«A Quimper, les esclaves manifesteront pour les droits de leurs maîtres» a dit Jean-Luc Mélenchon à propos du rassemblement des Bonnets Rouges du 2 novembre dernier. Cette réflexion est insultante pour les salariés bretons. Ils sont considérés comme des m… par quelqu'un qui se prend pour l'Himalaya de la pensée de gauche, alors qu'il n'en est que la Butte Montmartre.
Prendre les patrons bretons pour des «maîtres» est tout aussi exagéré. C'est leur accorder un pouvoir obscur qu'ils n'ont pas. C'est vivre dans un monde complètement fantasmatique, partagé entre les bons et les méchants, la vertu et le vice. Pour les enfants accrocs de Jurassic Park, c'est le partage entre les diplodocus herbivores et les tyrannosaures sanguinaires. Pour asseoir leur autorité sur nos anciens, les vieux curés leur avaient raconté quelque chose de similaire, avec des angelots d'un côté et des diablotins de l'autre. Comment peut-on encore y croire ?
En quelques lignes, je vais faire le portrait du patronat breton. Amateurs de sensations fortes, dénonciateurs compulsifs et membres du Parti de Gauche, vous allez être déçus.
Vu des statistiques, c'est quoi un patron breton ?
Sur la Bretagne historique, on compte environ 202 000 entreprises (138 000 pour la Bretagne administrative). 94% ont moins de 10 salariés. Le tissu économique breton est constitué de petites entreprises disséminées sur tout le territoire. Le patron breton moyen, c'est un artisan qui a quelques salariés.
Depuis 2008, on fait la différence entre les micro-entreprises, qui ont moins de 10 salariés, les PME qui ont entre 11 et 250 salariés, les entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui ont entre 251 et 5000 salariés, et les grandes entreprises, qui ont plus de 5000 salariés. On peut aussi faire la différence selon le chiffre d'affaires. Les PME ont un CA inférieur à 50 millions d'euros. Les ETI ont un CA inférieur à 1,5 milliard d'euros.
En Bretagne, les 4 catégories s'équilibrent en matière d'emploi. 21% de l'emploi salarié du secteur privé sont dans les micro-entreprises, 29% dans les PME, 24% dans les ETI, 26% dans les grandes entreprises.
Il faut remarquer que ces chiffres évoluent. En France, sur 10 ans, 300 000 emplois ont été créés dans des entreprises de moins de 20 salariés, 300 000 autres dans les entreprises entre 20 et 500 salariés. Pour les entreprises plus grandes, le bilan est nul : elles ont licencié autant qu'elles ont embauché.
Vu de la place du village, c'est quoi un patron breton ?
Plus de 9 patrons bretons sur 10 dirigent une micro-entreprise. Ils n'ont rien à voir avec les patrons du CAC40. Ils ne forment pas une caste étanche.
Ils fournissent des services aux populations locales. Ils animent le territoire. Ils participent aux mêmes associations locales que leurs salariés, font leurs courses aux mêmes magasins, envoient leurs enfants aux mêmes écoles.
L'enjeu pour les 10 années qui viennent est le maintien d'un patronat local. 50% des entreprises bretonnes vont changer de main. Quand une entreprise est rachetée par quelqu'un d'extérieur pour en faire une filiale, le scénario classique est le suivant : délocalisation des décideurs ; ensuite, délocalisation des bureaux de recherche et développement ; enfin, délocalisation des unités de production.
Tous les moyens doivent être mis en place pour maintenir les innombrables lieux de décision économique en Bretagne. La transmission aux salariés est un moyen qui assure l'ancrage territorial. Aujourd'hui, les entreprises locales se transmettent mal. Beaucoup d'entre elles mettent la clé sous la porte quand le patron s'en va.
Quand on parle de maintenir les services publics sur les territoires ruraux, il faudrait considérer que le boulanger, le chauffagiste ou le pharmacien sont des services au public, même si les patrons locaux n'ont pas un statut de fonctionnaire. Les approches corporatistes ne sont pas adaptées à l'aménagement des territoires.
Vu de l'intérieur de l'entreprise, c'est quoi un patron breton ?
C'est quelqu'un qui a investi son capital, son avenir et son identité dans son entreprise. Autrefois, on disait «son honneur» (le suicide des petits patrons est un sujet tabou).
Les 94% de patrons de micro-entreprises bretonnes travaillent avec leurs salariés sur les mêmes chantiers ou dans les mêmes bureaux. A midi, ils fréquentent les mêmes cantines ou mangent les mêmes sandwiches. Tout le monde vit ensemble du matin au soir. Tout le monde a un destin précaire, le patron comme l'ouvrier.
Dans les entreprises gérées par des gestionnaires salariés, la masse salariale fait partie des charges variables. Dans les petites entreprises gérées par des patrons propriétaires, la masse salariale fait partie des charges fixes. Quand ça va bien, le patron gagne plus que ses salariés, car il ne partage habituellement pas les bénéfices. Quand ça va mal, son revenu sert de variable d'ajustement. Les hauts et les bas font partie de la vie d'une entreprise. On ne licencie pas un membre de l'équipe que l'on a constitué, sauf en dernière extrémité. De toute façon, c'est trop compliqué et cela coûte beaucoup plus cher, financièrement, socialement, émotionnellement, que de couper sur ses revenus.
Le but est de durer. L'objectif n'est pas le résultat financier annuel, mais la viabilité de l'entreprise sur le long terme. Cette viabilité est mesurée par l'EBE (excédent brut d'exploitation). Le patron local ne regarde pas son bilan comme le gestionnaire d'une grande entreprise. Celui-ci doit satisfaire des actionnaires anonymes, prompts à abandonner l'entreprise si elle ne leur convient plus.
S'étonner que des salariés se retrouvent avec leurs patrons, en particulier pour maintenir l'emploi local, c'est ne rien connaître au monde du travail dans sa réalité quotidienne.
C'est aussi ne rien comprendre au sens de responsabilité des Bretons.
■Bien sûr, certains crieront alors contre la «fortune» d'un patron d'une entreprise familiale de 200 où 400 employés. Et alors, si ce patron a de l'argent?
Sans doute que ces «peau de chagrins» préfèrent la gestion de ces mêmes entreprises par des financiers, ou des hauts-fonctionnaires de l'Etat!
N'oublions pas que la force de l'Allemagne est moins ses «champions nationaux» à la française, que ses PME et ETI familiales.
Est-il bon également de rappeler que la multitude de patrons de PME et ETI sont également une source importante de contre pouvoir à la dérive antisociale des grands groupes pilotés par les «ayants droits» du pouvoir. (rappelons-nous qui est à la tête des entreprises qui délocalisent en masse!)
M.Mélanchon est avant tout un serviteur de la République qui occupe SON créneau politique. L'important pour lui est d'éviter que le peuple dispose de trop de pouvoir vis à vis de l'état central.
Il ne défend que ses privilèges et ceux de la noblesse de l'Etat français, qui saura le récompenser pour service rendu le jour venu, si cela n'est déjà fait!
En Bretagne, à la grande différence de la France, la lutte des classes n'est pas une valeur. Les bretons préfèrent la responsabilité sociétale et la solidarité.
A la vision française du «diviser pour mieux Régner», les bretons préfèrent le «vivre ensemble».
Au peuple au service de l'Etat, nous préférons l'Etat issu du peuple et au service du peuple.
Il est clair que si la France ne comprend pas les valeurs de la Bretagne (ou les comprend que trop bien), elle a également les mêmes difficultés vis à vis des pays européens notamment les démocraties sociales du nord!
Reste à savoir, qui voudrait des valeurs de la France sans y être contraint ou obligé?
«Toujours est-il, quoi que l'on puisse penser des Bonnets Rouges, que c'est, depuis le CELIB, le seul collectif qui est capable de coaguler des individus et des intérêts qualifiés d'antagonistes par les mono causalistes habituels de la lutte des classes et de la pseudo opposition droite/gauche.
Bref, c'est un mouvement qui s'inspire des pratiques de concertation et de coopération en vigueur depuis longtemps en Allemagne et dans les pays nordiques socio-démocrates.
Et justement, à ce propos, je viens de lire dans l'Ouest-France (appelé »Ouest-Torche« en Loire-Atlantique) du samedi 8 février, un »point de vue« pour ma part très pertinent et instructif émis par l'historien Jean-Pierre Rioux sous le titre »Le petit nuage social-démocrate« (Allusion au virage pris par Hollande).
»Appliqué au Parti Socialiste, le «Hollandisme» ainsi dévoilé tient au détournement de sens, car jamais le socialisme en France n'a été social-démocrate. Jaurès avant 1914....dénonça vertement la toute-puissance de la social-démocratie allemande dans l'internationale.«
Et il termine par ces mots qui sont un véritable réquisitoire contre le peu d'égard de la France pour la démocratie depuis la Révolution de 1789.
»Mais surtout la SFIO et le PS n'ont pas été sociaux-démocrates parce qu'ils participent d'une ambition française qui remonte à 1789: croire que la négociation et la réforme ne peuvent pas être conduites par la société elle-même. Et que celle-ci doit s'en remettre pour avancer malgré tout, à la médiation des partis progressistes et de l'état jacobin.«
Et voilà, tout est dit, et la droite elle-même avec son bonapartisme, toute aussi jacobine raisonne de la même façon.
On comprend mieux pourquoi, »nos« élites utilisent si peu le mot »démocratie« (peut-être Giscard avec sa »Démocratie française«) lui préférant le terme improbable de »valeurs de la République« servi à toutes les sauces.
On comprend mieux pourquoi Chirac s'est dérobé à un congrès réunissant à Varsovie 17 pays européens dans le but d'inscrire le terme »Démocratie« dans les textes fondateurs de l'Europe.
On comprend aussi pourquoi la France est classée dans la catégorie »démocratie imparfaite« à la 31 è place mondiale par les organismes internationaux.
Les talibans jacobins de 1793, les Montagnards que le philosophe Onfray n'aimait pas (émission de F2 le vendredi 7 février par F.Taïeb) leur préférant les révolutionnaires de 89 d'avant la Terreur, sont toujours présents de nos jours, 210 ans après !!! C'est invraisemblable !
Et toujours aussi chauvins et nationalistes si j'en juge par l'arcboutement de Vals lors d'un débat télé ce jeudi dernier sur F2 sur son opposition à une Europe Fédérale (comme Hollande qui a toujours soutenu une »Europe des Nations«...C'est quoi ? Une sorte de Feu-SDN ?), ni même une fédération, préconisant au mieux »une collaboration accrue avec les partenaires européens«.
En tout état de cause, il était hors de question d'aliéner la souveraineté française.
De tels propos inconscients à l'égard de la réalité française actuelle m'ont éc½uré.
Nos dirigeants foncent dans le mur en accélérant, ils se croient encore dans une France »phare du monde", une grande puissance incontournable !
Le réveil va être dur !