Les Bonnets rouges sont-ils compatibles avec le système politique français? (3)

Point de vue publié le 13/01/14 16:56 dans Politique par Christian Rogel pour ABP
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Les délégués de comités locaux de Bonnets rouges, à Pontivy, le 11-01-14

Une trajectoire politique inattendue

D'une fraternité dans l'abattage d'un portique écotaxe en août 2013 (voir notre article) est née une alliance intercatégorielle entre les agriculteurs, leurs transporteurs et les ouvriers d'usines agroalimentaires menacées afin d'organiser deux rassemblements pacifiques qui furent des succès en novembre 2013 (voir notre article) et mirent hors-jeu les syndicats ouvriers qui montrèrent leur faiblesse structurelle (voir notre article).

Le "Collectif Vivre, décider et travailler en Bretagne", qui n'est pas une association déclarée, s'est alors mué en une organisation politique, nouvelle à plusieurs égards.

En appelant à la constitution de comités locaux des Bonnets rouges, il n'est pas certain qu'il ait eu immédiatement conscience de ce qu'il a entrepris, dépassant les problèmes immédiats (écotaxe, entraves administratives, pertes d'emplois) et réussissant à fédérer des dizaines de groupes réunissant des centaines de personnes en quelques semaines.

Qu'est-ce que le peuple des Bonnets rouges ?

Les organisateurs ont été surpris par l'ampleur des rassemblements de Quimper et de Carhaix où sont venus avec un enthousiasme visible des jeunes et des moins jeunes qui n'avaient pas l'habitude de manifester et qui n'auraient pas imaginé qu'ils le feraient un jour. La majorité était ceux que Thierry Merret, syndicaliste agricole, appelle « les besogneux » : agriculteurs, artisans, chauffeurs, qu'ils soient ou non chefs d'entreprises, ainsi que des ouvriers et des employés modestes. Ils appartiennent à cette classe moyenne et à ces professions intermédiaires du privé ([[profession intermédiaire]]) qui ont le sentiment d'être sacrifiées au profit des couches plus défavorisées, dans lesquelles, ils savent qu'elles risquent d'être reversées.

Le programme unique, c'est la Charte des Bonnets rouges (voir le site) et, ce que le Collectif a annoncé : "des propositions transversales, mais, aussi, des propositions par secteur d'activités à défendre pour libérer les énergies et redonner un élan à l'économie bretonne et ses emplois... Ces propositions, nous voulons prendre le temps de les formaliser et de les faire partager au plus grand nombre et, notamment, à nos organisations dites représentatives" (Thierry Merret, le 30-11-13, à Carhaix). Les deux mot-clés sont le temps et le partage. Les Bonnets rouges estiment sans intérêt de répondre au gouvernement et à son Pacte d'avenir qui sera détaillé en mars 2014, au bout d'un délai insignifiant de 3 mois, calé sur les échéances électorales.

Dans le même discours, Thierry Merret annonce que des cahiers de doléances seront proposés à la signature des Bretons eux-mêmes. C'est l'association vannetaise, Breizh Impacte, une sorte de laboratoire d'idées dédié à la Bretagne, qui est chargée de les recueillir sur son site et de centraliser les fiches écrites. Il s'agit de doléances individuelles et non pas collectives. (voir le site)

Le montage de la machine politique des Bonnets rouges

Dès le 9 décembre 2013, une liste de comités locaux a été publiée, certains déjà pourvus d'une page ou d'un groupe) Facebook (voir le site) En réalité, la plupart des comités ont été réunis, plus tard, soit par des personnes liées au Collectif, soit spontanément, avec une validation postérieure. 48 comités ont été créés en 1 mois, y compris dans la Diaspora bretonne : Viet-Nam, Hong-Kong, Singapour, Paris-Île-de-France. Dans les comités locaux, se rassemblent beaucoup de personnes qui n'ont jamais participé à une organisation politique et n'imaginent pas d'entrer dans un parti. Lors des réunions, il y a un mot qui n'est jamais prononcé, tant il paraît hors du réel : élection.

L'organisation est plus structurée qu'il n'y paraît. Le Collectif, qui se réunit chaque semaine, à Carhaix-Plouguer, a comme membres, [[André Lavanant]], [[Jean-Pierre Le Mat]], Valérie Bescond, Olivier Le Bras, Ronan Le Flécher, Bruno Rosec, Jacques-Yves Le Touze, Éric Nodé, Éric Berder, Yves Michel, et d'autres. Christian Troadec n'est pas un leader tout-puissant, mais, plutôt un porte-voix, passant bien à la télévision et sachant inventer des formules efficaces, grâce à sa triple expérience de journaliste, de chef d'entreprise et d'élu local et départemental.

Trois déclarations, parfois, à la limite de la provocation ; - ultimatum au gouvernement (5-11-13), éventuelle candidature régionaliste à la présidentielle de 2017 (15-12-13), opposition à Notre-Dame-des-Landes, (22-12-13) - ; quoique contestées par certains de ses partisans, lui ont donné une célébrité médiatique quasi-mondiale, une forme d'exploit pour un « petit » élu. Interrogé par Le Figaro (16-12-13) sur une « alliance avec d'autres partis », il déclare :  « Notre volonté est plutôt de rester dans le cadre de notre mouvement et de le structurer pour se donner les moyens d'avoir un candidat (à la présidentielle, NdA)." On va d'ailleurs beaucoup parler de programme dans les prochains mois. Le 8 mars, nous organisons ainsi, avec les Bonnets rouges, les États-Généraux de la Bretagne, à Morlaix, qui seront ouverts à tous les Bretons. Nous y bâtirons un projet alternatif pour la région et nous y évoquerons, bien sûr, 2017. "

Sa candidature éventuelle ne fait pas du tout consensus chez les Bonnets rouges, mais, ils approuvent pleinement ses formules comme  « Le peuple breton retrouve sa dignité » et « il faut refuser les diktats de Paris ».

Les Bonnets rouges, un mouvement inventé pas à pas

Jean-Pierre Le Mat, membre du Collectif, indique que « les méthodes sont inventées à chaque étape ».

La création de dizaines de comités locaux permet, dès le 5 janvier 2014, de lancer des centaines de gens dans l'opération « Chacun son pont » (voir notre article). En moins d'un mois a été rassemblée une base militante prête à agir, dans le cadre qui lui est donné. Certains comptes, pages et groupes Facebook et autres comptes Twitter ont des centaines d'amis/suiveurs.

Dans les comités locaux, il y a deux référents (dont 1 pour les réseaux sociaux) et un secrétaire administratif. Le terme de référent semble signifier qu'il doit être une passerelle empruntable dans les deux sens (voir notre article). Les sources de financement ne sont pas encore déterminées et l'excédent dégagé par les buvettes et les stands de Carhaix va servir aux États-Généraux de Bretagne, à Morlaix.

Le 11 janvier 2014, 120 délégués des groupes locaux ont rempli une salle du Palais des congrès de Pontivy pour dialoguer avec le Collectif et recevoir leur feuille de route qui comporte les consignes suivantes : les actions doivent être en ligne avec la Charte, les rassemblements publics doivent être soumis à l'avis du Collectif et toute prise de position en faveur d'un parti ou d'un syndicat sera désavouée (voir notre article).

Il n'est pas demandé d'avoir les mêmes convictions sur tout, ce qui a été résumé par Éric Nodé, coordonnateur pour la Cornouaille Ouest : « Tous Bretons, tous différents ». On a même vu, appliquée à la Bretagne, la devise de l'Europe : « Unis dans la diversité ». Les Bonnets rouges, surtout les agriculteurs, restent attachés à l'Union européenne, ce qui les différencie ipso facto des imitations d'extrême-droite et contrairement, à ce que dit la presse, hors de l'écotaxe, la contestation des impôts n'est pas le thème principal, car, il s'agit de trouver des solutions pour la Bretagne et non pas de désigner des coupables.

Les Bonnets rouges, de la base vers le haut

Michel Guénaire, un avocat, partisan de plus d'État et de moins de décentralisation, appelle de ses vœoeux un projet politique pour la France et affirme : « Quand la classe politique n'est plus capable de définir ce projet, il faut repartir de la société civile. Elle, seule, a la connaissances des besoins, l'expérience du terrain, l'intuition des solutions ». (Le Monde, 11 janvier 2014). Célébrer la société civile est plus facile à ceux qui sont dans l'opposition qu'à ceux qui gouvernent.

Cette proposition est, en fait, celle des Bonnets rouges, mais elle est appliquée à la Bretagne qui leur semble avoir une meilleure échelle pour la réaliser. Peut-on imaginer sérieusement que la République française, vaste comme un empire, puisse être le théâtre d'une « (longue) marche » pour « réussir un nouveau départ du pays », que notre juriste parisien annonce devoir être mis en branle avant 2017 ?

On cherche les précédents et les activités, jusqu'ici peu abouties, des Indignés (vidéo « Les Indignés du Bout du Monde ») et des Parti pirates (voir le site) ne sont pas vraiment comparables, mais elles montrent que les sociétés civiles revendiquent une place et voudraient des organisations bottom up et non plus top down (pyramidales). Une organisation traoñv-krec'h pour éviter l'anglais, alors que le français n'a pas d'expression courte, même si on propose parfois auto-construction. Le terme de « gouvernance populaire » a été avancé par Jean-Pierre Le Mat.

Les Bonnets rouges ne sont pas seulement atypiques, ils font peur

Le projet des Bonnets rouges est atypique et soulève un énorme sujet : la Bretagne est-elle un objet politique autonome par rapport au théâtre politique parisien et est-il capable d'intéresser une majorité de Bretons ? Il remet en cause, simplement en l'ignorant, l'idée de la primauté de l'élection qui remonte à 1790. Très peu d'élus ont soutenu le mouvement et le Collectif, comme les comités locaux, n'accueille les membres qu'à titre individuel. L'inefficacité de la classe politique est critiquée comme ayant partie liée avec un Paris incompétent et trop lointain.

A côté de responsables syndicaux, une petite partie des militants sont issus de la mouvance politique bretonne, mais, plutôt celle qui pousse des objectifs de culture bretonne et n'a jamais voulu adhérer à un parti breton ou en a quitté un. Le pôle ouvrier semble toujours actif et prêt à prendre toute sa place et la question d'un syndicalisme ouvrier breton reste ouverte.

Un effet négatif sur les partis du mouvement breton et des écologistes est aussi possible, voire une sourde rivalité. L'Union démocratique bretonne (UDB) soutient officiellement le mouvement, mais réécrit son slogan en « Vivre, travailler et décider en Bretagne ». Placer « décider » en dernier est singulier pour un parti officiellement autonomiste.

Même absents des élections, les Bonnets rouges font peur et feront de plus en plus peur. Les élus s'inquiètent, surtout ceux de gauche qui voient surgir un front indistinct de gens imperméables au clientélisme et au vote de classe et qui met en avant son « amour de la Bretagne ». Réaction d'un adjoint socialiste à la culture de Plourin-les-Morlaix (voir le site) . La relocalisation des décisions en Bretagne (Charte) peut être angoissante pour une (petite) majorité de Bretons et, plus encore, de Français et si le nouvel acteur arrive à peser, même de l'extérieur, sur les machines électorales, il sera décrété ennemi public N°1.

Sa durée de vie dépendra de l'écho réel qu'il a et aura dans différentes couches de la société, les plus réfractaires étant celles qui sont liées à l'État pour leur revenu (800 000 personnes et leurs familles selon l'UDB dans Le Peuple breton, décembre 2013). Il faudra beaucoup d'imagination et de dynamisme pour faire vivre cette APNI (action politique non identifiée).

A la question posée dans le titre, il semble raisonnable de répondre que les Bonnets rouges ne sont pas compatibles avec le système politique français. Leur histoire ne fait que commencer.

Articles précédents sous le même titre :

1 (voir notre article)

2 (voir notre article)

Site officiel des Bonnets rouges : (voir le site)

Page Facebook officielle des Bonnets rouges : BonnetsRougesOfficiel

Compte Twitter officiel des Bonnets rouges : @bonnetrougeBZH

Christian Rogel


Vos commentaires :
Samedi 4 mai 2024
Vous avez raison de dire que l'UDB a repris, de manière légitime, un de ses anciens slogans et n'a pas modifié celui du collectif VDTB.
Il n'empêche que le moment n'était pas fortuit.
Le plus intéressant est que la revendication de la décision ait été avancée d'un cran après plus de 30 ans.
Cela sera-il compris par les Bretons? Trop tôt pour le dire.
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