Marcela Delpastre, Anjela Duval de l'Occitanie

Compte rendu publié le 8/02/13 23:23 dans Cultures par Fanny Chauffin pour Fanny Chauffin
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Mixel Etxekopar a lu des textes de Marcela lors de sa conférence, textes étrangement proches de ceux d'Anjela Duval

Comme Anjela Duval, Marcela assiste à la fin du monde paysan. Comme elle, elle va écrire des poèmes dans sa langue, entraîner des jeunes et les soutenir dans leur apprentissage de la langue et la défense de leur culture. Elle a aussi collecté de nombreux contes et traditions populaires. Née en 1920, elle est morte en 1998.

Poète (elle détestait le terme de poétesse qu'elle faisait rimer avec de mes fesses...), conteuse, romancière et ethnologue, Marcela Delpastre est aujourd'hui reconnue comme l'un des dix plus grands écrivains occitans du XXe siècle (au côté de Jean Boudou, Bernard Manciet, René Nelli ou encore Max Rouquette). Le message de cette femme, elle qui n'a jamais quitté sa terre limousine, s'étend à l'universel et parle pour tous les hommes, c'est ce qui fait la force et la beauté de son oeuvre.

Voici le texte intégral du texte qu'a lu Mixel Etxekopar à Quimperlé un mardi soir de janvier lors du festival Taol Kurun :

CE PAYS

«J'allais vers ce pays : réveille toi !

J'allais vers ce pays, comme on irait vers un ami, lui taper sur l'épaule : réveille toi ! Combien d'autres, avant moi, ont dit : réveille toi !

J'allais vers ce pays comme on va vers sa mère. Comme on parle à son père, à la s½ur qu'ils vous ont donnée. Réveille-toi ! La forêt flambe, l'épi porte le feu d'un champ sur l'autre champ.

Comme on va vers ses parents dire qu'il est jour et que le soleil brille, j'ai parlé à ce pays sa langue maternelle.

Réveille-toi ! l'eau montera plus haut que les châtaigniers. Réveille-toi ! la mer passera plus haut que les maisons.

Combien d'autres, avant moi, n'ont-ils pas crié de même ?

Certes ! il me semble encore entendre sonner la voix des troubadours. Il me semble que les forêts criaient d'elles mêmes. Réveille-toi ! Pays de morts qui te fais tuer encore.

N'entends-tu pas la voix des troubadours ?

Il n'entend rien, ce pays. Les villages me regardèrent passer comme un pauvre innocent. Quelques-uns s'assemblèrent sous les hêtres de la place.

–Sais-tu quelque chose pour rire, sais-tu danser ? Chante-nous les chansons d'autrefois !

Je chantai : ils se tordaient de rire. Je parlai la langue de leur mère : ils se tordaient de rire.

- Écoute ! Sais-tu danser ? Ne sais-tu pas quelque bonne niorle ? Quand je pense que mon père ne parlait que patois !

Ils se tordaient de rire. –Dis, ne sais-tu pas sauter un peu, comme les bohémiens ? Ne sais-tu pas comment autrefois on faisait l'amour ?

Je ne savais rien pour rire ! je ne savais pas danser. Jamais je ne fus bohémien. Ma maison je l'ai sur la colline, entre le houx et la fougère. J'y suis né.

Le vent de l'est et le vent du nord y soufflent en saison l'haleine des moissons ou la gelée blanche. Les autres vents portent la pluie depuis la mer.

Je ne sais rien pour rire. Et même si je savais ? Or je sais bien, certainement. Mais est-ce le temps de rire ?

Ceux qui faisaient l'amour, autrefois – pauvre monde, pauvres gens – ils ne faisaient pas autrement qu'aujourd'hui. Ils dorment tous depuis si longtemps.

Les chansons qu'ils chantaient, vous ne faites qu'en rire. Eux aussi, bien sûr, ils en riaient. Mais ce n'est pas la même chose – le rire de la joie et celui des moqueurs.

C'est sûrement écrit quelque part : le rire des moqueurs gèlera sur leur bouche ! le rire des moqueurs gèlera derrière leurs dents.

Les paroles des moqueurs leur rentreront au corps.

J'allai vers ce pays, je lui parlai sa langue, j'allai vers ce pays que je reconnais pour mon père, qui est mon frère et ma grand-mère.

J'ai chanté pour ce pays. J'ai parlé à ce pays. Réveille-toi ! L'eau monte plus haut que la barrière du jardin. Réveille-toi ! L'étincelle a volé d'un champ sur l'autre champ.

Combien d'autres ont crié avant moi ?

Mais ce pays dort bien, depuis longtemps. L'eau pourra monter et le feu tout brûler. La porte est fermée, le grenier déborde de blé.

Il fait si bon entre les deux draps.

Ce pays dort. Que si l'eau véritablement montait jusqu'au toit,

Si le feu pour de bon prenait à la maîtresse poutre,

Que l'étranger fut à la porte, et lui passât le pied au cul,

Quand même l'armée des morts se lèverait encore pour lui faire honte, non !

Il ne se réveillerait pas.

Il ne se réveillerait pas ? Eh bien, qu'il dorme !

Eh bien, qu'il dorme ! Qu'est-ce que cela me fait ? j'ai parlé trop de temps pour ce pays de morts. Qu'il achève de mourir ! Ce pays qui crache au visage de ceux qui le chantent.»


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