Un chercheur de Harvard remet en cause l'État-Nation

Chronique publié le 17/02/13 22:14 dans Editorial par Jean-Pierre Le Mat pour Jean-Pierre Le Mat
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Trilemme de Rodrik

Quel rapport entre la Bretagne et Dani Rodrik, professeur d'économie politique à l'université d'Harvard ? Vous allez voir.

En 2007, Rodrik énonce ce qu'il nomme «le trilemme politique de l'économie planétaire» ou encore le «théorème d'impossibilité».

Selon ses analyses, la mondialisation économique, la démocratie politique et l'État-nation ne sont pas conciliables. Seulement deux des trois éléments peuvent coexister. La démocratie est compatible avec l'État-nation, à condition d'écarter la globalisation des échanges. La mondialisation et l'État-nation peuvent coexister en limitant le fonctionnement démocratique. Pour bénéficier à la fois de la mondialisation et de la démocratie, il faut une autre gouvernance que celle de l'État-nation.

Rodrik appuie sa démonstration sur l'histoire économique. La première mondialisation, qui dura jusqu'en 1914, a pu se faire avec les États-nations. Les politiques économiques autour de l'étalon-or étaient alors indépendantes des volontés populaires.

Après 1944, les accords de Bretton Woods ont donné aux États le contrôle des flux financiers, les incitant aussi à s'organiser en démocratie. Les échanges internationaux étaient soumis aux réglementations douanières de chaque État.

Le système de Bretton Woods s'est effondré dans les années 70. Les États avaient perdu la capacité -ou la volonté- de maîtriser les flux financiers internationaux.

L'alliance de la mondialisation et de la démocratie est possible dans les structures fédérées et décentralisées. Rodrik donne l'exemple du fédéralisme des États américains. Il voit dans la crise grecque la conséquence d'un inachèvement de la construction européenne. La gouvernance de la crise se partage maladroitement entre l'État grec, l'Europe et le FMI.

Pour la Bretagne, que signifie le Trilemme de Rodrik ?

Le sacrifice du fonctionnement démocratique, au nom du couple État national-mondialisation, semble aujourd'hui une hypothèse marginale dans son principe. La démocratie est un mythe fondateur des sociétés occidentales contemporaines. Toutefois, au-delà du principe, l'observateur peut déceler des tentations analogues à ce que Rodrik observe avant 1914. Les tentations de repli et les guerres de cultures agitent la société française. Le retour vers la Troisième république autoritaire est une nostalgie qui existe à droite comme à gauche. L'opération peut être réalisée en scindant la gouvernance du pays entre gouvernance politique et gouvernance économique, comme cela a été fait en Chine, au VietNam ou en Russie. La démocratie sociale est sacrifiée à l'unité politique. La tradition française d'intervention étatique s'opposerait à une telle transformation, mais rien n'est impossible si le maintien de l'état-nation unitaire l'impose.

En France, l'antimondialisme, devenu altermondialisme, est très lié à une déférence envers l'État-nation. La défense des services publics centralisés et la revendication de la Taxe Tobin sur les flux financiers sont deux marqueurs d'une défiance envers les échanges mondialisés, au nom du couple démocratie - État national. Le Front de gauche, qui se veut l'agence de notation de la gauchitude et de la démocratie à la française, se proclame hautement «républicain». C'est là un bel idéal, mais c'est un idéal d'après-guerre. Les révolutions technologiques ont rendu faciles et inéluctables les échanges dématérialisés au-dessus des frontières. L'arrêt de la mondialisation des échanges est envisageable dans un scénario catastrophe : effondrement social, économique ou écologique, cataclysme planétaire, guerre mondiale, recul technologique.

Reste le couple démocratie-mondialisation, démocratie de volonté et mondialisation de fait. Rodrik montre que la gouvernance politico-économique, si elle doit rester démocratique, s'éloigne logiquement du modèle des États-nations. C'est la voie que suit l'Europe.

Cela dit, le trilemme de Rodrik éclaire mais ne résout pas la question bretonne actuelle. Certes, la consolidation d'une gouvernance européenne s'en trouve justifiée. Mais, pour que la Bretagne fasse partie des territoires émergents, il faut que les Bretons assument leur responsabilité. Personne ne construira à leur place une nouvelle république, active au sein d'une Europe fédérale.

Avoir raison et pester entre nous contre le jacobinisme ne nous suffira pas.

Jean Pierre LE MAT


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Jean Le Moal
Dimanche 22 décembre 2024
Une saine lecture : Jean Ziegler, Les nouveaux maîtres du monde, éditions Points Essais

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