Congrès international Edilic à Rennes : Politiques éducatives et éveil aux langues en question

Chronique publié le 12/07/14 10:49 dans Justice et injustices par Fanny Chauffin pour Fanny Chauffin
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Un congrès bisannuel a réuni de nombreux acteurs d'Edilic (Education, diversité linguistique et culturelle, langues minorisées) à Rennes

La communauté scientifique francophone était bien représentée, avec le Québec en la présence de la présidente d'Édilic, l'Algérie avec Khaoula Taleb-Ibrahimi qui a ouvert le cycle de conférences sur le statut des langues minorées dans le Maghreb, la Suisse qui a inscrit dans ses textes l'ouverture au plurilinguisme pour tous les enfants des écoles, la Réunion,…

Les débats ont porté sur les langues minorisées et l'éveil aux langues que ce soit en Pologne, au Portugal, en Grèce …

Pour le non initié, les mots qui revenaient sans arrêt dans la bouche des conférenciers comme des participants tels que «biographie langagière, glottopolotique, koiné, lingua franca, la littéracie, les pratiques langagières ou encore la didactique intégrée» pouvaient rendre songeurs. Que se cachait-il derrière des sigles tels que MELBA (maths en langue bretonne), EVLANG, ESSPE, …

Heureusement, en bons linguistes, sociolinguistes, sociodidacticiens,... il leur arrivait de jouer sur les mots, en particulier pour parler des «bénéfolles» de l'association ÉDILIC, mais aussi pour dire du français que c'était une langue «étrangement algérienne», ou encore qu'un «gouffre d'impensés» séparait ces brillants esprits de leurs organismes de tutelle, les différents Ministères de l'Éducation de leurs pays respectifs.

Langues minorées, minorisées, régionales ?

Il semblait qu'un hiatus se faisait jour entre une vision plurilingue pour tous, où les enfants de migrants sont accueillis dans leurs langues, avec un ELCO dans le meilleur des cas (aide qui parle la langue de l'enfant, présent dans la classe, rémunéré souvent par les ambassades, ce qui est le cas en Suisse et en France dans certaines villes) et les représentations concernant les langues régionales, minorisées et minoritaires elles aussi.

Les écoles Diwan et les Ikastolas, les Caladrentas ont fait l'objet de communications dans ce colloque, mais taxées parfois d'écoles «bulles», «identitaires» ou réservées à certaines catégories socio-professionnelles, ne concernant pas tous les enfants.

Le cas de la Réunion et de la Bretagne, réunis dans le même atelier montrait pourtant la similitude de l'action de l'institution française dans la reconnaissance de l'identité, de la langue et de la culture des citoyens habitant la France.

Raoul Lucas, universitaire à la Réunion, n'hésite pas à parler de retour de la colonisation, d'une «école de caste», de néo-colonisation. Le terme «post colonial» n'est pas approprié pour lui.

Les enfants qui parlent le créole à La Réunion sont dans une situation scolaire extrêmement précaire, et les enfants comoriens sont stigmatisés aussi. L'école est faite pour les classes sociales dominantes, les autres (29% de chômage) iront couper la canne à sucre …

Un instituteur breton en 1950 avait cherché à valoriser la langue des enfants, le créole, il met au point une méthode, il commence … Mais il est bien vite renvoyé dans la métropole.

En Bretagne, le rouleau compresseur a fonctionné à l'envers : alors que les enfants parlent créole dans 90% des familles à la Réunion, les enfants bretons apprennent le breton à l'école pour une grande majorité d'entre eux. Mais pour les enfants créoles, pas un mot dans leur langue à l'école, sauf pour les vingt classes bilingues à parité horaire.

Pour Aristote, l'esclave est un «objet animé qui n'a ni passé ni avenir». Quel est l'avenir des enfants créolophones ?

Pour Raoul Lucas, la recherche sociolinguistique créolophone est dynamique mais ne doit pas cacher que l'on est dans de «l'affichage»

Agir ou attendre ?

Au bilan, ce vendredi 11 Juillet, les participants écoutent une jeune étudiante de Rennes qui mène des ateliers artistiques avec des jeunes du CADA, centre de demandeurs d'asile. Deux nouveaux livres viennent de paraître, avec les articles des intervenants aux derniers colloques d'ÉDILIC au Portugal et en Suisse. On parle des deux prochains congrès en 2016 et en 2017, à la Réunion, en Grèce, en Hongrie ou en Pologne.

Les participants essaient de voir si leurs conceptions des langues minorées a évolué pendant ces trois jours de colloque. Si la problématique des langues des migrants, de l'adaptation à un monde changeant et globalisé peut être comparée à la revitalisation de langues régionales.

Et si les deux vivaient ensemble ? Les Catalans, les Irlandais accueillent des migrants en catalan et en gaélique. Si la langue d'origine de l'enfant est valorisée, si ses résultats scolaires, son adaptation et son épanouissement en tant qu'individu plurilingue s'en trouvent améliorés, pourquoi ne pas favoriser ces croisements, et communiquer, tisser, croiser toutes ces approches, sans peur de la balkanisation et du communautarisme ?

La «dictature des monolinguismes»

Philippe Blanchet lance un appel à la lutte contre tous les monolinguismes. Pendant trois jours on valorise la variation, les variantes dialectales, le code mixing, la langue qui se construit, qui vit, qui se tisse au fil des rencontres et des langues parlées dans sa vie.

Il apparaît pourtant souvent dans les échanges que dans la classe, il est difficile de mettre en pratique l'éveil aux langues qui reste pour les enseignants une chose difficile, n'ayant pas bénéficié de formation à ce sujet.

Les Suisses ont organisé des curricula, où l'enfant ne réapprend pas deux fois la même chose dans deux langues, avec des compétences transférables. En France, on est loin de cette organisation, et les instances pédagogiques et politiques n'ont pas voté des textes aussi clairs que les Suisses ou les Luxembourgeois qui ont complètement intégré cette version multiculturelle des enfants. En région parisienne en 2014, un enfant sur quatre parle une autre langue que le français à la maison.

A Diwan les jeunes voyagent, parlent plusieurs langues, et dans leur école «bulle» (expression d'un des participants), il semblerait qu'ils aient cultivé de nombreuses compétences transférables et fait de nombreux ponts entre leurs différentes pratiques langagières, comme le confirme la récente étude du Centre Régionale d'Information Jeunesse de Bretagne auprès de jeunes Bretons.

Aussi, dans un contexte post colonial ou colonial tout court, il serait temps que la Bretagne comprenne que le Luxembourg et la Suisse tissent l'école de demain, quand la France reste encore à l'époque de Jules Ferry. Rien n'a changé depuis Bourdieu, la reproduction reproduit, et le locuteur de langues minorées ou régionales se tait. Jusqu'à quand ?


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