Entre patchwork (1), comme à jamais enraciné et poétique et scrapbooking (2), semblable à un fort riche collage de
« photographies » des temps présents… ou passés mais de ceux qui datent d’un hier, ô combien d’actualité, voici le nouveau grand cru de Monsieur Gilles Servat !
22e album, 13 chansons, 6 nouvelles, 4 reprises actualisées, 3 traditionnels, soit 10 en français, 2 en breton, 1 en anglais.
Titre de l’album : « C’est ça qu’on aime vivre avec », comme un hommage aux parlers « endémiques » qui font la spécificité de chaque « pays breton », de Brest à Nantes, en passant, entre autres lieux, par Douarnenez, Locoal-Mendon, Groix…
Ce disque est un projet brestois réalisé, dans le climat d’une évidente complicité musicale et amicale avec, notamment, quelques membres des Goristes.
L’enregistrement s’est déroulé de mai à juin 2013, au studio local Amadeus avec l’excellence de la prise de son, du mixage et du mastering de Partrick Audoin qui joue, également, sur cet opus, des guitares et mandoline.
Citons, les autres musiciens :
Au piano, claviers, accordéon : Jacky Bouillol.
A la batterie et percussions : David Rusaouen et Jacquy Thomas à la basse électrique, contrebasse et choeurs.
Les brillantes bombardes sont assurées par Maëlann Hervé, Servane Le Dran issus du bagad Roñsed Mor de Locoal-Mendon et Loic Le Cotillec, jouant à la Kevrenn Alré.
Côté voix, citons Henri Girou, choriste dans « La forêt sur la rade ».
Et, ô émotion pour Gilles, sa fille, Bleuenn Servat qui chante, avec belle fusion, le refrain du premier titre qui donne son nom à l’album.
Gilles Servat est au bodhran et au chant… et quel chant !…
La magnifique voix de Gilles n’a jamais été aussi profonde, brûlante, nuancée, passant, en quelques instants, du timbre indigné à la suave caresse. Là aussi nous pouvons parler d’un excellent millésime.
Bien sûr, nous avons aimé, en ouverture de ce CD, le titre phare de ce recueil de chansons, toutes, magnifiquement « troussées ».
« C’est ça qu’on aime vivre avec » sonne en un pittoresque chant d'amour au peuple breton, celui qui s’exprime avec ses mots nés sur les chemins de terre, les dunes, les landes ou dans les bistrots des ports du « pays qui regarde la mer ».
C’est un florilège de Bretonnismes issu de la lecture des ouvrages à succès « Les Bretonnismes » d’Hervé Lossec qui, pour le vocabulaire de certains terroirs, a apporté, ici, son expertise au chanteur, aidé, également, dans son écriture, par sa compagne, Rozenn, Gilles étant plus connaisseur des mots éclos à Groix ou à Nantes.
Bien secondés par « le petit lexique », qui figure en page 2 du livret, nous nous délectons de cette mosaïque de vocables qui comme un gwen ha du, mais, ici, en hautes couleurs, traduit, à la fois, les différences et l’unité de cette fière et attachante péninsule bretonne.
Nous sommes là, bien au-delà des clichés, mais en présence de mots vrais et partagés, quasi quotidiennement, par plusieurs générations. C’est du vécu, de l’authentique.
La mélodie est simple, chaloupée, conviviale et judicieusement illuminée d’éclats de bombardes … à reprendre en choeur, incité par la remarquable union, au refrain, des voix de Gilles et de sa fille, Bleuenn.
« C’est un hommage au parler des gens de chez nous, ceux avec qui j’aime vivre », explique Gilles Servat. (Ouest France).
Un instant d’extrême délicatesse, d’amour et de réelle poésie, écrit, en voiture, sur la route de la tournée, nous a, en plage 2, particulièrement, charmés.
« Quand je reverrai ma belle » est tout Gilles, un homme chevaleresque, une âme sensible et profondément humaine, à peine pudiquement cachée sous une couche granitique mais tellement évidente lorsqu’il parle à, ou de la femme qu’il aime, notamment, lorsque l’absence se fait ressentir.
« Sans d’mander la permission », dont l'arrangement est signé Patrick Audouin, met un terme à cet instant d’intimité amoureuse comme si Gilles, « claquant la portière de ses sentiments profonds » reprenait le glaive de la lutte pour la vie où chacun doit agir par lui-même. « Nous-mêmes, nous-mêmes, mieux vaut l’aventure que la mort ».
La Guitare et la voix sonnent rock et les mots claquent et prennent résonance, sans aucune agressivité mais par la force de la conviction avec lesquels ils sont prononcés.
Si nous avons commencé cette présentation, en suivant, pas à pas, la liste des plages musicales gravées, nous n’allons, toutefois, pas énumérer, dans cet article, tous les titres que nous avons aimés, car tous sont dignes d’intérêt et nous touchent. C’est, toujours le permanent « problème » avec Gilles… mais qui s’en plaindrait ?
Ah, pardon… encore une exception à cet d’ordre rigide auquel nous voulions échapper pour ne point vous lasser…
Puisqu’il s’agit, en plage 4, de « Désertion », une reprise de 1972.
Gilles voulait lui donner un ton plus doux avec un son actuel et sa voix d’aujourd’hui.
Le fond du texte n’y a rien perdu, bien au contraire, et la couleur musicale jazzy ouvre, à l’écoute, un nouvel univers inattendu. Que le piano est limpide et volatile sur les frôlements de baguettes balayant la caisse claire, eux-mêmes rythmés par la ponctuation profonde et ronde de la contrebasse.
La diction subtile et tellement ressentie de l’artiste ajoute à la dramaturgie des propos chantés.
Les deux titres en breton « Gouleier an noz » (Lumière de nuit) et « Tad er martelod » (Le père du marin) corroborent les propos de Gilles qui souligne « que la langue bretonne sonne bien » !
Que la guitare électrique qui enrobe ces deux titres est élégante !
Un dynamique et pictural titre à découvrir… « En 62 quand elle est née ».
À travers une chanson écrite pour le cinquantième anniversaire de sa compagne, Rozenn, Gilles ressort sous nos yeux des « photos » balayant un demi-siècle d'histoire à rebondissements, à la manière d’un récit autobiographique, d’un inventaire d'événements, de circonstances ou de comportements sociaux qui ont jalonné, comme pour nous-mêmes, les cheminements de Rozenn et de Gilles qui, in fine, se sont, dans la vie, rejoints.
« C’est comm’ça que 33 ans plus tard,
Après une soirée musicienne
Rozenn rattrapait son retard
Et qu’ma vie devenait la sienne ».
Pour les fidèles du chanteur, signalons une reprise du titre « Les prolétaires » qui figurait sur son premier 33 tours « La blanche hermine », mais, ici, avec un son plus rock et la ré-écriture du 4e couplet.
Si Gilles voyait l’évidente actualité de cet ancienne composition, il ne se doutait pas, à l’époque de l’enregistrement, qu’elle serait, à nouveau, publiée dans la brûlante actualité des « Bonnets rouges ».
Comment « passer », nous reprocherez-nous, sur les spires veloutées de la voix de Gilles qui vit et transcende son écrit tout en confidence, seulement partagée par les notes de pluie d’un piano cristallin et la nostalgique mélodie d’un accordéon complice dans « Loin des neiges de la Néméti » ?
Comment « passer », nous reprocherez-nous, cette fois, dans un registre fort différent, sur un titre qui devrait bientôt intégrer le répertoire des chants de marins, « La forêt sur la rade », inspiré par les rassemblements de vieux gréements dans le port du Ponant ?
Nous voulons, aussi, comment nous le reprocher, vous laisser découvrir les autres joyaux qui embrasent ce disque.
Le climat de ce nouvel opus sonne plus électrique, plus rock que celui des précédents albums.
La poésie, l’authentique, la substantielle, l’actuelle, celle qui échappe à la mièvrerie, au cliché cent fois régurgité, au « branché » ou au « poussiéreux » de trop nombreux textes prétendus poétiques gravés ou publiés est, tout au long de ce CD, qualitativement, omniprésente. Une référence pour une pléiade de récurrents et conformistes rappeurs et slameurs ou d’écrivaillons de naïves et insipides « bleuettes ».
Tous les titres de l’album sont signés, textes et musiques par Gilles Servat, excepté « Peuple des dunes » écrit par Brigitte Gresy, texte qui marque, par ses mots, quatre ans de combat collectif, de 2005 à 2009, pour contrecarrer en baie d’Etel, un projet d’extraction de sable par deux multinationales du ciment.
La musique est de Gilles.
Vous l’avez compris, cet album nous a particulièrement séduits.
Il est très varié, tout en étant cohérent, car épousant intrinsèquement les multiples talents du chanteur.
Avec des nouvelles chansons de révolte, d'amour, des anciennes revisitées, mais, plus que jamais d'actualité, nous découvrons sur des tonalités plus jazz, un subtil mélange du piano et de la guitare. Acoustique ou électrique celle-ci teinte, particulièrement, les traditionnels ou les morceaux plus rock.
Tour à tour drôles, engagées, poétiques, ou passionnelles, elles génèrent émotions et diversité.
Gilles n’est décidément pas que le vindicatif, l’écorché vif, l’anarchiste, états d’esprit dans lesquels beaucoup veulent, exclusivement, l’étiqueter, le cantonner, oubliant la plus grande de ses forces, la poésie, toujours grandissante de son écriture et la maturité d’analyse et d’interprétation atteintes qui ne nuisent en rien, bien au contraire, aux messages de fond qu’il sait si bien nous faire passer, « en douceur, mais avec force ».
Dans votre discothèque, intégrez l’excellent « dernier Servat ».
Les albums de Gilles…. « C’est ça qu’on aime vivre avec » !
Gérard Simon
Notes
(1) Patchwork : technique de couture qui consiste à assembler plusieurs morceaux de tissus de tailles, formes et couleurs différentes pour réaliser avec cohérence et esthétisme un ouvrage.
(2) Scrapbooking : création consistant à intégrer des photographies dans un décor en rapport avec le thème abordé, dans le but de les mettre en valeur par une présentation plus originale qu'un simple album photo.
1 - C'est ça qu'on aime vivre avec (3:32)
2 - Quand je reverrai ma belle (3:18)
3 - Sans d'mander la permission ( 2:29)
4 - Désertion (3:24)
5 - Gouleier en noz (2:26)
6 - Loin des neiges de la Néméti ( 3:00)
7 - La Forêt sur la rade ( 2:34)
8 - En 62 quand elle est née ( 5:05)
9 - Black is the Color (3:52)
10 - Chanson pour François Quénéchou (5:16)
11 - Les Prolétaires ( 4:04)
12 - Peuple des dunes ( 6:09)
13 - Tad er martelod (5:02)
Pour écouter 4 extraits du CD, rendez-vous sur notre page de Culture et celtie, le MAGazine...
CD «C'est ça qu'on aime vivre avec » :
Parution : novembre 2013
Edité chez : Coop Breizh l: (voir le site)
Réf : 4015801
Site officiel de Gilles Servat : (voir le site)
© Culture et Celtie
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