Rhodes, une île grecque
aux portes de l'Orient
Du XVe au Ve siècle av. J.-C.
Rhodes est célèbre dans le monde entier grâce au souvenir du Colosse, l'une des sept merveilles du monde antique que Chateaubriand a d'ailleurs évoquée dans son « Itinéraire de Paris à Jérusalem » lorsqu'il fit halte sur cette île en été 1806 avant de repartir pour Chypre, puis pour la Terre Sainte. La plus orientale des îles du Dodécanèse, Rhodes, connue pour la présence des Chevaliers de Saint-Jean à l'époque médiévale, fut aussi, dès l'Antiquité, un lieu privilégié d'échanges entre l'Égypte et la Grèce, entre l'Égée et l'Orient.
Les quelque 380 oeuvres réunies dans le cadre de l'exposition «Rhodes, une île grecque aux portes de l'Orient», sont principalement en provenance des musées de Rhodes, du British Museum, de Copenhague et du Louvre et font découvrir la richesse de l'archéologie rhodienne entre les XVe et Ve siècles avant J.-C. (de l'âge du bronze à la fin de l'époque archaïque) en présentant les joyaux d'une production très diversifiée en terre cuite, en or, en argent et en bronze, en faïence et en verre, en pierre, en os et en ivoire.
L'exposition évoque l'histoire des fouilles, menées par des archéologues européens : des britanniques, danois, italiens et grecs, mais aussi par l'alsacien Auguste Salzmann, également artiste-photographe. A côté de lui, dans ses périples, un compagnon de route, Eugène Fromentin peintre et écrivain, contemporain de notre écrivain Trégorrois, Ernest Renan avec lequel d'ailleurs celui-ci « avait fraternisé dans l'idéal et dans un amour commun pour tout ce qui est choisi, mesuré » comme le précise Paul Souquet en faisant référence aux affinités électives entre Fromentin et l'auteur de « Prière sur l'Acropole ».
L'exposition du Louvre présente l'important travail qui a présidé à la découverte du site de Camiros (vers 1858) et que l'alsacien Salzmann revendique fermement dans une lettre adressée en octobre 1863 à Charles Newton, directeur du Département des antiquités classiques au British Museum : « Je ne sache pas que les fouilles avaient été commencées à votre instigation. Vous n'étiez pas à Rhodes quand j'ai identifié pour la première fois l'emplacement de Camiros et sa Nécropole. Je me réserve l'honneur de cette découverte.»
Il est intéressant de noter que plus de 50 ans auparavant, lorsque Chateaubriand s'était rendu dans cette zone, rien n'avait encore été mis à jour. L'auteur breton précise d'ailleurs :« Il reste encore à Linde quelques vestiges du temple de Minerve. Camire et Ialyse ont disparu.»
En faisant son entrée à Rhodes en juillet 1806, Chateaubriand remarque : « Au fond de ce port s'élève un mur flanqué de deux trous. Ces deux trous, selon la tradition du pays, ont remplacé les deux roches qui servaient de base au colosse. On sait que les vaisseaux ne passaient pas entre les jambes de ce colosse, et je n'en parle que pour ne rien oublier ».
A l'instar de Chateaubriand, Salzmann s'est intéressé aux Chevaliers. L'auteur combourgeois écrivait : « Les monuments des Chevaliers de Rhodes ranimèrent ma curiosité une peu fatiguée des ruines de Sparte et d'Athènes. Il s'est aussi penché sur son histoire dans son déroulement chronologique (depuis Cicéron jusqu'au seizième siècle), dimension qu'il met en exergue dans ses carnets en évoquant la conquête de Rhodes par les Chevaliers : « Les Chevaliers de Saint Jean de Jérusalem s'en saisirent en 1304, 1308 ou 1319. Ils la gardèrent à peu près deux siècles et la rendirent à Soliman II le 25 décembre 1522 ».
Le thème de l'exposition «Rhodes, une île grecque aux portes de l'Orient», répond à une actualité scientifique. Le renouvellement constant des études chypriotes et, plus généralement, l'intérêt pour les échanges en Méditerranée orientale ont relancé la recherche sur les lieux de culture mixte, comme Naukratis, un port de commerce ouvert aux Grecs en Égypte. A Rhodes, ce phénomène présente un visage très particulier, qui n'avait pas manqué d'interpeller Chateaubriand lorsqu'il y fit une halte en Juillet 1806, sur le chemin de Jérusalem, comme l'indique l'ouvrage retraçant son voyage en Orient, publié en 1811. : « Ici commençait pour moi une antiquité qui formait le passage entre l'antiquité grecque que je quittais et l'antiquité hébraïque dont j'allais chercher les souvenirs ».
Pour l'exposition «Rhodes, une île grecque aux portes de l'Orient» le choix des commissaires de l'exposition, Anne Coulié, conservatrice en chef au département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du musée du Louvre et Melina Filimonos-Tsopotou, directrice honoraire de la 22e éphorie des Antiquités, s'est focalisé sur une seule île, prise dans ce riche réseau d'échanges et se double d'une plongée dans le temps, celle de l'histoire des fouilles, qui suscite une vraie curiosité de la part du public.
Cette notion de confluence est très présente dans l'esprit de Chateaubriand : «Je me suis rencontré entre deux siècles, comme au confluent de deux fleuves ; j'ai plongé dans leurs eaux troublées, m'éloignant à regret du vieux rivage où je suis né, nageant avec espérance vers une rive inconnue» (Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe).
L'écrivain voyageur est indubitablement inspiré par ces « rives inconnues ». Si, à l'époque de Chateaubriand, le récit de voyage est un genre instable qui oscille entre récit linéaire et galerie de tableaux, l'auteur breton innove en actualisant les expériences du voyage, en les rendant plus personnelles, en renvoyant sans cesse le lecteur à un moi qui se cherche : il inaugure de la sorte ce qui deviendra le voyage moderne. En outre, il brouille toute cohérence générique en mêlant au récit de voyage l'épopée, le roman picaresque, la méditation lyrique. « L'Itinéraire de Paris à Jérusalem » devient ainsi une véritable mosaïque stylistique comme le précise Olivier Catel et un récit au cours duquel Chateaubriand n'aborde pas de front les problèmes politiques, mais dénonce toutefois le despotisme oriental et prépare un éloge de la liberté qu'il oppose bientôt au despotisme napoléonien. Après son renvoi du ministère (juin 1824), Chateaubriand rejoignit d'ailleurs le Comité philhellène de Paris et lui prêta sa plume : c'est ainsi que vit le jour la «Note sur la Grèce» (juillet 1825) qui, de prospectus destiné à rassembler des fonds pour soutenir le mouvement pour l'indépendance de la Grèce, devint un ouvrage d'envergure : « J'ai pensé, écrivit Chateaubriand à un de ses correspondants, que la place que j'avais occupée comme ministre des Affaires étrangères pourrait donner quelque autorité à mon opinion et j'ai cru de mon devoir de la faire connaître ».
L'exposition «Rhodes, une île grecque aux portes de l'Orient», étant la première au monde à être consacrée exclusivement à Rhodes, l'occasion de la présenter ici dans ABP constitue aussi une belle opportunité pour évoquer le séjour que l'auteur de « l'appel en faveur de la cause grecque » y fit, un demi-siècle avant les découvertes exposées dans l'aile Richelieu de ce grand musée du Louvre.
Pour compléter la visite et découvrir le contexte de ses fouilles, un livre important a été publié aux Editions Gourcuff-Gradenigo :
«La Céramique archaïque de la Grèce de l'est : le style des chèvres sauvages» par Anne Coulié, avec la collaboration d'Anne Bouquillon.
L'éditeur Alain Gourcuff -qui puise ses racines familiales en Bretagne- et co-fondateur des Éditions Gourcuff-Gradenigo s'est associé avec les éditions du Musée du Louvre pour publier un ouvrage remarquable sur les vases grecs et notamment sur les motifs spécifiques représentant des chèvres sauvages. Là encore la tentation est grande de faire un clin d'oeil à Chateaubriand. Le grand auteur breton nous relate dans ses récits , lorsqu'il accoste en juillet 1806 : « Le 25 à 6 heures du matin, nous jetâmes l'ancre au port de Rhodes.... Je descendis à terre et me fis conduire chez Mr Magalion, Consul français. Toujours même réception, même politesse....Il me donna un chevreau noir et me permit de me promener où je voudrais ».
L'auteur, Anne Coulié, conservatrice en chef au département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du musée du Louvre, a patiemment reconstitué les carrières des peintres, confrontant ses recherches (ce qui est rare) à des données archéométriques.
Le présent ouvrage, en effet, illustre à partir de cas précis et complexes l'intérêt de croiser les différentes disciplines. Mais l'auteur, qui ne se contente pas d'une étude technique et stylistique, s'attarde aussi sur l'histoire des collections. Parmi les vases de la collection de Clercq, figurent 2 très beaux dons effectués par Hubert de Boisgélin, donateur d'origine bretonne, en 1967 : 2 oenochoés à embouchure trilobée (analysés cette année par Anne Bouquillon).
L'originalité et la diversité de la céramique grecque, son importance numérique dans les collections du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, sont à l'origine de cet ouvrage, qui, en alliant un commentaire savant et une abondante illustration en couleurs, souhaite satisfaire tout à la fois l'exigence de savoir de l'amateur ou du chercheur et le plaisir de l'oeil.
Sylvie LE MOËL
«La Céramique archaïque de la Grèce de l'est : le style des chèvres sauvages» par Anne Coulié, avec la collaboration d'Anne Bouquillon.
208 pages,
ISBN : 978-2-35340-208-3
44 euros,
Coédition musée du Louvre éditions / Gourcuff Gradenigo.
Informations pratiques
Exposition «Rhodes, une île grecque aux portes de l'Orient» au Musée du Louvre :
14 novembre 2014 - 9 février 2015
Lieu : Espace Richelieu, aile Richelieu
Horaires : Tous les jours de 9h à 17h30, sauf le mardi. Nocturne les mercredis et vendredis jusqu'à 21h30.
Tarifs : Accès avec le billet d'entrée au musée : 12 ¤.
Gratuit pour les moins de 18 ans, les moins de 26 ans résidents de l'U.E., les enseignants titulaires du pass Education, les demandeurs d'emploi, les adhérents des cartes Louvre familles, Louvre jeunes, Louvre professionnels et Amis du Louvre, ainsi que le premier dimanche des mois de septembre à mars.
Renseignements : www.louvre.fr
Dans l'actualité:
Le Ministre Grec du Tourisme Mme Olga Kefalogianni, au cours de son récent voyage à Paris, a visité l'exposition en compagnie de l'Ambassadeur de Grèce en France, Mr Théodore Passas.
Informations sur la visite du Ministre Grec: (voir le site)
Références :
*Chateaubriand, «Itinéraire de Paris à Jérusalem», édition présentée par Jean-Claude Berchet, Paris, Folio, 2005
*Olivier Catel, « Le Voyage en Orient de Chateaubriand », Acta fabula, vol. 8, n° 1
*Remerciements à Iphigénie Botouropoulou
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