La Lorientaise Irène Frain a reçu mercredi à la Maison de la Bretagne à Paris, le 53e Prix Bretagne-Breizh pour son récit de famille « Sorti de rien » qui rend un vibrant hommage à son père.
Record d'affluence mercredi midi à la Maison de la Bretagne à Paris pour la remise à Irène Frain du 53e Prix Bretagne (Priz Breizh) pour son ouvrage Sorti de rien des mains de l'homme d'affaires et mécène Vincent Bolloré. A ses côtés, les membres du jury, le président Philippe Le Guillou, Jean Bothorel, Annick Cojean, Stéphanie Janicot, Georges Olivier Châteaureynaud, Georges Guitton, Sébastien Le Fol, Patrick Mahé, Gilles Martin-Chauffier, Jean Picollec, mais aussi de nombreuses personnalités dont le musicien Alan Stivell qui avait fait spécialement le déplacement pour féliciter son amie. « La Bretagne est une polyphonie et c'est à ce titre que je suis heureuse de recevoir ce prix comme de savoir que mon travail depuis très longtemps est aimé d'un pays où la soif de lire est la plus élevée dans l'hexagone et se manifeste aussi bien dans le réseau des bibliothèques que chez les libraires indépendants et les circuits de la grande distribution. La lecture est la pratique fondatrice des libertés et le meilleur rempart qui soit contre les putrides marées noires de la haine » a expliqué avec émotion Irène Frain lors de son allocution.
Colère ancestrale
Tout commence pour ce livre par une affirmation maladroite. De celle qui laisse à tout jamais des bleus à l'âme et blesse profondément la dignité de ceux qui la reçoive, surtout en public. "Un jour, un journaliste m'interpelle : Vous qui êtes sortie de rien…. Quel rien ? La misère qui fut celle de mon père ? » Piquée au vif, mue par une colère ancestrale qui prend alors la parole, Irène Frain décide de retourner en Bretagne. Elle part à la recherche de ce père humilié qui ne plia jamais devant l'adversité. Elle enquête sur ce qu'il fut, s'interroge sur ce « Rien » dont elle est aujourd'hui la digne fille. Un père qui à 11 ans venait tout juste de passer son certificat d'études lorsqu'il se retrouva placé d'autorité par sa mère comme beutjul « enfant à tout faire » chez un paysan. Pendant quatre ans, « le dixième de dix », comme elle le nomme dans son livre, dormit dans le grenier de la soue à cochons, obligé de parler le breton avec les autres valets de ferme. Un matin, l'adolescent prit son courage à deux mains et partit se réfugier chez son frère Joseph, qui lui apprit son métier de maçon. Mais il avait perdu l'habitude de parler le français et désormais personne ne le comprenait. A cet instant, il connut une nouvelle fois la honte. Il décida alors d'investir l'argent de sa première paie dans l'achat d'une grammaire française et un dictionnaire breton-français pour « réapprendre le français ».
Histoire familiale
Plus tard, cet homme secret, énergique et courageux prendra sa revanche contre l'injustice et deviendra à force de concours et de lectures choisies professeur pour adulte. « Par ce livre j'ai voulu rendre justice à mon père qui a été paysan dans son enfance et qui à force de persévérance a réussi un très beau parcours. Mon père était fier, altier, rendu peut-être même un peu hautain par tant d'humiliations rentrées. Il arrivait d'ailleurs que ma mère se rebelle. Je n'ai pas cherché à le ménager dans mon livre. Dans mon enfance, j'aimais lire à côté de la malle où étaient entreposées les lettres qu'il avait écrites lorsqu'il était prisonnier de guerre. Sans le savoir, j'étais comme attirée par le force occulte de ces souvenirs dont j'ignorais alors l'existence » . Irène Frain est naturellement bouleversée par son histoire familiale. A Cléguérec dans le Morbihan, elle rencontre à la manière de la talentueuse journaliste qu'elle est, les derniers témoins vivants de cet exil paternel forcé. Sept ans après sa disparition, elle fouille le contenu d'une petite valise noire bourrée de lettres et de poèmes que lui avait léguée son père avant de mourir. Petit à petit, elle comprendra d'où lui vient son amour pour les mots et les livres et percera jusqu'au secret de son prénom. « Mon père m'a fourni un kit de survie pour affronter les difficultés de l'existence. J'ai toujours été une battante. Je crois à la force des mots et suis naturellement attirée par la culture des autres. Je sais aujourd'hui à qui je le dois. Et puis, il m'a donné une conscience bretonne. C'est un homme qui était habité par le « non » des Bretons. Quand sa dignité était atteinte, il était capable de tout rompre » explique l'écrivain.
Héros ordinaires
L'auteur du Nabab, d'Au royaume des femmes, des Naufragés de l'île Tromelin ou de Beauvoir in love, livre ici un récit personnel et poignant. A travers l'évocation de son père, elle retrace la saga de ces millions de héros ordinaires qui se battent quotidiennement sur la planète pour progresser et donner un sens à leur vie. « En Bretagne, nous avons la capacité de rebondir. Nous sommes un peuple énergique de résistants et surtout nous avons « le nerzh ». Je crois également que nous bénéficions d'un formidable gisement de matière grise. La matière grise, c'est la seule grande énergie renouvelable au monde. On la transmet aux enfants, on la diffuse dans l'instant par cette volonté de croire. En cela, nous ressemblons à ces formidables réservoirs d'énergie humaine que sont l'Inde, la Chine ou l'Afrique. Souvent je me sens bien avec eux parce que c'est ce que j'ai connu gamine. Nous sommes malheureux en ce moment pour diverses raisons, mais nous ne sommes pas dépressifs, car nous avons cette combativité bretonne et les moyens d'innover » rappelle la romancière engagée. En cela, Sorti de rien part de la Bretagne pour toucher à l'universel. L'ouvrage pose également avec acuité et urgence la question de la dignité des hommes qui se confond bien souvent avec celle des peuples, breton, touareg ou tibétain, lorsqu'ils subissent l'arbitraire des puissants ou de ceux qui sont censés les représenter.
David RAYNAL
Sorti de rien aux éditions du seuil
Pour en savoir plus sur l'auteur : (voir le site)
Les origines du Prix Bretagne
Fondé en 1961 par des Bretons de Paris, autour de Pascal Pondaven et Charles Le Quintrec, directeur et rédacteur en chef de l'hebdomadaire La Bretagne à Paris, le Prix Bretagne, a compté dans son jury des personnalités aussi prestigieuses et importantes que Jean Marin, Hervé Bazin, Paul Guimard, Henri Queffélec, Roger Nimier ou Gwen Aël Bolloré. En plus de cinquante ans d'existence le Prix Bretagne a eu l'occasion de distinguer de grands écrivains bretons ou amis de la Bretagne, Pierre Jakez Helias, Xavier Grall, Eugène Guillevic, Jean-Edern Hallier, Michel Morht ou plus proche de nous, Yann Quefellec ou encore Mona Ozouf. Soutenu et financé par l'homme d'affaires Vincent Bolloré depuis 2001, le Prix Bretagne (Priz Breizh) est actuellement doté d'une récompense de 6100 ¤.
■