A trois semaines d'intervalle, les gardiens de la pureté environnementale ont donné de la voix dans « Le Canard enchaîné » et « Libération » (voir le site) . Le premier, du fait de son orientation satirique, n'a jamais brillé par la finesse de ses analyses et le second est l'organe naturel de la sensibilité écologique de gauche.
Le tir croisé visait une proposition de loi en discussion au Sénat et qui préconise « une décentralisation de la Loi Littoral ». Dans la France actuelle, en pleine recentralisation effrénée, cela a valeur de chiffon rouge pour une fraction de la gauche rose et verte.
L'hebdomadaire satirique prenait à partie nommément la sénatrice socialiste, Odette Herviaux, ancien maire de la Croix-Hélléan (Morbihan), tout en mentionnant que le rapport qu'elle avait produit était co-signé par Jean Bizet, sénateur UMP de la Manche. Bon sang, mais, c'est bien sûr, le rapport n'avait que pour but de bétonniser encore plus les rivages de France, sous l'influence du lobby des porteurs immobiliers !
Avant de sauter aux conclusions, à la manière cow-boy qu'affectionnent de plus en plus de « petits » leaders politiques, il n'est pas sans intérêt d'essayer de comprendre ce que proposent les deux élus.
La note de synthèse, qui précède le rapport (voir le site) commence par indiquer que les rapporteurs se sont entretenus avec 150 élus du littoral, ce qui les a conduit dans les départements de la Manche, du Morbihan, de la Corse, de la Savoie et de la Haute-Savoie (les grands lacs alpins sont concernés). 1 212 communes sont classées comme littorales et leur taux d'urbanisation est dès supérieur à la moyenne nationale et elles sont le lieu d'une «déprise agricole » trois fois plus importante.
Les deux sénateurs indiquent que la loi littorale est indispensable pour répondre aux attentes contradictoires (préservation des espaces naturels) et urbanisation (le littoral apparaît comme un «eldorado touristique et résidentiel » et pour gérer les conflits entre usagers.
Le rapport énonce que « La loi Littoral a incontestablement et heureusement freiné le « bétonnage » de nos côtes. La plupart du temps, elle ne pose pas de difficulté majeure, mais lorsqu'elles existent, les crispations sont relativement aiguës. Quelques départements concentrent l'essentiel des problèmes, comme la Manche ou le Var par exemple. Les élus se plaignent surtout de l'hétérogénéité d'application de la loi Littoral, avec une sévérité, tant de la part du juge que des services de l'État, qui varie à la fois dans l'espace, d'un département à l'autre, et dans le temps, au gré des fluctuations doctrinales. Ils mettent également en avant le manque d'équité structurel de la loi : les communes littorales les plus urbanisées ont beaucoup plus de facilité à se développer que les communes vertueuses qui ont cherché à préserver le patrimoine naturel. »
Cette loi est sortie en 1986 et un rappel historique est fait : « Le législateur avait prévu... que des prescriptions régionales puissent préciser les dispositions de la loi, pour prendre en compte les spécificités propres à chaque territoire. Cette possibilité n'a jamais été exploitée. À l'époque, les régions venaient à peine d'être créées comme collectivités territoriales, et les services de l'État eux-mêmes n'étaient pas organisés au niveau régional. Le dispositif avait donc peu de chances de fonctionner. »
Il fonctionne si mal que des contentieux à répétition remontant, à chaque fois, au Conseil d'État, empoisonne la vie de nombreuses administrations municipales et coûte de l'argent aux contribuables. Ainsi, les juges ont décidé qu'une station d'épuration était un élément d'urbanisation à coller à une urbanisation existante, et à plus de 100 mètres du littoral, alors que le bon sens indique qu'un établissement de ce genre doit être dans un lieu isolé et le plus proche possible du niveau le plus bas (recours contentieux à Bénodet et à Tréffiagat).
On en arrive à entraver le développement d'une usine à Plouvien, si bien que la commune, pour sortir de l'impasse, en vient à vouloir céder quelques hectares de vasières à sa voisine.
En tenant compte des remarques des élus concernés, le rapport insiste donc sur un point capital : la loi est un texte très général qui ne peut prétendre être valable partout et pour toutes les situations. Les différents rivages sont plus ou moins urbanisés, ont des modes d'habitation différents et sont composés de terrains différents. Le résultat a déjà été mentionné : la loi trop générale doit être interprétée, pratiquement, au cas par cas, par des juges qui ne traitent pas les questions de manière cohérente et sont conduit à demander à la Cour de Cassation de jouer un rôle qui n'est pas le sien : remplir les blancs de la loi, dont beaucoup de décrets d'application manquent (ex. :celui sur les rus et les étiers).
On se trouve donc dans un débat, typique de la France du XXIème siècle, dans lequel sont imbriqués les archaïsmes de l'administration qui ne veut rien céder de ses anciennes compétences disparues, le primat d'une égalité devant la loi, qui finit par créer des injustices, et, donc d'une inadaptation structurelle de l'administration de la République.
Depuis 1975, les Régions d'Italie peuvent promulguer des lois dans le domaine de l'environnement, dans un cadre défini par le gouvernement et sous le regard d'us Justice réellement indépendante. Il ne semble pas que cela ait provoqué des catastrophes écologiques notables. A l'inverse, l'Espagne, dans un cadre législatif centralisé, a permis la construction sur des kilomètres de logements touristiques inutilisés.
Nos deux sénateurs proposent donc, avec bon sens, des chartes régionales d'aménagement du littoral, avec force de prescription, sous le contrôle du Conseil national de la mer et des littoraux. Mais, ils veulent aussi introduire trois grandes règles (et plusieurs autres petites) :
- « permettre les opérations de densification par comblement des « dents creuses » des hameaux existants, sans que cela n'ouvre un droit, présent ou futur, à une extension du périmètre de ces hameaux »
- « durcir le régime des coupures d'urbanisation en précisant qu'elles doivent être de taille significative par rapport à l'urbanisation adjacente »
- « introduire de la solidarité financière entre les communes littorales en intégrant un indicateur d'artificialisation des sols dans le calcul de la dotation globale de fonctionnement. »
Nul ne sait ce qu'il adviendra de la proposition de loi au Sénat, lequel devrait passer à l'opposition au mois d'octobre. La précocité et la violence des attaques instrumentalisées par Europe Ecologie-Les Verts (et leurs associations satellites) dans la presse laisse supposer que que le scalp des sénateurs devrait être un enjeu pour la composition de la majorité de gauche branlante. « Libération » évoque une position défavorable du Conservatoire du Littoral et une circulaire qui serait en préparation au Ministère de l'Écologie : encore une galéjade, car les circulaires n'ont pas de valeur juridique dans les contentieux judiciaires. Toujours le régime des farces et attrapes.
Et après, ils se plaignent de ne pas être crus...
Christian Rogel
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