Jean-Pierre Le Cam : « Kenavo les Du ! »

Reportage publié le 16/07/13 14:47 dans Cultures par Marie-Aude GRIMONT pour ABP
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Jean-Pierre le Cam sur scène avec Sonerien Du au Jardin d'Acclimatation, lors du festival consacré à la Bretagne (avril 2013)
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Lors de notre entretien, Jean-Pierre Le Cam nous présente le livre "Plogoff", de Gilles Simon, qui fait fleurir ses souvenirs.
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Jean-Pierre Le Cam : « On ne quitte pas Sonerien Du, on reste toujours Sonerien Du quelque part. »
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Jean-Pierre Le Cam est applaudi sur scène. Sa \« dernière »\ apparition avec Sonerien Du est prévue pour l’instant le 31 août à Lanfains.
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Jean-Pierre Le Cam : "Avoir passé quarante ans dans le même groupe, ça c’est une performance."
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Jean-Pierre Le Cam : "Si je m'ennuie, je remonterai sans doute un petit groupe."

Le bassiste quimpérois sonne l’heure de la retraite après quarante années de scène. Sonerien Du, l’emblématique groupe de fest-noz, lui a enfin déniché un successeur. Le nouvel arrivant signera le début d'une aventure pour l'orchestre-phénix dont les musiciens se renouvellent depuis 1972. Jean-Pierre le Cam, qui nous reçoit chez lui, s'en réjouit.

Le jour de l'entretien, dans une ruelle des hauts de Quimper, nous attendons l'heure du rendez-vous entre deux averses. En ce mois d'avril, le printemps joue à cache-cache avec l'hiver. Les gros nuages volent si bas que ça promet pour la séance photo. Tout habillé de noir, Jean-Pierre Le Cam apparaît sur le seuil de sa maison blanche qui, sans façon, côtoie des pavillons aux jardins proprets. Sur le trottoir, collés à la grille d'entrée, deux pissenlits à la poésie sauvage ont élu domicile dans l'interstice de l'asphalte. Un décor à la Prévert… A peine installés dans les fauteuils dodus du salon, Jean-Pierre Le Cam nous tend un livre de Gilles Simon, sobrement intitulé « Plogoff ». Il nous montre dans le cahier central la photographie du camion blanc que les Sonerien Du utilisaient à l'époque. « On était partie prenante de la lutte, raconte Jean-Pierre Le Cam ; certains d'entre nous ont fait toutes les fameuses « messes de cinq heures ». Au moins 200 000 personnes ont participé au grand rassemblement, c'était incroyable ». Plogoff tombe à pic, car connaissant la vivacité de ce souvenir pour Jean-Pierre Le Cam, nous lui avons apporté une bande dessinée récente qui raconte la célèbre révolte contre le projet de centrale nucléaire ayant secoué la Bretagne à la fin des années 70. « Cet épisode a été fédérateur au-delà de nos espérances, reprend-il. J'avais acheté une parcelle de la centrale de 2m2. D'ailleurs on a tous acheté un bout de lande pour empêcher EDF de s'implanter. » Sonerien Du revient derechef dans les pensées du musicien : « Je me souviens que plus tard, quand on a joué dans une école de Plogoff et que Raymond Riou, notre guitariste, qui avait trouvé un casque de motard et un couvercle de poubelle en guise de panoplie de CRS, est monté sur scène en interpellant le public : « Ca ne vous rappelle rien ?! » Les gens ont beaucoup ri, moi je trouvais quand même qu'il exagérait un peu ! »

M.A.G : Tu as annoncé que tu quittais les Sonerien Du l'été prochain. Plus personne ne te retiendra ?

J.P.L.C. : Quand mes petits camarades m'ont posé la question, je leur ai répondu que je n'avais pas l'intention de poursuivre jusqu'à 80 balais. A 64 ans j'ai passé l'âge de m'éclater en plein air ! Donc je leur ai annoncé en août 2012, mon intention de tenir la scène ce dernier été, mais pas le suivant. Ils ont dit d'accord, pas de problème. Ma décision ne les a pas affolés, les dates semblaient lointaines. Néanmoins ils se sont aperçus en avril qu'ils en étaient encore à chercher quelqu'un.

M.A : N'y a-t-il donc personne de pressenti ?

J.P : On a fait passer sept ou huit auditions, mais il fallait que le gars ne soit ni trop vieux, maximum 40-45 ans, ni trop jeune, parce qu'à 20 ans, ça frise le détournement de mineur ! 30-40 ans paraît le bon âge. Tu ne peux pas demander à un musicien de 23 ans d'avoir l'aplomb de quelqu'un de 64. Lors des premières auditions, le groupe n'est pas parvenu à tomber d'accord. Et puis ils ont rencontré Christophe Runarvot, il a tout de suite fait l'unanimité. En plus, c'est un beau brun de 43 ans qui va plaire aux filles ! Bassiste, guitariste et chanteur, issu d'une grande famille de musiciens, il a joué avec des groupes de chants de marins, comme La Cambuse et Marée Montante, ou Spoum en musique bretonne. Donc il a du métier et il est très sympa, ce qui ne gâche rien…

M.A : Tu es très populaire, que tu le veuilles ou non, et comme le dit votre batteur Gérard Belbeoch quand il te présente à la fin du fest-noz : « Et enfin le mythe, la légende ! » Peut-on remplacer une légende dans le c½ur du public ?

J.P : Je n'ai pas l'impression d'être quoi que ce soit de ce genre ni d'avoir réalisé un fait d'armes héroïque. En revanche, avoir passé quarante ans dans le même groupe, ça c'est une performance. Quand le groupe prétend que pour prendre ma suite « il faudrait ceci, cela », je leur réponds qu'il ne faut pas exiger que Christophe danse breton par exemple, ce qui est d'ailleurs peut-être le cas. Parmi nous, certains n'y ont jamais touché ! Quand je suis entré dans les Du au deuxième semestre 1972, sans être bretonnant, on était tous capables de danser. Mais des gens d'horizons différents ne peuvent y être tenus. Idem pour la langue : si le prochain musicien de Sonerien Du parle breton, à la bonne heure, mais il ne sera pas pris pour ça. Il vaut mieux quelqu'un qui chante juste ! En premier lieu, il faut que le gars soit agréable, car un groupe c'est un sport collectif. On devient champion du monde avec une équipe, la musique c'est pareil. Quand j'ai commencé, même en dehors des concerts, on ne passait pas une semaine sans se voir. Une bonne amitié fonde un bon groupe, en tous cas ça aide !

M.A : Concernant ton successeur, pourquoi pas de Sonerien Du en jupons ?

J.P : Cela pourrait être rigolo, d'ailleurs c'est très tendance, les filles bassistes ! Si chez nous on n'a eu que des bonhommes, il ne faut pas y voir de misogynie, cela résulte du hasard. En plus, durant les grandes tournées dans l'Est de l'Europe, on dormait dans le camion, on se lavait dans un peu d'eau ! C'est le côté pratique entre mecs, même si ça sent les chaussettes, on s'y habitue ! J'imagine une fille là-dedans, il aurait fallu que la cabine soit bien tenue…sans papiers de bonbons ni bouteilles de bière ! Donc, la facilité d'un groupe d'hommes l'a emporté. Mais la présence d'une fille apporte un plus au niveau vocal; quand j'entends Marie-Aline Lagadic entonner les chants des sardinières , ou Ghislaine Taburel, clavier du groupe « Rêves de gosse » avec qui j'ai joué quelques temps, je trouve cela remarquable.

MA : Dans tes textes on note souvent une critique des phénomènes de société, un petit coup de griffe à la bien-pensance. L'arrivée de ton successeur ne risque-t-elle pas de rompre ce point d'équilibre qui caractérise le succès des Du ?

JP : Je leur ai promis que si les Du avaient besoin de moi pour écrire un texte, je répondrai présent. Le fait que je parte signifie que j'arrête la scène, pas que je quitte les Du. Kenavo, mais pas adieu. Comme aurait dit Raymond Riou, on ne quitte pas Sonerien Du, on reste toujours Sonerien Du quelque part !

M.A : Peut-on dire que votre choix de toujours remplacer chaque musicien vous a installé dans la durée ?

J.P : Oui, un exemple : Hervé Kerneïs qui a quitté le groupe il y a trois ans pour raisons médicales. Il a été remplacé par Claude Ziegler, et la transition s'est opérée naturellement. Après qu'Hervé ait consacré plus de vingt ans aux Sonerien Du, on m'en parle toujours et on me demande de ses nouvelles, mais Claude a pris sa place, rien de plus normal, ça reste dans l'ordre des choses. En revanche, je me demande comment fera Tri Yann quand les trois Jean partiront. Renouveler les musiciens permet de garder un ensemble potentiellement dynamique et inventif.

M.A : Donc on pourra écouter dans 100 ans les Sonerien Du jouer des musiques cybernétiques ?

J.P : (rires) Ah oui, complètement !

M.A : Ton départ marquera quand même un tournant pour les Du ?

J.P : Oui, comme à chaque départ. Cela va changer beaucoup de choses en effet, déjà par rapport à ma place sur scène. Christophe, le nouveau bassiste, chantera aussi comme je l'ai fait. C'est ça le plus dur, trouver quelqu'un qui ne restera pas dans un coin de la scène. Parfois je me mets tellement près de la batterie que je sens la grosse caisse qui fait vibrer mon pantalon ! Au final le concept, lui, ne va pas changer. De toute façon, je ne serai jamais bien loin…

M.A : Connais-tu la date de la dernière scène où tu feras ton au revoir officiel ?

J.P : Problème, l'agenda de Christophe regorge de dates de concerts pour l'été prochain. Il ne sera pas disponible de suite. Aux dernières nouvelles, je tiendrai la scène jusqu'au Petit Village à Lanfains, le 31 août.

M.A : Continueras-tu à composer, à écrire ?

J.P : Je continuerai à me rendre utile…

M.A : Ton départ t'apportera-t-il une nouvelle jeunesse ? As-tu des projets ?

J.P : Au début je rêvais d'une retraite sans musique, une année sabbatique à la pêche à la ligne ! Mais si je m'ennuie, je remonterai sans doute un petit groupe. Quelques musiciens m'ont déjà dit « banco ! », comme Jacques Beauchamp à la bombarde, un camarade de Bleizi Ruz, Loïc Le Borgne, à l'accordéon et d'autres.

M.A : Toujours de la musique de fest-noz ?

J.P : Oh oui, la même chose, un quatuor très léger avec moins de matériel, ça peut être amusant !

M.A : Raconte-nous comment tu es tombé dans le chaudron magique de la musique bretonne.

J.P : Bêtement ! Il fallait une locomotive, un déclencheur. Comme les autres, j'ai suivi Stivell, le seul reconnu de tous. Entre musiciens, on l'appelait « le boss » !

M.A : Tes parents t'emmenaient-ils au fest-noz dans ton enfance ?

J.P : Je ne me souviens plus si le fest-noz existait déjà à Quimper quand j'étais petit. En revanche, je me rendais au bal breton et en particulier à ceux que mon professeur de français-latin-breton organisait. Il habitait Poullaouen où le fest-noz marquait les travaux de la ferme, mais il s'agissait plus d'une fête entre voisins sur laquelle le fest-noz qu'on connaît aujourd'hui a pris racine. Les lycées organisaient donc des bals avec les professeurs de breton, le dimanche après-midi à la salle des fêtes de Quimper. C'est ainsi que je les ai découverts avec le lycée de la Tour d'Auvergne.

M.A : Y avait-il d'autres musiciens dans ta famille ?

J.P : Non j'étais le seul, le vilain petit canard ! Les autres exerçaient tous « des vrais métiers » dans la fonction publique.

M.A : Tu as appris la musique à l'école ?

J.P : Non, vers 12-13 ans, je jouais déjà de la guitare en autodidacte. J'animais souvent les colonies de vacances, en tant que moniteur, avec mon répertoire personnel.

M.A : A l'époque, comment as-tu rencontré les Sonerien Du ?

J.P : Quand j'étais pion, après une tentative d'études d'anglais à l'université, on se retrouvait souvent dans un bistrot de Quimper, où Glenmor, Stivell et bien d'autres passaient en soirée. C'est là que j'ai connu tous mes copains musiciens. Quand Raymond Riou est parti à l'armée, le groupe cherchait donc un guitariste-chanteur pour le remplacer, et c'est comme ça que je les ai rejoints.

M.A : Pourquoi es-tu passé à la basse ?

J.P : Tout simplement parce que j'étais un gentil garçon, ils voulaient me garder mais il y avait déjà deux guitaristes. En revanche, il fallait un contrebassiste. Je connaissais quelques positions sur le manche mais je n'avais pas de contrebasse, quant au transport, impossible de caser une « grand-mère » dans mon coupé Fiat ! Sans compter la question de la sonorisation. Je leur ai donc proposé la basse électrique. Et on m'a répondu textuellement : « Jamais d'instrument électrique dans Sonerien Du ! » Finalement ils ont accepté que j'essaye. Ils m'avaient loué une basse imitation Gibson et un ampli, et ça a fonctionné. A la fin de la soirée ils m'ont dit : « C'est bien, ça ne gêne pas » !

MA : On sent de multiples influences, entre les intros typées Pink Floyd à la guitare et les solos de flûte…

JP : Par chance la musique bretonne est très permissive. Sur ce point, la Bretagne est à la pointe du progrès. Le métissage tient une place importante mais la Bretagne n'a pas toujours été comme ça. Quand Sonerien Du a démarré, la tradition n'admettait que le couple biniou-bombarde ou les chanteurs de kan ha diskan. Ajouter une guitare et un accordéon ? Sacrilège ! Stivell a vraiment dépoussiéré les répertoires. Son « Pop Plinn » avec les guitares électriques, un vrai coup de tonnerre ! Et sur Europe 1 en plus, tu imagines, alors que la radio diffusait surtout Sheila ! Stivell m'a donné la première claque musicale de ma vie, avec les copains on a posé les cartes de tarot et poussé le transistor à fond ! J'adorais le rock des années 50, comme Eddie Cochran et son Summertime Blues, les Beatles ainsi que Donovan et son picking de guitare. J'aimais moins Elvis Presley et son côté doucereux.

M.A : On voit bien sur le DVD de Puzzle 2 que vous avez cueilli à chaque album une avancée technologique. D'après toi, à partir de quel album avez-vous trouvé votre son ?

J.P : Dans les cinq ou six saisons de Sonerien Du, un son spécifique correspondait aux musiciens qui composaient le groupe. On retrouve la musique Sonerien Du sur tous les albums, qui forment une cohésion. Evidemment, il y a les années d'écart entre les premiers et les derniers enregistrements, ma voix a changé !

M.A : Comment expliques-tu la fusion, l'alchimie qui se produit au fest-noz entre les Du et les danseurs?

J.P : La mayonnaise a pris dès le départ. A la longue on fidélise les gens, ils viennent parce qu'ils nous connaissent et nous apprécient. Pourquoi le succès dure depuis si longtemps ? Mystère ! Trois générations de musiciens ont porté le flambeau ! Ce qui correspond d'ailleurs au côté intergénérationnel du fest-noz. Quarante ans après ça continue, on n'a pas attendu l'Unesco ! Rien de plus naturel que la grand-mère initie la fille et la petite-fille, si elles aiment ça. Cette idée de transmission a toujours existé. J'ai bien connu Eugénie Goadec, et comme les frères Morvan, on se rend compte qu'ils aiment ce qu'on fait avec « leur musique », car c'est quand même eux qui nous ont fait découvrir la musique bretonne. Ils auraient pu garder tout ça jalousement, mais en réalité ils adorent ces métamorphoses.

MA : Du haut de la scène, comment ressens-tu les files de danseurs qui composent des géométries sensibles, cette musique des corps qui défile ?

JP : Moi, j'aime beaucoup, et cela renforce notre envie de jouer. A l'inverse de l'individualisme, la danse communautaire donne le frisson quand tu vois des files de cercles circassiens de mille personnes qui foncent sur toi ! Toutes les têtes qui bougent en même temps, les danseurs bien serrés, ça a de la gueule ! Un véritable spectacle vu d'en haut. Et puis quand tu composes, il faut tout de même connaître les bases de la danse bretonne.

M.A : Auriez-vous pu former un groupe de rock sans références bretonnes ?

J.P : Non, car quand je suis entré dans Sonerien Du, le groupe existait déjà. Ensuite, les fondateurs nous ont quitté peu à peu. Le premier est parti quand le groupe a décidé de se professionnaliser : il tenait un commerce et ne voulait pas lâcher son magasin. On s'est toujours séparés bons copains, mais plus on remplace les membres initiaux, plus on s'éloigne de l'idée originale même si la motivation demeure identique. A une époque, Sonerien Du a d'ailleurs compté un musicien très tourné vers l'improvisation et sans référence à la musique bretonne. Maintenant on forme un ensemble plus traditionnel grâce au couple de sonneurs que forment Julien et Chim, tandem qui existait déjà lors de la création du groupe. Donc tout cela fluctue. La venue de la batterie a marqué aussi une grosse évolution : grâce à sa veine très rock, Gérard Belbeoch assoit le tempo. Ensuite Dominique est arrivé avec sa guitare électrique, et tout a encore changé…

MA : Dans 'Bonsoir Maître de maison', tu chantes « vous êtes venus ici ce soir pour danser et pour rire ». Crois-tu que les gens viennent uniquement se divertir au fest-noz ?

JP : En 70 les gens poursuivaient une certaine forme de militantisme. A partir de la deuxième vague des années 90, la motivation identitaire ressortait un peu moins. Du coup, le fest-noz entré dans les habitudes, a estompé ce côté reconnaissance du mouvement breton. Depuis 1992-93, la revendication militante à travers le fest-noz ne tient plus trop. De nos jours on sent réellement que le public vient pour s'amuser, la fréquentation a pris une tournure plus familiale.

M.A : Les gens recherchent quand même un peu d'identité et de valeurs, non ?

J.P : Oui sûrement, mais ils n'ont plus à le montrer ostensiblement. Dans ce temps là tout le monde exhibait l'hermine, le triskell autour du cou, les autocollants, les écussons un peu partout, alors que maintenant on en voit moins. Ce sentiment d'appartenance ne s'est pas volatilisé, mais on ne le brandit plus autant, même si on le porte toujours en soi, je suppose.

M.A : Les textes de Sonerien Du restent toujours à la frontière du poing levé, en retrait comparés à « Kerfank 1870 » de Tri Yann ou « La Blanche Hermine » de Gilles Servat. Par souci de rassembler le plus grand nombre ?

J.P : Il y a des spécialistes du poing levé comme Servat et d'autres. Evidemment quand une marée noire vient salir les côtes, on a envie d'écrire une chanson. Mais nous ne sommes pas des chansonniers comme les Goristes qui peuvent sortir en trois semaines deux titres sur un événement qui les a marqués. Donc on s'inspire plutôt d'idées générales. Sur le dernier album par exemple, au sujet du titre « Les Chicaneurs », ça m'énervait d'entendre ces gens qui achètent des maisons en Bretagne et qui se plaignent d'entendre une vache qui meugle ou la cloche du village qui sonne. S'ils ne veulent pas marcher dans les bouses, qu'ils restent en ville ! Bref, ce genre de chansons que tu peux déplacer à n'importe quelle période, sera toujours vraie. On a aussi composé « Les Empêcheurs », indignés par l'interdiction de la pêche à pied. Réglementer sur une grande échelle ne correspond pas forcément au pays breton. Des sujets comme l'aéroport de Nantes ou la Bretagne à cinq départements, voilà des thèmes intéressants. Avec le château des Ducs de Bretagne à Nantes, on peut difficilement soutenir que cette ville ne se situe pas en Bretagne. Simplement, la réunion des cinq départements bretons formerait une région forte qui fait peur. De plus, on risque la confrontation entre Rennes et Nantes dont le dynamisme est sans fin ; il ne pourra pas y avoir de capitale bicéphale. Rennes possédant le Parlement de Bretagne, j'aurais du mal à choisir entre les deux villes. Je pense qu'elles ont des vocations différentes. Pour moi la Bretagne a toujours compris cinq départements, alors je ne vois pas pourquoi cela changerait. Mais on ne peut pas non plus contraindre les populations de la Loire-Atlantique historique à rejoindre la Bretagne si elles ne le veulent pas.

M.A : Sonerien Du a décidé de s'autoproduire : raisons pratiques ou volonté d'indépendance ?

J.P : Les deux, mon général ! Une maison de disques te rend tributaire. Il peut arriver par exemple que tu ne puisses pas choisir la pochette que tu voudrais. A l'époque de l'album « Amzer Glaz » en 1985, on cherchait un logo, et à Locronan on a trouvé par hasard un illustrateur qui créait des affiches et il nous a proposé un projet de pochette, à l'origine destinée à un autre groupe. Avec Raymond, on a acheté tout de suite le biniou-c½ur ! En bref, ça nous dérangeait qu'une maison de disques impose ses volontés sans nous demander notre avis. Depuis, l'arrivée du numérique a changé la donne.

MA : Si il devait y avoir une devise des Du …

JP : (il réfléchit en se grattant la barbe) « Toujours et partout ». On a sillonné l'Europe, on est allés en Ecosse et en Irlande mais pas en Angleterre. Et c'était par choix ! Cette fois on s'y rend au mois de mai pour un festival folk-rock, avec Fairport Convention. Première date en Angleterre en quarante ans ! On verra bien…

M.A : Que penses-tu des valeurs bretonnes qui s'exportent aussi bien par la musique que par des produits comme Breizh Cola commercialisé à Paris, rien de plus que du marketing ?

J.P : Non, pas seulement… J'avais écrit une chanson, « Made in Breizh », bien avant que la marque « Produit en Bretagne » n'apparaisse. Précisons que ces marchandises sont réellement fabriquées ici par des patrons bretons. Jakez Bernard qui fut aussi notre premier sonorisateur, a lancé cette idée. Avec Dan ar Braz, Pierre-Jakes Hélias et sans doute Bernard de Parades, il a inventé le concept de « L'Héritage des Celtes » et réussi à fédérer les entrepreneurs bretons autour de « Produit en Bretagne ». Comme les gens ont envie d'authentique et que les marques sont bonnes, cela marche. J'achète souvent les « Produits en Bretagne », il y a plus de beurre dedans ! Un peu de marketing, certes, notre époque veut ça !

M.A : Dans quel ordre placerais-tu tes 4 points cardinaux : toi d'abord, la musique d'abord, la Bretagne d'abord ou les copains d'abord ?

J.P : J'ai toujours été un fan de vie en collectivité. Je peux faire mon nid partout ! Quand mes parents m'ont envoyé en pension à cause de mes résultats scolaires, j'ai adoré ça ! En plus c'était mixte ! Donc sans aucune hésitation, les copains d'abord !!

Propos recueillis par Marie-Aude GRIMONT

Photos : Claude GODFRYD

1 : « Plogoff », Delphine Le Lay et Alexis Horellou, Editions Delcourt 2013

2 : Journal de Vitré du 13 octobre 2012

3 : Disque « Le Chant des sardinières » paru en 2006, avec Klervi Rivière, chez Keltia Musique


Vos commentaires :
Samedi 18 mai 2024
Belle version officiel du départ de JP, mais la version officieuse est bien moins glorieuse.
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