Une délégation des Amitiés kurdes de Bretagne s'était déjà rendue, en 2013 au siège d'Azadiya Welat (« La Libération du Pays ») à Diyarbakir : c'est le seul quotidien en langue kurde publié en Turquie. Il tire à dix mille exemplaires. Une répression terrible étrangle ce journal dont 70 de ses journalistes et collaborateurs ont été assassinés depuis la première sortie de Welat en 1992.
A nouveau, le 26 avril 2014, à l'occasion de sa 20° mission, la délégation a rencontré à Diyarbakir Azadiya Welat : la conversation avec deux de ses journalistes, Rizo et Ramazan, fut cordiale et détendue malgré le vol à basse altitude de bombardiers turcs passant et repassant sans cesse dans un bruit d'enfer.
La rédaction de Azadiya Welat, basée depuis 2003 à Diyarbakir, est composée d'une trentaine de journalistes salariés, assistés de bénévoles. Le journal est structuré sur le modèle d'une SCOP, sans hiérarchie. Les rémunérations sont égalitaires, et il arrive que les journalistes renoncent à une partie de leurs revenus pour assurer la pérennité du journal.
Le quotidien rencontre de nombreuses difficultés, celles que rencontre la presse « papier » dues notamment à la chute des ventes et des recettes publicitaires. A celles-là s'ajoutent celles découlant d'une politique de publicité «éthique» et à ce titre Azadiya Welat s'interdit d'accepter des encarts publicitaires venant d'entreprises qui pratiquent une politique sexiste ou qui ne respectent pas l'environnement. Pour autant le journal ne peut vivre que ses ventes. C'est un vrai dilemme. De plus ses lecteurs potentiels se limitent aux locuteurs parlant kurmançi et kurmançki. Et, naturellement, pas question de publier en turc : c'est l'identité même du journal qui est en jeu !
Ces difficultés économiques sont encore aggravées par des complications d'ordre politique. Des amendes récurrentes, souvent payées grâce au soutien populaire (les journalistes citent le cas d'un paysan qui a été jusqu'à vendre son tracteur). Des poursuites contre les journalistes qui entrainent un important turnover. Des interpellations qui touchent les distributeurs (un couple de distributeurs à Derik -District de Mardin- a été arrêté et incarcéré). Des pressions administratives qui entravent le travail de l'imprimeur…
63 journalistes seraient à ce jour détenus en Turquie, dont une quarantaine de Kurdes. Les deux collaborateurs Azadiya Welat qui avaient pris part à la grève de la faim de 60 jours en 2012 sont toujours sous les verrous et laissés sans soins malgré les séquelles dont ils souffrent.
«Le «paquet démocratique» d'Erdogan n'a débouché sur aucune libération de journalistes. Seules, quelques personnalités ont été relâchées pour masquer le maintien en détention de milliers de prisonniers anonymes. Actuellement, les deux partis islamistes (le mouvement de Fethullah Gülen et l'AKP) se disputent le pouvoir mais s'entendent pour contrer la révolution kurde. Nous militons pour créer un modèle de société basé sur un socialisme moyen-oriental. Son avènement ne se fait malheureusement pas sans effusion de sang.»
Laetitia Boursier
François Legeait
Photo : G. Le Ny
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