La révolte des Bonnets Rouges de 1675

Chronique publié le 24/11/13 9:59 dans Histoire de Bretagne par marc Patay Lejean pour ABP
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Cette révolte qui se propagea dans une bonne partie de la Bretagne à l'époque de Louis XIV n'a guère ému les historiens jusqu'à ce jour. Si l'on fait une recherche sur Fnac.com, rubrique livres, on trouve 2 ouvrages sur la révolte, et comparativement 52 sur Madame de Montespan, maîtresse du Roi "Soleil" !. Un soleil tellement brûlant qu'il dévasta les finances du royaume et causa beaucoup de misère dans le peuple. Autant dire que ce sujet d'importance ne passionne pas nos analystes. Nous verrons pourquoi.

Arthur de la Borderie, dans son Histoire de la Bretagne, tome V, pages 494 et suivantes, a commenté ces évènements tragiques. Comme nous le verrons ci-après, l'histoire n'est pas une science exacte, en dépit des voeœux de Leroy-Ladurie : "On voit que par moments l'histoire, ô bonheur, prend des allures de science exacte !", article paru dans le Figaro Littéraire du 04/09/1997.

Si la collecte des faits a son importance, leur interprétation a ceci de particulier qu'elle est très dépendante des convictions de l'analyste. Le milieu, la formation et la culture, les opinions politiques et religieuses … infèrent beaucoup sur le raisonnement quand il s'agit d'éclairer les événements rapportés.

Arthur de la Borderie, noble, catholique et monarchiste, formé à l'école des Chartes, aime passionnément la Bretagne, n'en doutons pas. Le terme de nation bretonne revient souvent sous sa plume. Quelle est son analyse ?

De l'avis même des représentants de la monarchie absolue en Bretagne, Colbert de Croissy et le duc de Chaulnes, la misère des paysans est grande. Ils ploient sous les corvées, "la multiplicité infinie des petites juridictions", et les abus seigneuriaux de toute sorte. Il commence de naitre dans "l'esprit des peuples, que les privilèges dont jouissaient les nobles n'étaient plus proportionnés aux services qu'ils rendaient", p 495. Tant et si bien que "le mouvement prend un caractère nettement révolutionnaire", p 500.

Bien qu'il ne s'attarde pas sur les aspects économiques et financiers de la crise, ni sur la responsabilité de l'Etat, la Borderie reconnait que le peuple souffre. Cependant il en tient pour la répression, qui intervient après trois mois d'errements pendant lesquels une partie importante des campagnes, en état d'insurrection, échappe au pouvoir central et royal.

L'historien, dépendant de ses intérêts de classe, approuve le châtiment du peuple mais, plutôt gêné aux entournures, ne comprend pas et regrette dans le même temps l'exil du Parlement à Vannes ! Les parlementaires bretons avaient en effet lutté … modérément contre les émeutiers du "papier timbré" et s'opposaient eux aussi au centralisme monarchique et à la litanie des impôts et des taxes dont on grevait la province (Douze impôts et taxes sont créés de 1664 à 1675), sans parler des guerres continuelles qui ruinèrent une partie de la province. La Borderie, antirépublicain, ne souhaitait pas que l'ancien régime fut renversé, maintenant ou plus tard (1789).

L'historien communiste russe Boris Porchnev (1905, 1972) a, quant à lui, étudié les révoltes populaires françaises au 17è siècle et plus en détail celle de 1675, en Bretagne. La "lutte des classes" reste son fil conducteur dans ce dernier ouvrage fort intéressant, qui comble le grand vide laissé par les historiographes français. Mais ces derniers, incapables de remettre en cause leur cher "Grand siècle", critiquent cette notion de « lutte entre classes », voyant plutôt dans ces soulèvements un caractère spontané ! Point n'est besoin pourtant d'être marxiste-léniniste pour accepter cette idée.

Michel Nassiet, dans "La petite noblesse en Bretagne, XVe-XVIIIe siècles, Rennes, 1993", invoque la pléthore nobiliaire, le domaine congéable, les difficultés économiques et les exigences royales, pour expliquer cette révolte populaire de 1675.

Que déduire de tout cela ?

A l'évidence, nos historiens ne s'intéressent guère aux révoltes populaires. Ce sont des sujets qui viennent ternir quelque peu notre "grande histoire nationale", faite de guerre et de batailles, de conquêtes et de gloire, dont tout l'honneur revient à nos grands hommes. Dans le prêt à penser de tout élu, charmé par les commodités de son mandat, la phrase suivante a la cote : "la violence est inutile et ne résout jamais rien". Il serait souhaitable que cela fût vrai, mais notre "histoire nationale", telle qu'on nous l'a concoctée, dément cette belle déclaration.

Le peuple français n'eut pas la chance, comme le peuple suisse, de se débarrasser des nobles et de l'ancien régime, qui n'avaient que trop duré, à l'époque des faits (1675). En 1315, à la bataille de Morgarten, les Suisses, de simples paysans confédérés, se débarrassaient des Habsbourg et de la féodalité. De même, le peuple et les miliciens flamands accédaient à leur indépendance par la victoire des "Eperons d'or" à Courtrai, en 1302, remportée sur la chevalerie française, qui subit de lourdes pertes.

Un siècle avant la Révolution, les paysans bretons ont rêvé de cela. Les Codes paysans ou Pessovat, qui préfigurent les Cahiers de doléances de la grande Révolution, témoignent étonnamment, d'un désir très fort de réformes profondes, et donc révolutionnaires, au point qu'on a douté que ces Bas-bretons en fussent les auteurs. Leurs revendications étaient politiques, très modérées, si on les transpose à notre époque, non dirigées contre le roi, qu'ils ne connaissaient pas, mais contre ses représentants et les effets de sa politique. Ce roi qui ne prit jamais la peine de venir en Bretagne malgré les investissements colossaux, car militaires, de l'arsenal de Brest.

L'histoire nationale, tellement faite pour glorifier les princes et l'Etat, diligentée par eux, ne pouvait, par conséquent, supporter l'intrusion, sans en être ébranlée, d'une autre histoire, celle du peuple, des paysans, des commerçants, des artisans, des petites gens. Étonnamment, les historiens ont, en règle générale, obéi à la raison d'Etat, de gré, de force, ou sans même y penser. On le voit encore aujourd'hui, où certains maintiennent cette interprétation dont ne disconviendrait pas un sous-préfet aux champs : la révolte des Bonnets rouges est tout juste une grogne antifiscale, sans ambition politique, qui ne remet aucunement en cause notre bel Etat centraliste, absolutiste ou jacobin selon l'époque ! Dormez en paix braves gens.

De cette façon, tour à tour, sur proposition de l'Etat, au travers de son histoire composée, les figures de Louis XVI, Louis Philippe, Napoléon III, ont été salies au-delà du raisonnable.

L'édifice demeure mais il se fend. On a scrupule aujourd'hui de se vanter de notre Grand Roi Soleil, le plus grand du monde, sentiment puéril. Alors on parle tant et plus de Le Notre, par diversion sans doute. Installé durablement sur son socle, Louis XIV, qui ne possédait pas même une des sept vertus, si ce n'est la prodigalité, au profit des puissants ! obstrue l'histoire et sa compréhension, dans notre pays du moins.

Comment cette période de notre histoire a-t-elle pu éblouir et obnubiler à ce point les intelligences ? Conformisme, snobisme, complexe d'infériorité des Rastignac issus de la glèbe ; cette glèbe, pourtant, fonds et grandeur de la France ; le pouvoir, le sexe et l'argent, l'attrait des biens de ce monde, le moule et la forge implacable de l'éducation qui rectifie les cerveaux …

Louis XVI ayant servi de bouc émissaire, certains virent une profonde unité entre l'ancien ordre et le nouveau, plus peut-être dans le nouveau que dans l'ancien. La farouche volonté d'unir à tout prix, au-delà du nécessaire, au risque de la disparition des peuples et des cultures ; la volonté farouche de tout décider à Versailles ou dans la Capitale. Qu'importe puisque une grande culture et une belle langue (française) sortaient toutes parées des forges de l'Etat.

Oui, la révolte des Bonnets Rouges de 1675, était une contestation du népotisme, de la ploutocratie, d'une féodalité abusive et des effets d'un pouvoir absolutiste et excessivement centralisé qui ignorait le peuple assurément, d'un système dépassé, aux abois, qui mit un siècle encore à mourir. C'était donc un mouvement politique qui se proposait de reformer profondément une société qui ne voulait, ou ne pouvait changer ; donc une révolution, même si elle avait peu de chance d'aboutir car les conditions n'étaient pas encore réunies.

Le mouvement qui, le 2 novembre 2013, a rassemblé à Quimper une foule hétéroclite selon certains, un peuple selon d'autres, plus avisés, affublés selon certains, coiffés selon d'autres, importance des mots ! du désormais célèbre bonnet rouge, a débuté presque spontanément à propos d'une taxe stupide dans son application si ce n'est dans son principe.

Mais comme en 1765, il y a plus. Les Bretons veulent un changement politique d'importance. Rien moins que la fin du Jacobinisme, la fin du Centralisme, ces "ismes" infantilisants, que deux grands partis se passent comme un témoin de relais, bloquant dangereusement toute évolution. Ils veulent la relégation de ces théories politiques passéistes qui n'ont plus leur place dans un Etat moderne et en Europe ! . Marc Patay Lejean

Voir aussi sur l'ABP : LE DECLIN DE LA BRETAGNE, articles I à III


Vos commentaires :
Dimanche 28 avril 2024
«La France n'a pas changé d'un poil depuis 1675».
Non, elle n'a pas changé depuis au moins Louis XIV en passant par les Jacobins jusqu' à la «Hollandie» d'aujourd'hui. Ils se reproduisent entre eux en transmettant une tare, un handicap: l'impossibilité d'une évolution humaine, intellectuelle et spirituelle. C'est bloqué: un cas psychiatrique.
Soyez sur vos gardes cet après-midi à Carhaix. Je n'ai pas oublié, du temps du FLB, les RG discrètement présents aux Festoù-noz. Nous dansons. Où est le mal?????
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