Le référendum d'autodétermination en Crimée a provoqué de vives tensions diplomatiques entre la Russie et les Occidentaux. Dans ce concert d'imprécations et d'incantations, bien peu d'observateurs lucides ont pu exprimer un avis nuancé. Qu'en est-il exactement.
On a assisté en moins de trois semaines à une brutale accélération de l'Histoire en Ukraine. Suite à un référendum, 97% des russophones, largement majoritaires en Crimée, ont dit clairement leur volonté de retour dans la Fédération de Russie. à la suite de quoi les autorités européennes, par la voix de leur responsable des affaires étrangères, la baronne Ashton, ont crié au scandale et dénoncé ce référendum comme illégal et contraire aux lois internationales. L'Europe, déclarait-elle, allait prendre des sanctions économiques et interdire de visas 21 dirigeants russes et ukrainiens se gardant bien toutefois de mettre Poutine et Lavrov, ministre à la tête de la diplomatie russe, dans le lot.
Le président Poutine de son côté, dans un discours d'une heure devant une Douma enthousiaste et deux représentants de la Crimée, s'est félicité du retour de la Crimée dans le giron russe en s'appuyant sur les résultats du référendum mais aussi sur l'histoire de ce territoire. Il a aussi déclaré ne pas vouloir, à l'opposé des craintes occidentales, démanteler l'Ukraine. Par contre il a dit clairement l'opposition de la Russie à l'installation de bases de l'OTAN sur le territoire ukrainien et sa volonté de mettre un arrêt aux constantes tentatives de rabaissement de la Russie venues du camp occidental durant ces dix dernières années.
En dépit de l'intense campagne médiatique développée par les autorités américaines et européennes, la France en tête, contre la politique russe, devons nous nous faire abuser ? Il n'est sans doute pas inutile, pour nous Bretons, avant de suivre aveuglement les positions prises à Bruxelles et à Paris, de rappeler quelque peu l'histoire de la Crimée.
Rappel historique.
Pour les anciens Grecs la Crimée s'appelait la Colchide et la Chersonèse. C'est sur ses rives que Jason et ses marins débarquèrent à la recherche de la mythique Toison d'Or. Beaucoup plus tard elle devint le lieu d'implantation des Tatars descendants des Mongols de la Horde d'Or, un des quatre empires issus de la désintégration de l'empire de Gengis Khan. Vers 1420 se constituera le Khanât de Crimée, lequel va devenir vassal de l'Empire ottoman. Au cours du XVIème siècle l'extension de la Russie va la faire se heurter militairement à l'Empire ottoman pour aboutir au passage de la Crimée en 1783 —sous le règne de la Grande Catherine— dans l'orbite russe. Les Tatars tant redoutés pour leurs pratiques de l'esclavage aux dépens de populations slaves, vont alors subir une répression terrible et être remplacés par les Cosaques. L'Empire tsariste, outre qu'il se débarrassait d' «un fléau de Dieu» avait enfin son accès aux mers chaudes.
Sous Napoleon III, les Français alliés aux Anglais et aux Turques vont se lancer dans une guerre victorieuse (1853–1856) contre une Russie désireuse, à l'instigation du panslavisme, de venir au secours des populations slaves et aussi de s'ouvrir les détroits des Dardanelles pour atteindre la Méditerranée. Deux stations de métro parisiennes [Sébastopol, Kremlin-Bicetre] et un nom de gateau [ Baklava] rappellent ces évènements dans le quotidien parisien.
Sous la révolution bolchevique de 1917, Sébastopol devient l'une des villes symboles de l'installation du nouveau régime. Le grand réalisateur Eisenstein, avec son film emblématique «Le cuirassé Potemkine» a magnifié l'action des révolutionnaires. Tous les cinéphiles ont en mémoire l'image de ce landau qui dévale les escaliers de la grande cité portuaire parsemés de morts et de blessés tombés sous la mitraille des troupes tsaristes.
Plus près de nous, au cours de la «grande guerre patriotique» de 39–45 Simferopol [notre Sébastopol] devient avec Leningrad [l'actuel Saint Petersbourg] et Stalingrad le symbole, dorénavant gravé dans l'imaginaire russe, de la résistance à l'invasion nazie. Accusés par Staline d'avoir collaboré avec la Wehrmacht 200.000 Tatars sont déportés en Sibérie. La moitié ne reviendra pas et à ce jour ils ne représentent plus que 12% de la population.
Quant à l'appartenance formelle de la Crimée à l'Ukraine, elle date de 1954 à la suite d'une décision de Krouchtcheff avec la clause restrictive que la Russie y garderait trois grandes bases navales. La majorité de la population y était de longue date russophone. Poutine, dans son discours, a dénoncé avec vigueur cette décision prise par l'un des dirigeants de l'ex-URSS, dénonciation d'autant plus virulente que le gouvernement ukrainien s'était lancé dans une politique linguistique antirusse.
à la lecture de ce qui précède on comprend alors mieux qu'aux yeux des Russes la Crimée ne fait que rejoindre la mère patrie et que cette décision résulte du droit des peuples à choisir leur destin en faisant aussi remarquer que c'est sur ces bases que le camp occidental s'était appuyé pour reconnaître la séparation du Kosovo de la Serbie.
Alors nous Bretons qui voulons aussi choisir notre destin, devons nous nous joindre au concert des bien-pensants et des donneurs de leçons qui peuplent le monde médiatique* et politique français ? Pourtant eux si prompts à dénoncer, sans nuance aucune, la Russie et ses dirigeants n'ont rien dit et rien écrit quand le Président Hollande a fait son déplacement en Arabie Saoudite ; il s'agit pourtant d'un pays où les femmes sont asservies, où se pratiquent des décapitations publiques, où l'homosexualité est passible de mort, où la liberté de conscience n'existe pas.
Nous ne voulons pas terminer cet article sans assurer nos lecteurs que nous aussi nous souhaitons, bien évidemment, aux Ukrainiens de se doter d'un gouvernement représentatif capable de leur assurer prospérité économique, lutte contre la corruption, stabilité politique et liberté.
Quant au futur, gageons que l'Europe reviendra à des positions plus raisonnables, ne serait-que pour des raisons liées à sa dépendance énergétique au pétrole et encore plus au gaz russe. L'Allemagne, par la voix d'Angela Merkel, a déjà souhaité que l'étude de l'application des dites sanctions soit étudiée au sein de l'OSCE. Une fois de plus on aura observé la position va-t-en-guerre française, position que les réalités économiques transformeront bien vite en simple gesticulation médiatique. Pensons à ce qui s'est passé pour la Syrie.
Jean-Louis Le Mee
Président de l'Alliance Fédéraliste Bretonne–Emglev Kevredel Breizh
* à deux rares exceptions :
Nous nous devons de reproduire ici les écrits du talentueux écrivain-voyageur Sylvain Tesson :
«Je m'étais persuadé que les Français allaient marquer une légère pause dans leur entreprise de déversement de critiques sur le dos de l'ours russe, célébrer un pays relevé de soixante-dix ans de communisme et de vingt ans de dépeçage libéralo-eltsinien. Eh bien non, pas de répit ! ...»Sotchi, l'endroit le plus dangereux du monde«, a dit un commentateur de télévision à qui on devrait financer un voyage de formation à Kaboul. Il aurait pu rappeler que Médée était né en Colchide, que Prométhée a été enchainé dans le Caucase...»etc..etc...
Ou encore ceux de Benoît Duteurtre dans l'article l'Obsession Russe, paru dans le numéro du 6 février 2014 du journal Le Point, article qui dénonce la russophobie des intellectuels français.
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