Alésia, la supercherie dévoilée

Présentation de livre publié le 26/09/14 18:58 dans Patrimoine par Christian Rogel pour ABP
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Depuis plus de 150 ans, de nombreux spécialistes, mais, peu d'universitaires et d'archéologues en activité, contestent qu'Alise-Sainte-Reine, en Côte-d'Or, soit le lieu où César a vaincu Vercingétorix, en -52 avant JC. Plusieurs livres le font, dont celui dont il est question ici, mais, tous les archéologues officiels récusent tout autre hypothèse, disant que cela a été confirmé par des fouilles menées de 1991 à 1997.

Dès les fouilles initiées et payées par Napoléon III, en 1861, de nombreux contradicteurs, tous latinistes, et, parfois, militaires, ont crié à l'interprétation tirée par les cheveux du texte de César. Si celui-ci écrit que la ville fortifiée était sur « une colline dont deux rivières léchaient les bases sur deux côtés », il faut être un archéologue trop sûr de quelques découvertes disparates et suspectes (armes hétéroclites abandonnées sans raison, fossés non datés ou monnaies trop concentrées) pour l'apercevoir sur le Mont-Auxois, une plutôt modeste colline aux flancs peu abrupts, que trois ruisseaux saluent de fort loin (voir le site) En fait, comme il n'y a pas grand-chose dans les quelques phrases de César qui collent à ce qu'on voit à Alise-Sainte-Reine, il suffit de prétendre que «César est un des plus grands menteurs de l'Histoire » ou « qu'il déforme ou escamote la vérité ». Pourtant, rien de cohérent avec un siège à la romaine n'y a été trouvé.

C'est une jolie entreprise de purification de leur terrain de jeu, à laquelle se livrent les grands archéologues bardés de distinctions. L'intrus, c'est le spécialiste de l'Histoire romaine ou celtique qui prétend se fier à de misérables textes, au lieu de s'incliner devant les conclusions prétendues limpides d'une néo-science. Quand on a eu pour professeur d'Histoire romaine, l'immense [[Pierre Grimal]], on ne peut qu'être conforté, puisqu'il ne croyait pas dans l'imposture d'Alise. Phonologiquement, l'Alesia (avec un e long) des textes latins et grecs ne peut avoir été transcrit par Alisia (Alise), au Moyen-Âge. Une inscription, trouvée à Alise, indique le nom gaulois de la ville, Alisiia, et il ne correspond pas plus à Alesia.

Cette remise en cause impossible d'une vérité idéologique, créée par un dictateur, est structurelle : les archéologues sont devenus des « scientifiques », sous la férule d'un ministère quasi-régalien, et gare à l'imprudent universitaire qui s'aventurerait dans leur jardin ! D'ailleurs, ils répètent comme un mantra que la question est réglée et que c'est « l'avis de la majorité des chercheurs » (Michel Reddé, responsable des fouilles récentes).

Pour simplifier et évacuer les problèmes, nos archéologues écartent les historiens ou géographes qui ont écrit en grec sur la Guerre des Gaules, alors que Diodore de Sicile, un contemporain de César et d'Auguste, dit que, fondée par Héraklès (Hercule) et dotée par celui-ci de remparts énormes, « Alésia était le foyer et la métropole religieuse de toute la Celtique ». Plutarque renchérit « Alésia passait pour imprenable, en raison de ses grands remparts et du nombre des ses défenseurs » et Strabon confirme la position : « Alésia était sur une éminence élevée, entourée de montagnes et de deux rivières ». L'existence dans l'Est de la Gaule, d'une métropole religieuse celtique, encore active au temps de Diodore, n'a pas fait l'objet de beaucoup de mentions par les historiens de la Celtique, car, elle revient à déclarer la guerre à nombre d'académiciens et de fonctionnaires ministériels. On n'est jamais trop prudent.

Notons au passage que les légendes concernant Héraklès-Hercule qui aurait passé une partie de sa vie dans « la Celtique » indiquent qu'il s'agit plutôt d'Ogma, le dieu champion des manuscrits irlandais, dont une trace peut être retrouvée dans un mythe concernant les Gaulois voisins des Phocéens (voir notre article). Un purificateur en chef, Jean-Louis Brunaux, archéologue éminent, partisan d'Alise, a osé prétendre qu'il n'a pas existé de religion celte, puisqu'il n'en a pas retrouvé la trace avec ses petites cuillères qui remuent la terre. Personne ne lui a soufflé que les Celtes ne confiaient pas leurs mythes à l'écriture et que seule la critique raisonnée de ce qu'en ont dit leurs voisins et descendants peut donner quelque lumière ?

Alésia, la supercherie dévoilée est une oeuvre collective, sous la direction de Danielle Porte, ancienne professeure de latin et de civilisation romaine à l'Université de Paris, qui va bien au-delà des limites de l'archéologie, en faisant appel à des spécialistes de la chose militaire ou à des observateurs sagaces qui se demandent, par exemple, comment maintenir une hygiène acceptable avec 95 000 personnes et de milliers d'animaux entassés sur 97 hectares au milieu des maisons et des remparts de pierre, dont aucune trace n'a été trouvée. La conclusion d'un vétérinaire sur l'eau à puiser et sur le monceau de déjections à évacuer en six semaines est terrifiante.

Plus concrètement, quand César écrit « le lendemain » (altero die) et qu'aucun site acceptable pour le combat de cavalerie d'avant le siège n'existe à moins de deux journées de marche, pourquoi continue-t'on à prétendre que César n'était pas dans le Jura, alors qu'il écrit, noir sur blanc, qu'il va « chez les Séquanes » (in Sequanos), alors habitants du Jura ?

Danielle Porte annonce une suite pour montrer que le meilleur site possible est celui de Chaux-des-Crotenay, dans le Jura (1 000 hectares) (voir le site) . Cela ne fera pas les affaires du tout nouveau MuséoParc d'Alise-Sainte-Reine, mais il pourrait rester comme lieu de mémoire des errements et des histoires à dormir debout du « roman national français » (on parle bien de roman, donc, de fiction complète).

Alésia : la supercherie dévoilée, sous la direction de Danielle Porte, Pygmalion, 2014. ISBN978-2-7564-1450-8.

Version papier 21,90 euros. Version ebook 14,90 euros

Christian Rogel


Vos commentaires :
Jeudi 9 mai 2024
Si l'on suit le raisonnement d'André Berthier, je ne pense pas que la forme triangulaire de la hauteur d'Alésia soit une omission de César.

«Le dessinateur place donc les flumina de part et d'autre du carré d'abord tracé, et marque leur écoulement dans des gorges.
Si les deux flumina, qui lavaient sur deux côtés le pied de l'oppidum d'Alésia, avaient maintenu leurs cours parallèlement après avoir longé l'oppidum, la plaine dans laquelle ils entraient aurait dû être assez large pour permettre leur double écoulement. Or, par la triple précision donnée par César que cette plaine n'a que 3 000 pas de longueur, qu'elle est serrée entre les collines (intermissam collibus) et assez dégagée pour permettre le combat de cavalerie engagé par l'armée de secours, elle nous est représentée comme une dépression allongée, soit une combe, soit un val. Ainsi décrite, elle convient plutôt au bassin de réception d'un seul cours d'eau formé du confluent des deux rivières. Un tel confluent fait surgir au débouché des deux vallées en gorges, une avancée en pointe suivant un mécanisme de modelé qui se retrouve fréquemment en pays de montagne.
Un éperon vraisemblable et des flumina qui, allant à la rencontre l'un de l'autre, suivent un tracé oblique, invitent maintenant le dessinateur à retenir l'idée d'une pointe triangulaire.»
(A. Berthier, A. Wartelle, «Alésia», p. 137).

Si je suis le raisonnement de l'auteur, la forme triangulaire de la hauteur d'Alésia est dû non pas à une omission du texte, mais à la manière dont le texte a été interprété. C'est, comme vous le dites, une modélisation, bien que ce terme ne fasse pas partie de mon vocabulaire. André Berthier a compris le texte de cette façon : c'est parce que la plaine est une dépression allongée, petite («n'a que 3000 pas en longueur» ) et enclavée entre les collines et à cause de la présence de gorges de part et d'autre de la hauteur d'Alésia que celle-ci ressemble un éperon. Raison pour laquelle la forme triangulaire a été choisi graphiquement.

Celui-ci a donc fait des déductions à partir d'éléments topographiques issus du texte. Ces déductions topographiques, «ça passe ou ça casse». Si l'on applique sommairement la description d'Alésia (plaine + ceinture de collines) sur une hauteur (le B. de Ban) situé au nord d'Izernore, on constate que le confluent des deux rivières (l'Ain et l'Oignin) se situe au niveau de la ceinture de collines, et non dans la plaine. Le confluent des deux rivières, mentionnées par César, n'est donc pas obligatoirement situé dans une plaine. Il vaut mieux alors renoncer à savoir où se trouve ce confluent, s'il y en a un. Et se contenter de savoir qu'il y a deux rivières sur deux côtés sans savoir dans quel sens celles-ci coulent. Le mieux est de mettre en relation ces rivières avec le fossé intérieur rempli d'eau pour tenter de comprendre la configuration du site.

Lorsque vous écrivez que «les suiveurs de l'archéologue-chartriste n'ont jamais véritablement analysée et envisagée avec un esprit critique», vous avez vu juste. C'est dommage pour eux, en particulier pour Danielle Porte. Ils n'ont pas su ou pas voulu améliorer le portrait-robot élaboré par André Berthier.

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