Le blasphème, un impératif laïque ?

Chronique publié le 18/01/15 17:29 dans Editorial par Jean-Pierre Le Mat pour JPLM
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L'humiliation

Les tueurs de Charlie Hebdo ont justifié leur crime. Leurs commanditaires l'ont justifié de la même façon. Tous, ils ont clamé qu'ils voulaient punir un blasphème. Cette revendication a été balayée, comme si elle n'avait aucune importance. Le blasphème n'existe pas en France. Tout le monde s'est mis d'accord pour définir la "vraie" raison de leur crime : ils se sont attaqués à la liberté d'expression, aux droits de l'homme, à l'humanité, à l'identité française. Tout cela est, semble-t-il, la même chose.

Que signifient ce refus d'entendre, et ces amalgames foireux ?

Aux temps des colonies, les Français redéfinissaient les contours des peuples, les noms des terres et des montagnes, niaient l'existence des langues ou des cultures. En Bretagne, nous avons aussi connu cela. Notre territoire a été démembré. Les noms de lieux ont été francisés. Notre sommet mystérieux et symbolique, le Tuchen Kador, a été rebaptisé "Signal de Toussaines". La langue bretonne a été, non pas interdite, mais refoulée dans la sphère privée, ce qui revient au même, l'hypocrisie en plus.

Les mêmes redéfinissent aujourd'hui les motivations des assassins. Ils recomposent le paysage en l'appauvrissant. Ils écartent les éléments qu'ils ne comprennent pas comme "communauté spirituelle", "sens du sacré", "sentiment de honte". Des millions de citoyens qui ne connaissent rien à l'Islam discourent sur la différence entre les bons et les mauvais musulmans, comme ils font la différence entre les bons et les mauvais Bretons. En fait, c'est toujours la même différence : celle qui existe entre Bécassine et Marion du Faouët, entre l'Oncle Tom et Malcolm X. A les entendre, nous devrions tous être des Oncles Tom, des Oncles Yann ou des Oncles Ahmed. Si nous n'acceptons pas ce rôle de faire-valoir, nous agressons la laïcité, les droits de l'homme, l'identité française, et tout le reste.

Les revendications collectives, qu'elles soient régionales, religieuses ou linguistiques, sont considérées en France comme un retour à de vieux crimes. Les Chrétiens ont régulièrement droit au rappel de l'Inquisition et des guerres qu'ils ont provoqué. En Bretagne, on nous ramène aux exactions de Breiz Atao. Les musulmans n'ont pas fini d'entendre parler de Charlie Hebdo. On va leur faire le coup de Breiz Atao et ils devront à tout moment se justifier, se désolidariser, à tout moment dénoncer. Amis musulmans, croyez-en un Breton ! Ne tombez pas dans le piège ! La peur et la haine se changeront en mépris car, si on craint les terroristes, on méprise les délateurs.

Condorcet et bien d'autres ont vu dans la société française une cascade de mépris. Le respect n'y est pas de mise. Autrefois les aristocrates, aujourd'hui les libres-penseurs se donnent le droit d'humilier ou de blasphémer. Piétiner les croyances ou la dignité de l'autre est pour eux une marque de liberté.

Oh, ce n'est pas vraiment symétrique ! Le droit au blasphème est limité en France. On peut insulter toutes les divinités du monde, sauf Marianne. Rappelons l'article 433-5-1 du Code pénal : "Le fait, au cours d'une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques, d'outrager publiquement l'hymne national ou le drapeau tricolore est puni de 7 500 euros d'amende. Lorsqu'il est commis en réunion, cet outrage est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende". On ne peut pas rigoler de tout, quoiqu'en disent nos humoristes..

Que nous soyons Charlie le temps de l'émotion, pourquoi pas ? Mais qu'on ne m'en demande pas plus. Selon l'éditorial du Charlie Hebdo du 14 janvier, nous devons nous prosterner devant la sainte laïcité. La laïcité, c'est l'union nationale, le consentement de tous, les droits de l'homme, l'identité française, etc. Disons-le d'une autre façon, le lyrisme cocardier en moins : La laïcité, c'est l'ordre public français. Cet ordre n'est plus celui d'un État monarchique et catholique. Il n'est pas celui d'une république islamique. Il n'est pas celui d'une monarchie constitutionnelle. Il n'est pas celui d'un État fédéral. Il est celui d'une République unitaire, laïque et centralisée, encombrée par un passé mythifié. Rien d'universel. Rien de bien motivant non plus.

On pourra parler de "laïcité tolérante", comme on parle d' "islam modéré", quand le site laïque le plus consulté sur internet ne sera plus l'intolérant « Riposte Laïque » (voir le site)

A la différence des libres-penseurs, je crois que la démocratie passe par le respect de ceux avec qui j'accepte de vivre. S'ils veulent vivre ensemble avec moi, que j'accepte de vivre ensemble avec eux, je ne chercherai pas à les blesser, même si je ne partage pas leurs croyances, même si la télévision me dit qu'ils ont tort. Lorsque je leur demande de respecter le rêve breton, j'attends d'eux qu'ils fassent de même. Oui, je sais, je suis un sale communautariste, un relativiste culturel, comme ils disent…

Si des nouveaux venus ne veulent pas vivre ensemble avec moi ou que je refuse de vivre ensemble avec eux, c'est différent. Mais à l'horizon, il y a l'isolement, la sécession, ou la guerre de civilisations. De plus en plus de Français et de Bretons assument cette position en toute conscience. On les classe généralement à l'extrême droite, mais ce n'est pas si simple.

On ne peut à la fois vouloir "vivre ensemble" et piétiner la diversité qui en résulte, sous prétexte de laïcité. Les blasphémateurs et humiliateurs se défendent de vouloir le conflit. C'est une blague. En réalité, ils y contribuent fortement. Les guerres commencent par des déclarations dont on n'a pas mesuré les conséquences. Cette fois-ci, pourquoi pas des caricatures ?

Libres-penseurs républicains, vous avez fait de la laïcité une arrogance. Le temps est peut-être venu d'y réfléchir. C'est vrai que nous, Bretons, nous avons notre part de responsabilité. Nous avons toujours réagi mollement, pacifiquement, à tout ce que vous avez bavé sur les ploucs, les demeurés, les illettrés et "le peuple noir" de Bretagne. Les Chrétiens ont aussi leur part de responsabilité, avec leurs messages d'amour et de pardon. Les Juifs aussi ont leur part de responsabilité ; une partie d'entre eux préfèrent émigrer. Tous, nous nous sommes tus, nous avons pleuré de honte, nous avons rongé nos poings. Vous étiez la race des seigneurs. Vous étiez nos juges.

Vous avez joué sur du velours. Vous avez fini par croire à l'impunité de vos provocations. Vous avez pris plaisir au blasphème. Vous avez considéré que l'humiliation des autres est sans conséquence.

L'avenir appartient-il à des barbares audacieux, sanguinaires et, en plus, très susceptibles ? Méfions-nous. Dans l'histoire des grandes civilisations, il est arrivé que ce soit le cas.

Jean Pierre Le Mat


Vos commentaires :
Mardi 14 mai 2024
@ L'autre Guérandais

La République prend un «R» majuscule, non parce qu'elle est grande, mais parce que c'est un nom propre nommant «un système hyper-centralisé et du fait faiblement démocratique où la nationalité est donné par l'appartenance à un état et non par l'appartenance à un peuple».

C'est un homonyme du mot république, qui lui prend un «r» minuscule tout comme monarchie «m» minuscule et royauté «r» minuscule car ce sont des noms communs.

Bien sûr la «République» joue à font l'amalgame avec le mot «république» (nom commun qui désigne tous les système de gouvernances existant d'un état qui n'est pas une monarchie).

La Monarchie peut être démocratique (de beaux exemples en Europe), la république peut l'être aussi (Iceland, USA, Allemagne, Finlande)..

Mais la République est une doctrine, elle se dit supérieure à la Démocratie et pouvant au besoin s'en passer (voir le discours très clair de N.Sakozy à la porte de Versaille fin 2014, et voir les récents prises de décisions de l'Etat).

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