En Bretagne, on n'aime pas les transports défectueux et, encore moins, les impôts discriminants

Chronique publié le 23/10/13 16:12 dans Economie par Christian Rogel pour ABP
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Portique pour la perception de l'écotaxe sur la RN 24 à Bignan (Morbihan) - 5 octobre 2013

Nous avons déjà abordé la question des transports en Bretagne (air, fer, mer), car c'est un sismomètre révélateur des relations avec l'Etat français, lequel les considère le plus souvent de son point de vue et traite de manière secondaire celui des habitants de notre pays.

La fiscalité écologique est l'avenir, mais, mal expliquée et mal conçue, elle va aboutir à des résultats non prévus. (voir notre article)

Une fiscalité écologique routière, c'est quoi?

L'idée principale, c'est de taxer au kilomètre parcouru et non à l'essieu. Avantages incontestables : les poids-lourds étrangers verseront leur part (20%) et, moins un camion polluera, moins il sera taxé. Mais, Bercy n'a fait que réduire la taxe à l'essieu et ne l'a pas supprimée.

Les gouvernements de droite et de gauche payent leur incurie : ils ne veulent pas réformer la fiscalité de manière cohérente. Ils ont aussi une vision tronquée du fonctionnement économique, car ils oublient que les transports en amont des usines agro-alimentaires sont multiples et lourds, et la concentration de celles-ci le long des voies express bretonnes transforment les circuits courts recherchés en corridor de taxes. Les conséquences sur la répartition des emplois en Bretagne seront peut-être énormes. Dans un scénario plus ou moins optimiste, elles vont se concentrer dans le Centre Bretagne exonéré d'écotaxe (cf. le maintien de l'abattoir porcin Gad à Josselin, plutôt qu'à Lampaul-Guimiliau).

L' État a financé les routes majeures pour ses raisons propres, c'est-à-dire militaires

Par deux fois, les transports routiers ont été améliorés selon un plan réfléchi. Au XVIIIème siècle, le gouverneur militaire de la Bretagne, le duc d'Aiguillon fit réaliser un réseau de grandes routes, aux frais des Bretons et aux dépens des paysans qui étaient obligés de travailler gratuitement, selon le système de la corvée. Le but principal était de relier les villes de pouvoir et les ports militaires (Nantes, Lorient, Brest) et de faciliter l'arrivée des troupes pour réprimer très vite les petites révoltes locales qui étaient, alors, permanentes.

Le plan routier breton, toujours inachevé, relevait aussi aussi, de considérations militaires, car, comme on le disait souvent à cette époque : «Les chars soviétiques sont à 250 km de Strasbourg». Quand De Gaulle l'annonça en 1969, il devait se souvenir d'avoir présidé, en tant que sous-secrétaire d'État à la Guerre, en 1940, une réunion à Rennes sur un éventuel «réduit breton» qui aurait servi à une contre-attaque face à l'invasion allemande.

Les voies express côtières mènent aux ports de guerre, Brest et Lorient, et l'axe central à quatre voies se justifie par la situation de l'école interarmes de Coëtquidan et celle des installations militaires de Crozon. Les menaces disparues, l'État n'a plus fait aucun effort.

Si le réseau routier secondaire est efficace, c'est qu'il y a toujours eu un consensus pour que les conseils généraux et les communes y consacrent beaucoup d'argent. C'est un effet de la mentalité paysanne qui s'est maintenue plus longtemps qu'ailleurs, car, dans une commune qu'ils géraient, les agriculteurs ne voyaient qu'un poste de dépenses utiles, celui des routes, qui étaient le support de leur travail.

Des transports ferroviaires anémiques

Au milieu du XIXème siècle, c'est le réseau ferré qui va susciter l'engouement. L'État s'étant contenté de prévoir une boucle des préfectures, les conseils généraux consacrèrent des sommes énormes aux milliers de kilomètres de lignes à voie métrique qui leur étaient réclamées dans tous les chefs-lieux de canton. Cela aida plus les habitants à partir qu'à créer une activité économique, dont les monopoles extérieurs veillaient à ce qu'elles ne s'y implantent pas sérieusement. Par le rachat des mines ou des aciéries, que l'on fermait ensuite et par les taxes sur le charbon gallois, par exemple.

Jusqu'à la généralisation des trains Corail, les Bretons ont voyagé dans les wagons déclassés ds autres lignes comme dans n'importe autre pays colonisé, puis ex-colonisé. Le réseau à grande vitesse n'a évidemment pas été déployé en Bretagne et ce n'est que, par suite d'une pression permanente et d'une unanimité rare des élus, qu'il va arriver à Rennes en 2017.

Cela va réduire les capacités de la Région pour des années, alors que d'autres régions ont eu l'infrastructure gratuitement. La suite est dans les mains de la commission Mobilité 21, présidée par le maire de Caen, Philippe Duron, qui préconise l'amélioration du réseau classique, ce qui annule tout espoir de grande vitesse à Brest avant très longtemps.

La Bretagne paye donc, à répétition, sa situation péninsulaire qui est toujours le prétexte pour l'exclure des schémas de transport. La France est un pays continental qui n'aime, ni la mer, ni les gens trop loin physiquement et intellectuellement de Paris.

La bataille du rail des années 60

La bataille du rail la plus connue est celle des cheminots résistants qui sabotaient les chemins de fer ou renseignaient les Alliés, afin de paralyser l'armée d'occupation. Le film au même nom (1945) de René Clément qui en témoigne fut d'ailleurs tourné entre Plouaret et Trégrom.

La deuxième bataille du rail a eu lieu en 1962, quand les agriculteurs et d'autres forces économiques contraignirent, par des blocages de trains et de routes, la SNCF et, donc, derrière elle, le gouvernement, à modifier les tarifs fret, alors que «l'annexe B-ter» défavorisait outrageusement la Bretagne, car celle-ci payait plus cher du fait que ses lignes n'avaient pas encore été électrifiées.

Une loi-programme pour la Bretagne fut votée en 1964 sous la pression du Comité de liaison des intérêts bretons (CELIB), mais le gouvernement change de pied, et décide de concentrer la richesse sur la région parisienne en abandonnant la politique de transfert d'industrie vers les régions périphériques. L'abandon, sans contrepartie, de la taxe sur les bureaux parisiens sera l'oeuvre de la gauche en 1983.

Pour s'assurer de la fidélité de la Bretagne, après la contestation du printemps 1968, le gouvernement décide, dès le 31 mai, un plan d'urgence dont 2 points sur 6 concernent les transports (réseau routier moderne et port de Roscoff (voir notre article)). Il y avait aussi l'automatisation du téléphone, autre marqueur criant du délaissement de la Bretagne.

La bataille du rail des producteurs bretons contre une SNCF irréformable

Une troisième bataille du rail, plus discrète, a lieu en ce moment, et même si les entreprises agricoles et industrielles du Nord-Ouest, ont réussi à affréter des trains porteurs de containers camionnables (ferroutage) par l'opérateur Combiwest (petit frère de Brittany Ferries), leur concurrent public, la SNCF, ne s'est pas privé de mettre des obstacles sur leur route (voir notre article).

croit-on que les 40 à 70 millions prélevés en Bretagne 4 pour l'écotaxe, prévue théoriquement au 1er janvier prochain, iront financer CombiWest? Ils risquent d'aller vers le canard boiteux Fret-SNCF., alors que Novatrans, la filiale SNCF de ferroutage qui a vainement voulu empêcher CombiWest de fonctionner, a été revendue à un transporteur routier, GCA, ce qui faussera la concurrence.

Le pire est à venir, puisque la SNCF a obtenu que la tête de l'opérateur du réseau ferré, RFF, lui soit servie sur un plateau, ce qui lui permettra de contrôler ses concurrents plus agiles et moins coûteux.

L'argent des Bretons servira à financer des infrastructures qui ne leur sont d'aucune utilité.

Les révoltes bretonnes contre la politique des transports et contre les impôts

Il semble qu'il se forme une sorte d'union sacrée entre tous les entrepreneurs bretons de toutes les branches et de toutes les tailles. Bernard Poignant, maire de Quimper et conseiller du président le la République, parle «des réflexes péninsulaires des Bretons». Phrase malheureuse qui induit un mépris sous-jacent. Pour preuve éclatante, la phrase précédente parlait des réflexes insulaires des Corses.

Seul, donc, l'État est capable de réflexion. Navrant que cet ancien historien en soit resté à Michelet.

Il doit garder à l'esprit qu'en 1675, on pillait les bureaux du papier timbré à Rennes, qu'en 1789, les contrebandiers du sel ont créé la chouannerie, qu'en 1961 et 1962, les routes étaient déjà barrées pour des questions de transport, que des arrêts du TGV ont été maintenus, grâce au blocage des gares menacées. Se mobiliser pour les transports et contre les taxes n'est pas vraiment inédit. La question de l'écotaxe en Bretagne touche donc à sa personnalité collective. Ce dont le sous-locataire de l'Élysée ne voulait pas parler, mais, peut-être, quand même.

Note : 22% de l'argent espéré ira dans les caisses de la société privée chargée de la perception.

C'est un décret du gouvernement Sarkozy-Fillon pris la veille de l'investiture de François Hollande, sur laquelle on ne peut pas revenir pour des raisons juridiques. Ce sont les remises accordées à la Bretagne 4, à l'Aquitaine et à Midi-Pyrénées qui ont fait baisser le produit visé. Confirmation d'un impact exagéré sur les régions agricoles.

Christian Rogel


Vos commentaires :
Lundi 29 avril 2024
Article très instructif
Puisque dans l'histoire, les intérêts bretons ne peuvent se développer qu'à l'unique condition de servir les intérêts parisiens (antagonisme que beaucoup découvre en ce moment), ne serait-il pas possible voire plus intéressant de contourner l'écueil ?
Les marins contournent l'île devant eux.
La Britanies ferries ne pourrait-elle pas livrer nos différentes productions à Rotterdam ou à Gênes ou dans tout autre pays capable d'organiser le ferroutage en Europe ?
Cela augmenterait-il le coût de transport de façon prohibitif au vue de toutes ces nouvelles taxes ?
Nous y gagnerions en indépendance et en réactivité ce qui peut rendre une légère augmentation acceptable.

Excusez mon ignorance sur les différences de coût et merci de vos lumières

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