Emsav : Dictionnaire critique, historique et biographique

Présentation de livre publié le 13/04/13 13:21 dans Histoire de Bretagne par Christian Rogel pour ABP
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Georges Cadiou, qui est journaliste de profession, s'essaye à l'Histoire depuis quelques années, de manière honorable, bien qu'à un niveau moins professionnel que Michel Nicolas. Voir (voir notre article).

Mais, cela ne dévalue l'intérêt d'un outil de référence qui manquait et fait mieux que compléter les ouvrages du professeur Jean-Loup Avril (Mille Bretons, Le Portes du Large, 2002) qui ne se limitaient pas aux personnalités (pas toutes bretonnes) qui ont eu un lien avec cette vaste mosaïque à dimension variable qui est appelée «Mouvement breton» ou «Emsav».

Curieusement, la préface ne permet pas de saisir quelle délimitation, l'auteur donne à son sujet, puisqu'il donne dans la tautologie, «l'Emsav», c'est un «mouvement politique breton».

C'est en lisant l'ensemble des notices que l'on comprend que l'auteur veut montrer que, lors du «Deuxième Emsav» (1918-1944) et lors de la période actuelle du mouvement breton, qui serait le «Troisième Emsav», les idées de gauche ont toujours été présentes.

Ce n'est pas inattendu de la part d'un adjoint au maire Union démocratique bretonne, à Quimper, et, cela a le mérite d'élargir les perspectives.

Celles-ci sont élargies à souhait, car, Georges Cadiou a rédigé de grands articles, pas toujours très fouillés, sur les concepts politiques qui tiennent au sujet, comme le nationalisme, le régionalisme, l'indépendance, le socialisme, le communisme... et des éclairages historiques sur l'État breton médiéval, la Révolte des Bonnets Rouges (1675), l'Affaire Pontcallec (1718-1719), la République, la Commune de Paris, etc.

Si le «nordisme» est convoqué, à juste titre, pour montrer la proximité de certains membres du Parti national Breton (PNB) avec l'idéologie nazie qui combat une, soi-disant, sécheresse et indolence des pays latins, on ne peut s'empêcher de trouver bizarre cet écho de l' antagonisme que certains croient voir, aujourd'hui, entre l'Allemagne et les «pays du Club Med» (pays méditerranéens, France incluse).

On est étonné de ne trouver aucune mention du «panceltisme», car le néo-druidisme n'a jamais concerné que les trois pays de langue britonnique, or, l'Écosse et l'Irlande, qui ont eu des liens permanents avec la politique bretonne depuis des siècles, ne sont traités que dans des articles courts et peu approfondis.

Le lien entre le panceltisme originel, celui de Taldir, et le régionalisme, alors farouchement antinationaliste et anti-PNB, n'est pas perçu.

Le mérite de Georges Cadiou est de montrer, au fil des biographies, les passerelles qui ont pu s'établir entre contemporains qu'on pouvaient croire indifférents ou opposés les uns aux autres.

Un parcours peu banal est celui de Lucien Divard qui, le 13 juillet 1967, tente le premier attentat connu du Front de libération de la Bretagne (FLB), à La Pâquelais, en Vigneux-de-Bretagne, à peu de distance de l'endroit où doit être construit le nouvel aéroport de Nantes.

Pouvait-on imaginer qu'on le verra, moins de 15 ans plus tard, adjoint radical de gauche au maire socialiste de Saint-Herblain, un certain Jean-Marc Ayrault? Son frère, Lionel, lui aussi ancien membre du FLB, a été, adjoint du maire socialiste de Nantes, Alain Chenard, et a présidé le Mouvement des radicaux de gauche départemental !

Cela confirme que Loire-Atlantique est un lieu majeur du mouvement breton (école d'agriculture de Grand-Jouan, à Nozay, revues littéraires, cercle celtique de Nantes, imprimerie du PNB, Résistance d'un groupe nazairien sous des couleurs bretonnes, bagadoù et fêtes celtiques, Skoazhell Vreizh, votes bretons parfois supérieurs, etc.).

Marcel Cachin, alors directeur de «l'Humanité», écrivait, en 1932, «le mouvement autonomiste breton doit être défendu... le peuple breton recèle une particularité ethique indiscutable, sa langue, son passé millénaire». Il croisera les chefs du PNB, lors de l'enterrement de leur ami commun, Yann Sohier.

Georges Cadiou rappelle une déclaration immortelle de Maurice Thorez, député communiste, qui déclare à la Chambre des Députés en 1931 : «nous réclamons... l'indépendance absolue et inconditionnée du peuple d'Alsace et de Lorraine».

Depuis, les communistes se sont affadis et sont devenus des chantres de l'État-Nation, comme les autres politiciens français.

Gabriel Jaffrès (1905-1958), proche des communistes, disait, en 1937, n'avoir pas peur de l'autonomie de la Bretagne), car, dans ce cas, les communistes auraient «une solution... uniquement inspirée des intérêts du peuple».

L'auteur mentionne que le Parti communiste breton, un groupuscule des années 70, a été fondé par quelques personnalités dissemblables : «Yann-Morvan Gefflot, Kristian Hamon, Youenn Drézen fils, Mériadec de Gouyon-Matignon, Gwenc'hlan Le Scouëzec, Jean-Pierre Vigier et Padrig Montauzier».

Si la moindre tendance de gauche du mouvement breton est décrite, l'auteur a tenté, autant qu'il lui était possible, de traiter ceux qui n'étaient pas ou ne sont pas à gauche, avec une certaine forme d'½cuménisme, qui s'arrête à la collaboration avérée pendant la guerre ou à l'expression des idées racistes.

Il lui suffit, souvent, de citations qui parlent souvent par elles-mêmes. La collaboration de Roparz Hemon est mentionnée, sans accabler l'homme, bien qu'il soit omis de dire qu'il a été acquitté pour l'incrimination principale : «trahison et intelligence avec l'ennemi» et est donc sorti libre du tribunal.

Ce dictionnaire rassemble des informations jusqu'ici dispersées et, s'il y a des erreurs factuelles, elles semblent, a priori, assez peu nombreuses.

Il manque, pour un grand nombre d'articles les informations qu'on aurait aimé avoir (elles ne sont pas facile à trouver) : le statut social et/ou la profession des personnes et, surtout, pourquoi sont-elles rattachables au mouvement breton?

D'après nos informations, un autre dictionnaire du mouvement breton est en préparation et il n'y a pas de doute que, puisque son auteur a eu un parcours politique très différent, il sera très intéressant de comparer le champ politique choisi et les points de vue.

On en saura, sans doute, plus sur les hauts et les bas de l'Union démocratique bretonne...

Georges Cadiou, Emsav, dictionnaire critique, historique et biographique : le mouvement breton de A à Z, Coop Breizh, 2013, 24,90 euros.

Christian Rogel


Vos commentaires :
Lundi 29 avril 2024
«La Croatie nous concerne, car elle montre ce qui serait arrivé, si le projet de Laîné de créer une force militaire avait pu prendre corps : il y aurait une une dérive sanglante similaire à celle de l'Oustacha.»

Ce à quoi nous avons assisté cher Kristian, en termes de violences politiques, c'est à l'orgie d'assassinats des membres du PCF. J'ai relevé sur base d'archives 1200 assassinats en Bretagne hors nécessité militaire, c'est à dire «assassinats politique». Celui de l'Abbé Perrot est connu, et aujourd'hui encore nous trouverions des intellectuels de gauche pour «expliquer» un tel assassinat, mais prenons-en un autre plus édifiant : celui de l'Abbé Lec'hvien à Kemper-Guezenec. Ce bon abbé était parfaitement apolitique, ne prenant part à aucune organisation ni ne tenant tribune sur des thèmes d'ordre politique. Mais il était ardemment passionné par la langue bretonne, selon le mot d'ordre breton du XIXème siècle : «Feiz ha Breiz». Il fut assassiné à l'été 1944, d'une balle dans la tête, par un commando communiste. La population locale, identifiant vite les auteurs, les prend à partie dans le bourg du village quelques jours plus tard : «Pourquoi avez-vous assassiné notre curé ?», réponse déconcertante d'un des assassins : «Parce que sinon les Américains l'aurait relâché». En somme, étant innocent, le PCF n'aurait pu abattre ce prêtre.

Les cas du genre sont légion. Par comparaison, Lainé dispose d'un groupe en uniforme et ne constitue donc par des groupes de franc-tireurs. Je ne reviens pas ici sur l'opportunité d'un tel engagement, mais sur sa nature. Ce groupe agit aux côtés des forces armées allemandes contre des maquisards : je rappelle ici les textes internationaux quant aux lois de la guerre. Tout homme portant arme sans uniforme peut être abattu sur place. Car une des règles de la guerre est précisément de distinguer civils et militaires afin de limiter l'impact des affrontements sur les civils. La guérilla inverse le raisonnement : maximiser l'impact sur les civils pour contraindre ceux-ci à soutenir la guérilla.

Quand le Bezen a agi en opération, il a respecté les lois de la guerre, réserve étant mis sur les éventuels cas de torture gratuite, bien que là encore - comme durant la guerre d'Algérie - l'hypothèse d'une neutralisation plus rapide d'un ennemi opérant hors lois de la guerre fut un des motifs de procédés expéditifs comme ceux-là.

Mais là encore nous parlons de 60 hommes qui eurent autant de pertes que leurs opposants, lors d'affrontements directs et frontaux. Pas d'assassinats ciblés, sans uniformes, contre des civils à raison d'engagement politique. Ainsi Lainé, quelque soit les motifs de son action, a t'il encore agi dans un cadre militaire conventionnel. Ce qui ne fut pas le cas des communistes.

De là à dire, par un raccourci malvenu, que Lainé était un Oustacha en puissance, c'est sortir du cadre de l'histoire car c'est un plan sur la comète. Les Oustachas s'en prenaient à des minorités présentes sur leur sol, question qui en Bretagne ne se posait pas puisqu'il n'y en avait pas. Même pour le cas des juifs, leur nombre à cette époque en Bretagne est absolument dérisoire : il dut y avoir 300 juifs déportés en tout et pour tout pour toute la région, ce qui est certes toujours trop, mais sans commune mesure avec le reste de la France.

Une analogie est donc hors de propos et aucun historien, même hostile, n'a jamais tenté de sortir du cadres des faits établis pour établir des parallèles improbables.

«C'est bien parce que le PNB n'avait pas un minimum d'ancrage que les Nazis l'ont passé par pertes et profits et cantonné à un rôle de roquet mordant les mollets de Pétain.»

Oui, mais cela n'est pas la faute du PNB, ni du PAB qui depuis 20 ans - avant 1939 - agissaient sur le terrain. Ni aucune autre organisation : l'immense masse des Bretons étaient paysanne, très sommairement alphabétisée, politisée par simple réflexe, certains bassins étant plus remuants que d'autres, essentiellement ceux se déchristianisant et basculant dans l'orbite communiste. Les lectures étaient rares. Le profil des membres du PNB est révélateur : c'est une élite. Ingénieurs, professeurs, architectes, chef d'entreprise, autant de professions qui à cette époque dénotent une forte position sociale qui n'est pas celle du commun des Bretons. Élite urbaine, de classe moyenne ou moyenne supérieure. Il y a de fait une forte barrière sociale entre de tels milieux.

«Prendre le PNB pour un symptôme politique, oui, en faire un début de marche vers la liberté avortée à cause des méchants Français, non. »

De fait si, car le PNB est l'organisation s'étant donné le plus de moyens et ayant approché le plus des objectifs d'émancipation, effort brisé par des contingences extérieures de même nature que celles qui avaient rendu possible une évolution. Ce pari a raté, mais il avait pris corps et c'est l'effort le plus concret allant en ce sens depuis très longtemps.

«Pas de reproches judiciaires à Debauvais et Mordrelle : c'était impossible, car, l'un était mort et l'autre enfui.»

Mordrel a été condamné par contumace, mais pas pour crime de sang. Pour «haute trahison et intelligence avec l'ennemi», ce qui pour un séparatiste breton recherchant une alliance avec l'Allemagne est un non sens naturellement. Mordrel ne trahissant pas un pays contre lequel se bat...

Plus généralement, les assauts contre Mordrel, Debeauvais ou d'autres me semblent toujours aisées surtout car le plus souvent, elles consistent en des règlements de comptes partisans de gens de gauche, parfois ouvertement communiste - et Dieu sait qu'en Bretagne, le PCF a du sang sur les mains.

Il y a beaucoup de fantasmes, une démonisation qui empêche la compréhension des engagements de cette époque.

J'apprécie notre échange quoiqu'il en soit,

Bien à vous, HLD.

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