté comme un rempart contre la mondialisation, seraient justement les chantres, les fers de lance de la dérèglementation, d'une attaque contre les protections sociales. Ainsi, pour elle, les entreprises bretonnes regroupées sous le label Produits en Bretagne pilotés par l'Institut de Locarn en serait le plus bel exemple. Outre le fait que nous pouvons constater chaque jour que l'Etat nation ne nous protège plus depuis bien longtemps, j'ai du mal à comprendre comment des entreprises qui revendiquent justement une appartenance et une accroche régionale puisse être considérées comme des bulldozers de la mondialisation. Ca doit bien faire rigoler les patrons de Google, Mac Do, Mac et autres géants. Bon, en même temps, on peut avoir des doutes sur le fait qu'ils lisent les ouvrages de cette personne ;-)

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