Le Maréchal Moreau, génie militaire breton contre le dictateur Napoléon (Partie 2)

Chronique publié le 8/02/13 20:42 dans Histoire de Bretagne par Christian Rogel pour ABP
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Pilier Est de l'Arc de Triomphe de l'Etoile - Paris Auteur : Rama Licence CeCILL
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Monument placé à l'endroit où Moreau fut atteint par un boulet. Räcknitz, banlieue de Dresde (Allemagne)
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La mort du général Moreau Musée des Beaux-Arts de Brest - Huile par Auguste Couder - c. 1814

Victor Moreau, grand militaire breton, très admiré en son temps, a été victime de l'autocrate Napoléon et de ses courtisans qui ont déformé les faits. (voir notre article)

Morlaix, sa ville natale, oublie d'honorer un des ses fils les plus éminents.

2013 verra le deux-cent-cinquentenaire de sa naissance et le bicentenaire de sa mort. L'impartialité nécessaire de l'Histoire doit l'emporter.

Moreau, presque citoyen américain

A l'été 1805, Moreau, sa femme, leur fils, Paul et leur bébé, Isabelle, embarquent à Cadix, en Espagne, pour se rendre à Philadelphie. Moreau y reçoit un excellent accueil avec des honneurs publics, eu égard à sa grande réputation de général d'exception. Il s'établit à Morrisville (Pennsylvanie), où il loue, puis achète une grande maison sur un domaine agricole et trois moulins sur la proche rivière Delaware. (voir le site)

Les honneurs publics sont l'objet d'une réclamation par l'ambassadeur de France, le général Turreau, l'homme qui avait commis, en 1793, sur l'ordre de la Convention, des crimes contre l'humanité en Vendée, mais, le gouvernement fédéral lui répond que, dans un pays décentralisé, les villes, comtés et États fédérés sont libres d'honorer tout citoyen étranger de leur choix.

Juste après le départ de Moreau, Napoléon fait imprimer une version fausse des actes du procès pour faire croire à un Moreau royaliste, alors qu'il était contre le retour des rois.

Il sera reçu à dîner par le Secrétaire d'État, et futur président des États-Unis, James Monroe, en 1812 et il écrira, l'année suivante, à Albert Gallatin, un diplomate américain : «Quoique je n'ai pas l'honneur d'être américain, je m'intéresse sincèrement au sort de ce pays où je suis resté si longtemps et où j'ai reçu des marques d'amitié... J'aurai toujours de la partialité pour lui. Je m'intéresserai toujours à ses bonheurs et à ses succès.» (21 août 1813).

Pour satisfaire sa femme, qui voulait vivre en ville, il achète une belle maison à New-York, sur Warren Street, afin d'y passer l'hiver et y donner des réceptions à la meilleure société locale. (voir le site)

Il se consacre à quelques affaires, en particulier, dans l'agriculture, pratique ses loisirs favoris, la chasse et la pêche et ne manque pas de s'exstasier sur le caractère «libéral» du pays, ayant en tête l'Etat français de plus en plus cadenassé qu'il a quitté contre son gré.

Bien qu'il s'informe sur les affaires européennes et prépare ses mémoires, fulminant contre l'assassin des libertés françaises, il résiste aux appels à aider la coalition qui veut empêcher l'empereur français de remettre le feu à toute l'Europe.

Trois personnes jouèrent un rôle important dans sa décision de rentrer : Madame de Staël, Jean-Baptiste Bernadotte, son ancien subordonné, devenu Prince royal de Suède (futur roi Charles XIV Jean) et le Tsar de Russie, Alexandre 1er, petit-fils de la Grande Catherine.

Ce dernier était un homme très intelligent, franc-maçon et épris des Lumières, qui a limité les pouvoirs de la police et favorisé l'importation des livres, mais, il ne croyait pas avoir la possibilité de réformer son pays et, en particulier, d'abolir le servage.

Alors qu'il avait fait la paix avec Napoléon en 1808, il dut subir l'invasion de 1812, car, il refusait le Blocus continental.

En appliquant la tactique de la terre brûlée, il réussit à épuiser la Grande Armée qui se replie en laissant, au moins, 400 000 morts et 100 000 prisonniers sur 612 000 hommes.

Cette folie sanglante de Napoléon, qui abandonne ses troupes en Pologne, puisqu'il cumulait deux charges incompatibles, chef de l'Etat et commandant des armées sur le terrain, achève de convaincre Moreau qu'il faut, non pas faire la guerre à la France, mais à l'homme qui la mène à sa perte.

A la même époque, Talleyrand passa au service de l'Angleterre, en disant : «La trahison devient une action noble, quand elle s'attaque à la tyrannie».

Moreau était indigné par : «L'abus que faisait (Bonaparte) de ses conquêtes : c'étaient les rapines, les violences qu'il autorisait. Cet homme couvre de honte le nom français».

Il savait aussi que Bonaparte avait refusé de réemployer comme généraux tous ceux qui étaient restés trop proches de lui-même, l'encombrant vainqueur de Hohenlinden (Lecourbe, Lahorie) ou ne les avaient pas promus (Dessoles, saint-Suzanne, Souham).

On sait, par ses lettres privées, ce que souhaitait Moreau à ce moment : une république qui garde les acquis de la Révolution, qui proclamerait l'amnistie pour tous et où la presse serait libre et les libertés individuelles préservées.

Il ne voulait pas aider au retour du Roi, mais, si celui-ci acceptait de mettre dans une constitution les mêmes principes, il s'y adapterait.

C'était, aussi, l'opinion du maréchal Gouvion-Saint-Cyr qui passe en peu de temps du service de Napoléon à celui de ministre de la Guerre de Louis XVIII.

La dernière et très courte campagne militaire du «feldmarechal» Moreau

Au printemps 1813, un navire de commerce américain, en mission officielle, emmène Moreau, jusqu'en Suède où il est reçu par son ami, Jean-Baptiste Bernadotte, qui avait accepté de servir Napoléon, mais, qui, depuis qu'il dirigeait la Suède, s'était tourné vers la coalition européenne (Grande-Bretagne, Russie, Prusse, Autriche, Suède).

Il avait imaginé qu'il aurait pu recruter une armée française parmi les prisonniers, mais cela se révéla impossible.

Lors de sa traversée de la Prusse, la population se masse dans les rues pour voir l'illustre général qui doit aider à les débarasser de l'Ogre.

Il se rend ensuite à Prague, capitale de la Bohême, où les états-majors se sont établis et rencontre successivement le Tsar, l'empereur d'Autriche, François 1er, et le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume III.

Moreau est nommé feldmarechal, par le Tsar, mais, ne veut pas faire partie de l'armée russe, ni, même, porter d'uniforme, car, il ne veut qu'avoir une relation personnelle avec Alexandre 1er et n'être que son conseiller militaire, ne dirigeant aucune opération.

Il part de Prague le 19 août, pour rejoindre le Tsar et arrive le 25 près de Dresde, et les hostilités commencent, le lendemain, face à cette ville où une partie de l'armée des «Marie-Louise» (soldats de 18-19 ans) de Napoléon s'est retranchée.

Soudainement, Napoléon, lui-même, y rentre et, pendant plusieurs heures, les attaques et contre-attaques se succèdent devant les différentes portes.

Le 27, alors que l'armée russo-autrichienne est mise en difficulté, les cannonniers français repèrent les uniformes multicolores des personnalités qui entourent le Tsar et pointent leurs canons vers eux.

Moreau a, tout juste, le temps d'entraîner le Tsar à l'abri qu'il reçoit sur le genou gauche un boulet qui transperce son cheval et lui emporte le bas de la jambe droite.

Un médecin anglais procède à une double amputation, ce qui, à l'époque, se faisait sans anesthésiques et avec des anti-douleurs peu efficaces, comme l'opium.

Pendant ce temps, une indisposition obligea Napoléon à rentrer dans Dresde, ce qui aidera à la défaite de son armée qui ne poursuivit pas les corps alliés en déroute.

Au contraire, trop avancé, Vandamne se fait battre par les troupes d'élite du général russe, Ostermann.

Prisonnier, on lui avait retiré son épée, à cause de sa conduite très dure envers les habitants, mais, il fit le signe de détresse des francs-maçons devant le Tsar, qui, initié, le comprit et lui fit rendre son arme.

Moreau fut transporté sur une litière à bras jusqu'en Bohême (Tchéquie actuelle) à travers les Monts Métalliques sur plus de deux cent kilomètres pour arriver dans la ville de [[Louny]] (Laun en allemand).

Il y meurt, probablement de la gangrène, le 2 septembre 1813 et le Tsar décide qu'il devra être enterré dans l'église catholique de Sainte-Catherine, à Saint-Pétersbourg (Perspective Nevski-Nievski Prospekt, n° 32, près du canal de la Fontanka). (voir le site)

L'office funèbre du 14 octobre 1813 fut dirigé par l'archevêque catholique et le sermon prononcé en français par un Breton, le Père Rosavel.

Le Russe Ouvaroff prononça l'éloge funèbre en présentant ses exploits militaires, dont la légendaire retraite. Il rappela qu'il avait interprété le décret de la Convention qui ordonnait que les émigrés français, les Anglais et les Hanovriens pris les armes à la main soient exécutés sans jugement.

Il évitait de l'appliquer et, parfois, les laissait partir discrètement.

Napoléon, qui croit pouvoir attaquer, tour à tour, les armées des coalisés, est pris dans une immense tenaille, si bien qu'il il est battu à la bataille de Leipzig (16-19 octobre) et, malgré des pertes françaises nettement inférieures (60 000 contre 90 000), il doit faire retraite et y réussit assez bien.

100 000 hommes, dont Davout et Gouvion-Saint-Cyr, sont bloqués dans des villes assiégées.

Le maréchal Rochambeau, héros de l'indépendance américaine, et le maréchal Josef Poniatowski ont été tués.

Malgré une brillante campagne de France au printemps 1814, le dictateur doit abdiquer et partir en exil.

Le citoyen de l'Europe,Victor Moreau, et la postérité

Moreau reçut des hommages exceptionnels de la part des souverains alliés, mais, les royalistes français ne pouvaient s'y associer sans réserve, car, ils savaient bien qu'il était athée et républicain dans l'âme et n'avait conseillé le Tsar, franc-maçon comme lui, que, pour faire cesser les boucheries humaines en Europe.

C'est pourquoi, on peut le qualifier de «citoyen de l'Europe». Les archives, tant néerlandaises, qu'allemandes et autrichiennes indique qu'il a toujours su empêcher les pillages et les vexations vis-à-vis des habitants occupés et c'est cela qui a créé et maintenu sa grande réputation en Europe et dans le monde à son époque et, maintenant, en Allemagne et en Autriche, même dans les régions où il a vaincu et qu'il a occupées.

Il n'y a qu'en France qu'elle n'est pas reconnue et que la basse vengeance d'un dictateur, coupable de dizaines de milliers de morts inutiles, le poursuit.

Son cercueil repose dans la crypte de l'église Sainte-Catherine, mais, n'est pas visible, à cause des dégâts créés par un incendie. Le Tsar a fait inscrire sur la tombe «Moreau, chevalier de l'Humanité».

A l'entrée à gauche, on peut voir une plaque de marbre indiquant que le maréchal repose ici, avec une épitaphe en français : Guide de l'éternité, il ne vécut sur cette terre que pour mourir dans la carrière qui mène à l'immortalité.

En 1814, lors du premier retour du Roi, Moreau, en même temps que Georges Cadoudal est élevé à la dignité de Maréchal de France à titre posthume. Ce titre ne lui a pas été retiré et doit donc lui être donné.

Le Roi, Louis-Philippe, qui fit achever la construction de l'Arc de Triomphe de l'Étoile en 1836, demanda qu'on y inscrive les grands militaires de toutes les armées de 1789 à 1815. Le nom de Moreau figure donc en tête de la liste apposée sur le pilier Est.

Les jambes de Moreau furent enterrées sous un monument construit en 1814, à l'endroit où il fut frappé, sur les hauteurs de Räcknitz, une banlieue urbanisée, au Sud de la ville de Dresde.

On y voit dans un square près de barres d'immeubles, un immense casque de bronze surmontant une stèle de granit. (voir le site)

En 1998, sur une initiative allemande, un monument commémorant la bataille de Hohenlinden a été érigé, sur place, sous la forme de quatre piliers supportant un cadre horizontal. www.openstreetmap.org/?mlat=48.15638065338135&mlon=11.97735071182251&zoom=16

Le Musée des Beaux-Arts de Brest possède une huile d'Auguste Couder, peinte en 1814,Le général Moreau dictant ses dernières volontés à son ami et aide de camp, le colonel Rapatel.

L'ingratitude de la Ville de Morlaix

Alors que le deux-centième anniversaire de la mort de Moreau approche, ce serait l'occasion de cesser de le traiter comme un paria, alors que c'est toujours pour de nobles raisons qu'il a agi.

La Ville de Morlaix s'est montré particulièrement ingrate, vis-à-vis d'un personnage historique de grande dimension.

Elle lui a rendu un beaucoup trop modeste hommage en installant un bas-relief en bronze figurant le maréchal dans le Square de la Madeleine, œuvre d'ailleurs offerte par la ville de Hohenlinden (??!!).

Aucune voie ou place ne porte le nom d'un des plus talentueux de ses fils dans sa ville natale.

Pourtant, personne n'est obligé de prendre Napoléon comme mesure de la vertu républicaine et d'imiter son intolérance.

Victor Moreau a été un authentique républicain et Napoléon, l'assassin de la république en laquelle son rival militaire croyait.

Frédéric Hulot, historien spécialisé dans les biographies des militaires de la période Révolution-Empire, conclut son livre, publié en 2001, et qui veut «rétablir la vérité historique» : «La France s'est montrée injuste, vis-à-vis de ce grand Français, qui, pour employer la formule de son époque, avait pourtant bien mérité de la patrie».

Note 1 : Sans les 16 000 marins bretons des escadres françaises et les 6 000 Bretons du corps expéditionnaire, les États-Unis n'auraient pu obtenir leur indépendance.

Noms des officiers bretons : Aboville, Becdelièvre, Carné, Chaffaut, Chaumont, Émeriau, Guichen, Kermorvan, La Fayette (demi-Breton), La Motte-Picquet, La Rouërie, Mauduit du Plessis.

Institut culturel de Bretagne : (voir le site)

Note 2 : On peut voir Rue du Bocage, à Orsay, le Temple de la Gloire, un petit palais construit en 1801, par la belle-mère de Moreau pour fêter la victoire d'Hohenlinden. Il est classé monument historique et sera visitable cet été. (voir le site)

Sources :

Frédéric Hulot, Le général Moreau : adversaire et victime de Napoléon, Pygmalion-Gérard Watelet, 2001.

Et surtout, le livre le plus complet, le seul qui prenne en compte les archives américaines, allemandes, autrichiennes et russes, mais, hélas, indisponible en librairie, même en occasion :

Marcel Coz , Victor Moreau : citoyen méconnu de France et d'Europe, S. l., S. n., 2008, 513 p. ISBN978-2-7466-0155-0. 24 ¤ . Ecrire à scoz2...wanadoo.fr.

Christian Rogel


Vos commentaires :
Lundi 29 avril 2024
@Spered Dieub
On peut même tresser certains fils :
Sigisbert Hugo, qui a été sous le commandement de Moreau, avec un esprit républicain, a probablement rencontré vers Indret sa future femme, la Nantaise, Sophie Trébuchet, dont la famille était engagés dans la chouannerie .
Elle vécut clandestinement à Paris avec son amant Lahorie, ancien chef d'état-major et ami proche de Moreau, et ses enfants, dont il fut le précepteur.
Victor était le filleul de Lahorie et est soupçonné par certains d'être son fils. Victor par référence au général?
On impute à Lahorie et à Sophie le royalisme ultra du jeune Hugo
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