Livre : Histoire du paysage français, de Jean-Robert Pitte

Communiqué de presse publié le 23/02/13 12:21 dans Cultures par marc Patay Lejean pour marc Patay Lejean
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D'après la postface, ce livre écrit il y a trente ans, édité pour la cinquième fois, «est devenu un véritable classique, grâce à une érudition impeccable et un sens de la synthèse hors du commun». Ce compliment bien troussé est mérité.

Jean-Robert Pitte, professeur de géographie à l'université de Paris-Sorbonne, nous brosse ici une fresque magistrale du façonnage à main d'homme de nos paysages, avec le concours de centaines de générations d'occupants, de la dernière glaciation du Wurm (-70 000 ans) jusqu'à notre époque. Mais ce qui retient encore plus notre attention, c'est que l'auteur nous parle de l'Ouest et de la Bretagne en de nombreuses occasions.

La préhistoire

La Bretagne était fréquentée par les hommes du Paléolithique (700000-10000 avt JC). Malheureusement le sol acide dissout les os et tous les matériaux fragiles. Les hommes de Neandertal (80000-40000 avant JC), durant la dernière glaciation, ne s'implantent guère au delà de la Bretagne; des fouilles réalisées à Bréhat révèlent l'existence de cabanes en branchages et peaux. p 32

Au Néolithique (5000-2000 avant JC), agriculture et élevage mettent 3 000 ans à se répandre en France, Pierre Roland Giot estime cette progression à 1 km/an en Bretagne. p 34

L'une des plus vieilles sépultures mégalithiques, antérieure de 2000 ans aux premières pyramides d'Egypte, se trouve à Saint-Just en Ile et Vilaine, et date de 4950 ans avant JC !, Le cairn de Barnenez en Plouézoc'h (Finistère) date quand à lui de 4700 ans avant JC. p 37-40

A l'âge du Bronze (2400-600 avant JC) puis du Fer, les chemins (de la Gaule) transportent l'obsidienne des îles Lipari (mer Tyrrhénienne), l'ambre de la Baltique, les haches de bronze armoricaines que l'on retrouve de l'Espagne du sud à la Baltique, l'or irlandais, l'étain espagnol et breton et plus tard, des vases grecs. p 45

Dans les tourbières du Finistère, l'âge du Fer correspond à une remontée de la fréquence des pollens de blé, ce qui prouve des défrichages importants. p 48

Gaulois et Gallo-romains

A la faveur de l'été saharien de 1976, des habitations gauloises ont été trouvées en Bretagne par Pierre Roland Giot. p 53

L'empereur Domitien (règne de 81 à 96) ordonne l'arrachage des vignes en Gaule en 92 après JC. Mais en 276, Probus (règne de 276 à 282) lève l'interdit. De ce temps daterait l'expansion de la vigne en Bretagne. p 97

D'après les datations au radiocarbone, l'occupation des villas gallo-romaines cesse en Bretagne vers 420. Dans le même temps, les Bretons insulaires arrivent en Armorique. p 98

L'ancienneté du bocage breton ?

Certains auteurs ont daté le bocage du Néolithique, car des talus ont été retrouvés sous des dunes mais marc Bloch pensait qu'ils n'étaient peut être même pas d'époque médiévale. Robert Pitte partage cet avis. p 41

Néanmoins, des talus de l'âge de fer ont été retrouvés fossilisés sous les dunes de Kerbrat et de Theven à Plougoulm, Finistère. p 49. De même se trouvent des traces d'habitations du Néolithique et des squelettes protohistoriques dans les dunes de Toul An Ouch.

Pour Jean Meyer : «l'une des interrogations majeures de l'histoire du bocage breton, à savoir, si les Celtes insulaires ou non, ont contribué à renforcer le bocage de la Bretagne, reste sans réponse». p 132

On a souvent considéré que les talus seraient une protection contre le vent, mais les zones littorales en sont souvent dépourvus. p 135-136

Pour Pierre Flatrès, au 9e siècle, les champs ouverts limités par des bornes dominent à l'est de la Bretagne, les talus se développent à l'ouest, puis tout cela devient plus homogène vers le 12e siècle. André Meynier propose une chronologie de constitution du paysage, orientations mégalithiques tout d'abord, centuriation(arpentage romain) ensuite, à l'époque gallo-romaine, autour de Corseul, Redon, Rennes puis ellipses circulaires entourant un hameau, avec des champs ouverts, ou méjous (maezioù), le tout ceint de talus (note 1) … ces ellipses s'échelonnent de l'époque gauloise au 13e siècle. p 133-135

Mais, d'après Robert Pitte, les traces de centuriation sont rares dans le parcellaire, en Bretagne du moins. p 85

Les méjous (maezioù) de Bretagne, correspondent à l'Ager antique (mot latin signifiant champs cultivés), à l'Infield de Grande-Bretagne et à l'Esch allemand. p 109

En Bretagne, l'enclosure maintient sa progression, des landes sont partagées au 18e siècle, le travail collectif cesse sur les méjous (maeziou). p 259

Les enclosures se poursuivent tardivement et notamment dans les landes de Lanvaux jusqu'en 1920. p 344.

Au 14e siècle, la moitié des terres armoricaines sont en landes. p 135. En 1840, les landes couvrent 1 million d'hectares en Bretagne. D'après Louis Ogès, dans le canton de Châteaulin, ce sont 12000 ha que l'on recense au regard des 10000 ha de terres arables. Contre le dicton breton, «landes tu es, landes tu seras», des grands propriétaires les mettent en culture. J-L Trochu à Belle-Ile, Kerouallan qui défriche 200 ha à Arzano ou le comte de Troguindy à Loguivy-Plougras près des monts-d'Arrée. À Saint Ilan, près de Saint-Brieuc; des défrichements sont réalisés grâce à des colonies agricoles, composées d'enfants de l'assistance publique et de jeunes détenus. Les landes reculent à 500 000 ha en 1880, puis 400 000 ha à la veille de la première guerre mondiale. p 281-282

A noter concernant les forêts; Louis XV et Louis XVI autorisent les défrichements des forêts, contrairement à Colbert, ce qui signe la mort de certaines d'entre elles, notamment dans l'Ouest. p 240

L'habitat

Des mottes féodales bretonnes (Xe siècle, XIIe siècle) sont représentées sur la tapisserie de Bayeux, celles de Rennes, Dinan, Dol; p 147

En France, la place du village atteint rarement la taille du green anglais, sauf en Bretagne. p 158

A Pen-er-Malo, en Guidel, Morbihan, un village du 12e siècle fut exhumé. Les maisons ou loges sont mixtes et hébergent animaux et humains sans séparation. Dans la région de Vannes cela se voit encore au 17e siècle. Ce type de loges ou «longhouse» des pays celtes (voir note 2), se retrouve aussi dans les Alpes du nord, en Normandie, dans le Massif centrale. p 159. Voir aussi Jean-René Trochet, cf sources, p 160.

Plus tard, avec Jacques C½ur, Louis XI … l'Italie inspire l'art de la Renaissance, mais moins dans le sud que dans le nord et l'ouest de la France, où vivent les puissants et les grands du royaume, les Rohan en Bretagne. p 201. La façade du château de Josselin est l'un des premiers exemples de la Renaissance en France

Une quarantaine de moulins à marée se répartissent sur les côtes bretonnes. p 270

Les temps modernes

L'auteur ne se limite pas aux anciens temps; il brosse à grands traits les changements techniques postérieurs à la révolution, qui transforment les paysages. Avec l'arrivée de l'acier puis du béton, l'architecture industrielle se libère des échelles et conventions ordinaires.

Quand Vidal de la Blache évoque les paysages de l'industrie et les corons, nouvelle forme d'habitat social, Jean-Robert Pitte pense à une réussite indéniable, qui rachète les sinistres immeubles-casernes d'Alès ou de Carmaux, le familistère de Jean-Baptiste Godin, à Guise. Ce familistère aurait servi de modèle à notre Breton et Nantais Jules Vernes, dans son roman, «les cinq cent millions de la Begum». Dans le livre, ce sera la cité heureuse de Franceville, inspirée du phalanstère de Fourier et du socialisme utopique. p 280.

Plus près de nous encore, l'auteur fustige la laideur de ces barres et immeubles des trente glorieuses qui ceignent nos villes, à Brest, Lorient, Nantes, etc, qui, selon lui, résulte des théories d'architectes d'avant-garde et d'avant-guerre, tels que Walter Gropius, fondateur du Bauhaus de Berlin, et de Le Corbusier, qui fit connaître ses idées en 1933 dans la «la charte d'Athènes». Cadet des soucis de ces messieurs, il ne fut jamais question de demander leurs avis aux heureux locataires de ces HLM et autres «cités radieuses» tout confort, ghettos et foyers de délinquance pourtant, mais la réponse se devine : elles sont promises les unes et les autres, après quelques décennies de service seulement, à la démolition pour inadaptation qualitative et sociale ! p 307 et suivantes.

Par ailleurs, de 1971 à 1974, c'est en Bretagne que la construction de bâtiments agricoles a été la plus vigoureuse, 20% des nouvelles constructions de France ! p 348.

Sources

Vidal de la Blache, tableau de la géographie de la France, 1903

Marc Bloch, les caractères originaux de l'histoire rurale française

Pierre Flatres, Paysages ruraux européen

Pierre Roland Giot, préhistoire/protohistoire de la Bretagne

Jean Meyer, l'évolution des idées sur le bocage en Bretagne

André Meynier, les paysages agraires

Louis Ogès, l'agriculture dans le Finistère au milieu du XIXe siècle

Jean-Robert Pitte, Histoire du paysage français, collection Texto, Taillandier

Jean-René Trochet, Les maisons paysannes en France et leur environnement (XVe-XXe siècles)

Notes

1. Comme à la ferme de Leslurun au Tréhou, 29450

2. Longhouse du Dartmoor, variantes dans le Devon, Cornouailles, Cambrie, maison longues d'Écosse ou maison noire, longère dans le nord-ouest et le centre de la France ou maison longue de Bretagne.


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