Des doutes et des débats parcourent aujourd'hui les milieux écologistes bretons à propos de l'écotaxe. Les uns parlent haut et me rappellent la citation attribuée à Robespierre : «Périssent les colonies plutôt qu'un principe». D'autres sont plus proches d'Hannah Arendt, pour qui la politique est l'art, non pas d'avoir raison, mais de permettre à des individus différents de vivre ensemble.
Les doutes se révèlent par des maladresses. Sur le site EELV Bretagne (voir le site) , le débat a été clôt brutalement, avec l'affirmation que le fruit de l'écotaxe servira à financer des infrastructures en Bretagne. C'est faux, et tout le monde le sait. L'argent des Bretons sera récolté par l'Agence de Financement des Infrastructures de Transport de France (AFITF). Elle est présidée par Philippe Duron, député-maire de Caen, qui vient de proposer par ailleurs au gouvernement (rapport Duron) le report après 2030 de la ligne à grande vitesse vers Brest et Quimper.
L'écotaxe n'a rien d'une mesure-phare. C'est le reliquat d'une série de préconisations qui s'est ratatinée avec le temps. L'objectif était de réduire de 20% les émissions de CO2 d'ici 2020. Il n'était pas seulement question du transport terrestre. L'idée était aussi celle d'un marquage CO2 des biens de consommation.
Belle idée, n'est-ce pas ? Eh non, finalement... Les calculs montraient que la vertu était là où on ne l'attendait pas. L'élevage intensif, plus productif et moins demandeur d'espace, serait apparu sur les étiquettes bien plus vertueux que l'élevage extensif. La FAO, organisme de l'ONU chargée de l'alimentation et de l'agriculture, dans son rapport «Livestock Long Shadow», l'avait déjà démontré. Pour créer des puits de carbone, il faut économiser des terres agricoles, et donc éviter les méthodes extensives. Ramené au kilo de nourriture, le MacDo est plus vertueux que le restaurant traditionnel. Le supermarché est moins polluant que le marché local, avec toutes ces voitures qui vont et viennent. Le marquage CO2 des biens de consommation, s'il avait été mis en place, aurait été une bombe contre la bien-pensance écologique.
Ce n'est pas non plus la première fois que des normes inspirées par un souci écologique seront effacées ou modifiées. Depuis le début des années 2000, en réaction à des scandales touchant le monde agricole, des réglementations anthropocentrées ont été promulguées sur l'alimentation des animaux, le logement des truies ou la place nécessaire aux poules pondeuses. Il faut parfois des années avant que ne reviennent s'imposer les réalités biologiques. La truie a un comportement hiérarchique qui la pousse à mordre des congénères trop proches. La poule est un animal extrêmement grégaire, dont le niveau de stress augmente si on l'éloigne des autres. L'écologiste Jared Diamond, dans son livre «De l'inégalité parmi les sociétés» explique que l'Europe et l'Asie ont précédé les autres continents dans la révolution agricole du néolithique grâce aux caractéristiques biologiques des espèces locales qu'ils ont domestiquées. Le cheval n'a pas le même comportement que le zèbre africain ; l'un est domesticable et l'autre pas. Il en est de même pour le boeuf par rapport au bison d'Amérique, pour le cochon par rapport à son cousin le pécari.
Les comportements innés des animaux sont à la base de l'élevage. Jared Diamond identifie six conditions de la domestication : le régime alimentaire, le rythme de croissance, l'absence de «mauvais penchants» comme celui de tuer ou de mordre, la capacité à se reproduire en captivité, une faible nervosité, une structure sociale à la fois grégaire, hiérarchique et non territorialisée.
La complexité du vivant fait que ceux qui y travaillent, du paysan au médecin, ne peuvent se contenter d'obéir à des articles de loi ou à des principes abstraits, à moins d'abdiquer toute conscience professionnelle.
En Bretagne, nous connaissons deux approches de l'écologie militante.
France Nature Environnement revendique la «stratégie contentieuse» (voir le site) et «l'action de plaidoyer» (voir le site) . La FNE est surtout représentée chez nous par «Eau et Rivières».
La deuxième approche est celle du Réseau Cohérence (voir le site) . C'est un «réseau d'une centaine d'associations qui crée des synergies entre les différents acteurs (consommateurs, paysans, collectivités, professionnels etc.) en Bretagne pour favoriser les modes de production, d'échange et de consommation plus équitables, respectueux des ressources naturelles».
Les uns considèrent que ceux qui travaillent dans la campagne sont des suspects, qu'il convient de surveiller. Les autres qu'ils sont des acteurs centraux, qu'il faut comprendre et convaincre.
«Eau et Rivières» et «Réseau Cohérence» ont des fondateurs communs et s'entrelacent de diverses façons. Mais cela est une autre histoire.
Je suis toujours frappé par la correspondance entre le rapport à l'autorité ou à l'État que chacun entretient dans sa vie professionnelle, et les solutions préconisées dans la vie militante. Ce n'est pas un hasard si, dans certaines corporations, on trouve plutôt des sensibilités «Eau et Rivières», dans d'autres une préférence pour «Cohérence». Des sociologues comme Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg ont décortiqué ces pesanteurs sociologiques pour expliquer les inégalités françaises, les arrogances et les clivages de notre «société de défiance» (voir le site)
Les pesanteurs sociologiques ont conduit la gauche française à privilégier une opposition public-privé au détriment de la dialectique classique entre capital et travail. Ces pesanteurs expliquent aussi l'importance de l'écologie punitive en France, à la différence de l'Allemagne, de la Hollande, ou d'autres pays européens. L'opposition consommateurs-producteurs se substitue à la dialectique entre profit et durée. Cette dialectique est porteuse d'innovation sociétale. Elle bouscule par là même l'ordre établi et les rapports d'autorité, contrairement aux stratégies d'opposition catégorielle.
Les écologistes portent le message que l'épuisement des terres agricoles est contraire aux intérêts vitaux de la Bretagne. Très bien. Les uns comprennent qu'une taxation sans retour vers le territoire est, elle aussi, contraire aux intérêts vitaux de la Bretagne. Les autres préfèrent défendre un principe.
Ah, Robespierre, quand tu nous tiens....
Jean Pierre LE MAT
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