Peu de critiques de romans en breton percent la barrière de la langue, si bien ils ne dépassent guère que le cercle des brittophones instruits.
Chaque année, plusieurs dizaines de livres en breton paraissent et parmi eux, une vingtaine de romans, romans jeunesse inclus.
Leurs thèmes et les styles sont aussi variés que dans tout autre littérature, mais, le sujet n'est pas, ici, de parler de la littérature en breton.
Grâce à un cercle de lecture, plusieurs personnes ont pu récemment échanger, en présence de son auteur, autour d'un livre singulier à plusieurs titres.
Ce roman, paru il y a quelques mois, est intitulé: Ar Waremm Vras (La Grande Garenne) et se passe pour l'essentiel dans un hameau de ce nom qui serait situé à Plogonnec, pourtant, aucun hameau de ce nom n'y existe, mais on en trouve dans d'autres communes.
L'auteur, Youenn Kervalan, c'est un pseudonyme, assure avoir faire ½uvre de fiction et ne prétend pas évoquer de faits réels dans le petit coin de pays où il exerce son métier d'artisan.
Il s'agit, en effet, d'une fable, une sorte de pédagogie est donc sous-jacente, mais, qui ménage ses effets de suspense et ne dédaigne pas l'humour, dans la description d'un pélerinage ou d'une fête.
A la suite d'un massacre épouvantable commis à l'été 1944 par les militaires allemands occupants, et dont est victime son mari résistant, Gaid Bozeg, une mère de famille, est si traumatisée qu'elle en devient muette.
Le sujet de livre est d'essayer de donner à voir comment un changement radical a pu intervenir dans les centaines de communes dont la langue principale était le breton, puisque les parents se sont mis à ne plus parler la langue de leur c½ur à leurs bébés, préférant leur donner à entendre un mauvais français. La transformation radicale de l'environnement est décrite en évoquant le remembrement et les conseils pressants des techniciens agricoles et du Crédit agricole dans deux historiettes qui, malheureusement, cassent le fil du récit.
Le rôle éradicateur de l'école, privée comme publique, est montré par les punitions infligés aux petits enfants qui ne parlaient pas assez vite la langue officielle. La petite Gaid Bozeg ne pouvait pas comprendre la logique qui faisait que, parce qu'elle s'est débarrassée de «la vache» par-dessus le mur de l'école, elle ait été retenue dans l'école non chauffée pour écrire cent fois : «le breton est la langue des cochons» et ait manqué d'en mourir pour avoir pris froid.
L'auteur a mis dans cette fiction ce qu'il a pu observer sur ce que les Anglo-Saxons appellent le «language shift» (le glissement de langue), avec toutes les pertes mémorielles et affectives que cela a entraîné.
Contre l'avis de son entourage qui l'a élevé en français, il a récupéré une fraction de l'héritage et nous le redonne dans une langue, à la fois, littéraire, ce qui est le minimum pour un romancier, et nourri à la fontaine du breton qu'il entendait toute la journée au magasin dans sa jeunesse. Il ne fait pourtant appel qu'à peu de locutions du dialecte local, se situant dans le courant médian du style littéraire brittophone.
Moins styliste qu'une Mich Beyer, un Yann-Fulup Dupuy, un Hervé Gouédard, un Riwall Huon et un David ar Gall, il contribue à donner un avenir à sa langue, en l'écrivant et en la transmettant, n'oubliant pas de rappeler ce qui lui est arrivé.
Youenn Kervalan, Ar Waremm Vras, Al Lanv, 2013. 14 ¤. ISBN978-2-916745-14-5
Dans les bonnes librairies (distrib. par Coop Breizh) ou auprès du Kuzul ar Brezhoneg (voir le site)
Christian Rogel
■