L'automne des Bonnets rouges : le premier récit du grand ébranlement

Présentation de livre publié le 14/12/13 15:50 dans Politique par Christian Rogel pour ABP
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Celui qui est un éminent libraire est en passe de devenir un grand éditeur, capable de « coups » à faire pâlir ses confrères à 600 km plus à l'Est. Charles Kermarrec, a créé une maison d'édition portant le même nom que sa magnifique librairie Dialogues, au centre de Brest.

Le 12 décembre, 6 semaines après l'apparition des Bonnets rouges 2013 et 13 jours après la très courue manifestation de Carhaix, qui est annoncée, il publie le premier livre sur cet OVNI politico-social qu'est l'alliance des Bonnets rouges (octobre 2013). L'ouvrage de 225 pages comprend 4 textes très complémentaires.

La préface d'Emmanuel Todd, « Finistérien d'adoption », chercheur multi-carte et participant régulier des débats télévisés, est à la hauteur de son interview dans Marianne du 16 novembre, dont nous avons fait mention dans notre article très critique sur l'aveuglement et l'abandon de poste des médias parisiens (voir notre article).

Il va plus loin et parle d'un « effort délibéré du centre pour imposer sa vision... (afin de) plaquer les concepts de passéisme, de poujadisme et de régionalisme sur la révolte » ». Pour lui, Bretagne a de telles caractéristique d'homogénéité et de solidarité qu'aucune région ne sortira de la crise, si la première n'y arrive pas. Il écarte toute interprétation nationaliste pour préférer la mise en cause d'une Europe qui impose un carcan libéral et une monnaie unique.

René Pérez, directeur des rédactions du Télégramme, le quotidien de Brest, fait des descriptions approfondies. Il donne une chronologie en n'oubliant pas le lointain événement fondateur, la manifestation au péage autoroutier de la Gravelle (limite Est de la Bretagne), le 4 février 2009. Il rapporte la présence de Jean-Yves Le Drian, alors, président de la Région Bretagne, mais c'est la présence de Christian Troadec qui était finalement plus significative (voir notre article).

René Pérez utilise, comme nous, le mot d'alliance pour parler des Bonnets rouges (voir notre article) et il détaille un scoop : c'est Thierry Merret qui serait venu à Carhaix le 28 octobre pour confirmer à Troadec (voir notre article) le soutien de la FDSEA et, donc, des légumiers. Plus exactement, c'est la date de la création de la machine politique appelée « Collectif Vivre, décider et travailler en Bretagne » et cela a permis le succès du rassemblement de Quimper, le 2 novembre (voir notre article). Devant une télévision pro-russe, Thierry Merret a mentionné un temps de lutte de 4 mois(voir notre article), preuve que l'alliance, qui groupait, d'abord, des transporteurs et des artisans, s'est solidifiée, avec la présence organisée des agriculteurs, lors de la chute du portique de Guiclan, le 2 août (voir notre article). René Pérez colporte une légende : le fait que l'anarcho-syndicaliste Marc Hébert (FO29) ait jamais appelé à venir à Quimper. A FO, on a su cacher d'avoir été dépassé par sa base (voir notre article).

René Pérez, qui a probablement rédigé son texte à la mi-novembre, qualifie d'erreur stratégique, l'ultimatum posé par Troadec au gouvernement le 5 novembre, mais, la dernière semaine du mois, les portes des télévisions se sont ouvertes devant celui qui a défié l'État. Il le voit comme l'homme fort des régionales de 2015, faiseur de majorité. Ajoutons que les portes de la députation lui seront ouvertes en 2017.

Jacques Baguenard, professeur de droit et de science politique à l'université de Brest, fait l'analyse la plus fouillée qui soit parue. On ne peut que choisir quelques points : le duo Troadec-Merret est le pendant de l'efficace duo Georges Lombard (maire de Brest) - Alexis Gourvennec (agriculteur de Taulé, comme Merret) qui a mené le Célib des années 60 et l'intérêt général peut dépasser par solidarisation pour une synthèse créatrice menant à un horizon commun, la somme des intérêts particuliers que représentent les syndicats ouvriers et les réseaux de patrons. Le slogan « Re 'zo re » (Trop, c'est trop) lui inspire un parallèle avec le mouvements des Indignés.

Pour lui, Brest et son université sont marginalisés par les axes Paris-Rennes et Rennes-Nantes, terrain de jeu d'une « nomenklatura spécifique et redondante », le Pacte d'avenir (un « faux pacte ») pourra provoquer une déception qui sera la matrice d'autres incendies, d'autant que l'État est dans l'unilatéral, avec un silence coupable de la Région, au lieu de s'adresser à tous les acteurs, quelque soit leur rang (pas de consultation du Collectif) et le Pays de Galles pourrait être une source d'inspiration.

Il montre aussi l'importance et l'efficacité des réseaux patronaux qui savent réfléchir depuis longtemps sur la Bretagne (Club des Trente, Institut de Locarn (voir notre article), Produit en Bretagne (voir notre article), Diaspora économique de Bretagne). Il pointe, dans une analyse exemplaire, qu'à l'exception d'une députée et de deux sénateurs, les douze parlementaires finistériens, tous socialistes ou apparentés, ne portent jamais les problèmes majeurs de leur département dans leurs assemblées et que les réponses ministérielles sur les questions agricoles sont toujours hors-sol. Les voies de « captage » sont donc obstruées, d'où la surprise des acteurs politiques, et les Bonnets rouges doivent aider à mettre en chantier « la révision des codes collectifs ».

Erwann Charles et Hervé Thouement, maîtres de conférence en économie à l'Université de Brest, apportent une étude nuancée de la situation agricole en Bretagne. Il y a des problèmes de pollution, des filières agricoles, bovines et porcines à rendre plus compétitives, mais, pas de désastre dans tout le pays, comme certains le répètent de manière un peu trop propagandiste (voir notre article). Parmi les emplois agricoles supprimés en Bretagne, l'essentiel concerne la Bretagne-Ouest.

Ils livrent aussi une intéressante histoire de l'économie bretonne qui définit un « modèle breton de développement » qui a su pallier l'insuffisance du capital, entre autre, grâce à l'esprit de communauté et de solidarité, qui s'est manifesté dans les coopératives agricoles qui sont en crise par manque de capitaux. Ils pointent le fait que l'Est et l'Ouest de la Bretagne ne partagent pas la même dynamique de développement.

Les solutions résident dans une métropolisation en réseau qui embarquent les zones hors de villes, comme l'hôpital de Brest qui fusionne avec celui de Carhaix à 60 km. Comme Jacques Baguenard, ils appellent à faire de Brest une métropole à part entière, pour réquilibrer avec l'axe Rennes-Vannes.

Le point commun des trois textes est l'appel à la création de régions dotés de pouvoirs et d'instruments fiscaux réels. Au total, un livre d'une hauteur de vue bien plus élevée que la production, vite faite, mal faite, de beaucoup d'autres éditeurs.

L'automne des Bonnets rouges : de la colère au renouveau, Brest, Dialogues, 225 p. (Regards croisés). ISBN 978-2-91835-91-3 . 19 euros.

Christian Rogel


Vos commentaires :
Lundi 6 mai 2024
@Caroline Le Douarin
Le bon texte de René Pérez est complet pour les événements, mais, pour l'analyse, il manque, parfois, de profondeur, sacrifiant beaucoup aux vedettes, qui, pourtant, n'ont pas tout fait, ni maîtrisé.
Il parle, sans assez de nuances, du patronat qui est ici surtout celui de PME (ce qui inclut les agriculteurs et les artisans) avec lesquels de nombreux salariés ne voient pas d'antagonisme de principe, ne serait-ce parce qu'il s'agit de leurs proches et de leurs voisins. Plus difficile à saisir est la dimension de solidarité teintée d'esprit régional, qui puise dans toutes les nuances de l'attachement à la Bretagne, mais, reste souvent non-dite. Cela excuse les imprécisions des commentateurs locaux : comment exprimer le non-exprimé? Des enquêtes qualitatives permettraient d'aller plus loin.
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