Notre-Dame des Landes : stop au mensonge, stop aux manipulations gouvernementales

Reportage publié le 23/02/14 22:26 dans Environnement par Yann Lukaz pour ABP
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Manifestation anti-aéroport de Notre-Dame des Landes le 22 février. Reportage du Nantais Yann Lukaz qui sous-titre Terre, air, feu, eau, ingrédients détonants à Nantes.

Station Gare Maritime : tout le monde descend. Comme annoncé, le tramway s'arrête là pour cause de manifestation vers le centre de la ville. Le Maillé-Brézé, escorteur d'escadre des années cinquante, construit à Lorient, qui monte et descend sagement au gré de la marée, rappelle que Nantes est une ville maritime. Le pavillon nantais herminé montre que nous sommes ici, dans l'ancienne capitale politique, à l'extrémité de la Bretagne.

En ce milieu d'après-midi, les piétons pressent le pas, et convergent vers la place de la Petite Hollande (ça ne s'invente pas !) où la tête de la manifestation, partie de l'autre bout de la ville, est déjà arrivée. Au loin, en direction du château des Ducs de Bretagne, des nuages noircissent sporadiquement le ciel, des bruits de détonation indiquent qu'il se passe quelque chose. Mais quoi ? Nous ne sommes pourtant pas à Kiev ! Mais les tirs de grenades assourdissantes sont étonnamment nourris par moments. Y aurait-il du grabuge quelque part à l'arrière de la manif ? Un hélicoptère en vol stationnaire au-dessus de la ville sert de marqueur. Allons voir !

Aux commencements : terre et air...

Chemin faisant, nous passons devant les tracteurs, alignés sur la chaussée, les rails du tram, la place. Ce ne sont pas quelques tracteurs d'opérette. Il y en a de tout calibre, mais globalement c'est du lourd et du contemporain. Venus d'un peu partout, de 530 à 560 tracteurs me dira un proche du milieu agricole. Un record ! Ce matin même, à la Porte de Versailles, à Paris, le président rencontrait des agriculteurs et goûtait les produits de la terre. Un exercice immémorial, et presque obligé. Dans le même temps, d'autres agriculteurs dirigeaient leurs engins vers Nantes, la ville du Premier ministre. Pour défendre le droit à la terre, le droit à produire dans de bonnes conditions - le droit du consommateur donc, autant que celui du producteur - le droit à survivre - et pas seulement localement, car l'agriculture se sait menacée par les accords commerciaux qui se négocient en secret et en coulisses dans le pré-carré du grand Capital, de la Finance, de la Politique internationale - pour défendre et inventer l'avenir. Et dégager le ciel, obscurci par ce funeste projet d'aéroport incongru à Notre-Dame des Landes, qui serait implanté à quelques kilomètres au nord de Nantes.

C'est donc une manifestation hautement emblématique, hautement politique : 50.000 à 60.000 manifestants, le chiffre est crédible. D'ordinaire à Nantes, une très grosse manifestation - comme celles en faveur de la Réunification de la Bretagne, ces dernières années - rassemble 10.000 à 15.000 personnes. Aujourd'hui, par conséquent, nous sommes bien dans une dimension nationale. Pourtant - à l'exception de BFM TV, très réactive sur l'actualité - les camionnettes des grandes TV hexagonales sont absentes. Pourquoi ?

Me voici proche de la ligne de contact. De temps à autre, une pluie de grenades lacrymogènes s'abat en grappe sur la foule aux avant-postes. La réaction dépend du vent et de ses soubresauts. Qu'il reste favorable aux manifestants et tout va bien. Mais qu'un brusque rabattant renvoie les fumées bleuâtres vers la foule, et c'est une cavalcade sur quelques mètres ou dizaines de mètres. Car l'effet est instantané : attention les yeux et les poumons ! Aujourd'hui, le vent océanique est au rendez-vous. En témoigne la silhouette d'un avion de ligne qui, de temps en temps - elle est où la saturation proclamée ? - approche l'actuel aéroport en se présentant par l'est.

La confrontation : feu et eau...

Un canon à eau, aussi blanc qu'un véhicule de l'ONU, mais lourdement grillagé, lâche un jet puissant, à intervalles. À distance, ou à l'inverse sur une cible ultra-rapprochée. Aujourd'hui l'éléphant mécanique des Machines de l'Île avec son petit souffle pour amuser et étonner les enfants, s'est fait voler la vedette. Le voyage à Nantes, c'est ici et maintenant. Amañ ha bremañ eo ar veaj e Naoned.

De ce côté-ci, des flammes jaillissent sur la chaussée. C'est incroyable ce qui peut brûler dans une ville : poubelle, chariot, palette… Des palissades grillagées, provenant d'un chantier ont été érigées en travers. Elles marquent la proximité de la ligne de contact. Surprenant aussi le calme des éléments, apparemment non politisés, désignés par la vindicte médiatique, ou gouvernementale, comme casseurs ou enragés. Qui peut imaginer qu'une telle manifestation n'attirerait pas des individuels en mal de sensation forte, et d'actes de défi ? Scènes de guérilla urbaine, dira le ministre de l'Intérieur, qui tient un discours habituel et continue de gérer sa trajectoire politique personnelle. Certes, je n'ai pas vu les événements de début de manifestation. Mais comment expliquer, dans le milieu de l'après-midi, le mélange, l'étonnante proximité de manifestants ordinaires et d'individuels profitant de l'occasion ? Une manifestation de ce type est aussi un grand théâtre. Une occasion de jauger en situation réelle, et non plus par sondages interposés, l'état de l'opinion. Et le ministre de l'Intérieur le sait bien.

Comment en est-on arrivé là ? Cette manifestation est légitime et massive…

Au-delà d'un projet contesté, des enjeux de société

Le projet de Notre-Dame des Landes (NDDL) fait le bonheur des bétonneurs (groupe Vinci). Il y a sûrement aussi d'autres arrière-pensées : construire des logements sur des terrains accessibles est un moyen, pour des élus locaux, de s'assurer un électorat captif pour longtemps…

A contrario, ce projet est à contre-courant des nécessités de l'époque qui s'annonce. Le vent a tourné. Les finances sont au plus bas, les accès n'ont pas été budgétés, le maintien de l'ancienne piste coûterait fort cher à la collectivité. Son abandon signifierait la perte de 2.000 emplois sur la métropole nantaise, et sans doute redistribuerait les cartes de l'industrie aéronautique pour tout le bassin Nantes-Saint-Nazaire.

Le projet de NDDL est empaqueté, depuis le début, dans le mensonge, la politique politicienne et sa vacuité, voire sa corruption. Les oligarques ne sont pas tous à Kiev, en Ukraine ! Ici aussi, il y en a !

Mais, plus encore, nous entrons presque sans préavis dans un monde aux exigences nouvelles : la planète est ronde (eh oui !), les ressources sont précieuses et limitées - la question de l'énergie (son origine, sa gestion) est devenue, comme jamais, un défi à considérer avec sérieux - les derniers énergumènes niant l'impact de l'activité humaine sur l'environnement ont été engloutis comme des mammouths : les chercheurs ont fait leur travail et réussi à faire passer le message du réchauffement climatique. Mais aussi le développement durable, la démocratie qui sous-tend liberté et équité, tous ces thèmes qui s'invitent avec une acuité grandissante dans l'air du temps, ne sont pas réservés aux diners en ville ou aux think tanks. Ils s'inscrivent au coeur de l'affrontement d'aujourd'hui. Seuls les oligarques semblent ne pas le voir, ne pas l'admettre, ne pas en tirer les conséquences. Pourtant, voilà ce qui explique cet affrontement.

La dimension géographique : Nantes en Bretagne

Nantes a connu de grands drames au cours de son histoire (siège du Château par l'armée française du temps de la Bretagne indépendante, noyades dans la Loire sous la Révolution, bombardements ravageurs durant la guerre...). Sur la sinistre période de la traite négrière, la ville a fait un travail de mémoire (rendu visible par le Mémorial de l'abolition de l'esclavage), et c'est tant mieux. Mais, la gouvernance locale reste imprégnée de l'air vicié de la période pétainiste. Cela ne peut échapper à l'observateur en place. L'exposition « Nantes en Guerres » au Château et qui s'achève ce week-end en témoigne. Un pan de mur montre quelques affichettes sur la Bretagne de l'époque, mais rien sur la partition de la Bretagne. Les responsables oublient très volontairement d'exposer un fac-similé du Journal Officiel du 30 juin 1941 (voir notre article) .

Cette problématique de la cohérence territoriale, cette affirmation-là, puissante et sous-jacente, - était aussi dans la manifestation. Gwenn ha Du, Kroaz Zu, pavillon herminé de la ville de Nantes, drapeau herminé du pays de Retz (en rive sud de la Loire). Tous étaient au rendez-vous. Quel meilleur emblème, quel drapeau plus efficace que le Gwenn ha Du pour soutenir haut et fort la revendication démocratique dans les fumées lacrymogènes ? Il y a des moments forts, annonciateurs d'avenir. Je veux croire que ceux-là en sont ! La Bretagne n'a pas dit son dernier mot. N'he deus ket Breizh lâret he ger diwezhañ.

L'avenir de Nantes passe nécessairement par la prise en compte de sa position géographique, de sa mémoire, et de sa vocation sur le temps long, c'est-à-dire par la Réunification bretonne et la réorganisation des régions administratives du nord-ouest de la France. En bonne intelligence les unes avec les autres. Les oligarques et apparatchiks - inutile de les nommer, ils se reconnaîtront - refusent ce scénario. Jusqu'à quand ? L'attractivité de Nantes est à ce prix.

Vers 17 h 30, les tracteurs s'éclipsent. Dans le calme et avec responsabilité. La manifestation se termine doucement. Le reste n'appartient pas aux organisateurs. Que des gendarmes casqués et des jeunes gens s'affrontent - de surcroît, en dehors du tracé de la manifestation - n'a rien de neuf. Qui peut faire semblant de le découvrir ?

Stop au mensonge, stop aux manipulations gouvernementales. Vive Nantes et vive la Bretagne. Bevet Naoned ha bevet Breizh !

Yann Lukaz


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Lundi 29 avril 2024
Voir aussi le point de vue d'Hubert REEVES, scientifique bien connu du grand-public: «L'analyse économique du projet est partielle et fragile». Voir le site
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