Eyyup Doru (BDP) : les militants kurdes exilés en Europe sont en danger

Communiqué de presse publié le 29/01/13 21:11 dans Politique par André Métayer pour André Métayer
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Eyyup Doru représentant le BDP en Europe

Eyyup Doru, représentant le parti pro-kurde BDP (Parti pour la Paix et la Démocratie) en Europe, est venu de Bruxelles se joindre à la marche silencieuse organisée à Rennes le samedi 26 janvier à la mémoire des trois militantes kurdes assassinées le 9 janvier 2013 à Paris. L'une d'elles, Fidan Dogan (Rojbin) l'avait souvent accompagné en Bretagne lors de rencontres avec des militants associatifs ou pour des rendez-vous avec des maires, des élus et des responsables politiques. Elle était l'interprète préférée des personnalités kurdes pour les entretiens ou les conférences qu'elle organisait en concertation avec Eyyup Doru et leurs contacts français.

Eyyup Doru, dont les attaches avec Rennes sont bien connues, a évoqué au cours d'un entretien ce travail militant et répondu aux questions que ce triple assassinat pose de façon brutale.

Eyyup Doru - Nous avons travaillé, Rojbin et moi, ensemble, durant 14 ans. Nous avons partagé pendant 14 ans les mêmes bureaux, ceux-là même où elle a été exécutée avec nos deux autres camarades. Des liens filiaux nous unissaient : c'est affectivement intolérable. C'est politiquement inacceptable. Les assassins ont voulu porter un coup fatal à la lutte des femmes pour la libération du peuple kurde en tuant Sakine, figure emblématique, co-fondatrice du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), Rojbin, la militante engagée, l'ambassadrice de la cause kurde et de la cause des femmes auprès de tous les Français - à commencer par le premier d'entre eux - et Leyla, l'une des responsables de la jeunesse kurde en Allemagne. Ce qui est réconfortant, c'est la réponse du peuple kurde, de la jeunesse kurde, des amis du peuple kurde : «nous sommes tous Sakine, Rojbin, Leyla, nous prenons le relais».

AM - Qui sont des véritables assassins ? La police et la justice française ont arrêté un suspect qui a été mis en examen et écroué et qui, comme tout un chacun, jouit de la présomption d'innocence. Mais quels sont les commanditaires ?

Eyyup Doru - Je suis étonné que la presse française, si prompte à vouloir trouver le ou les assassins dans une je ne sais quelle histoire de règlement de compte interne, ne s'intéresse pas plus aux déclarations surprenantes du chef du gouvernement turc, Recep Tayyip Erdogan, à propos de ces assassinats. Il a laissé échapper un aveu, assez étonnant pour un chef de gouvernement,, alors qu'il se plaignait ouvertement du peu d'empressement des autorités allemandes à procéder à des extraditions de militants kurdes réfugiés en Allemagne : évoquant directement le cas de Sakine Cansiz que les Allemands avaient refusé d'extrader en 2007, il a dit : «vous avez refusé l'extradition de Sakine Cansiz ! Voyez le résultat : après Paris, ce sera bientôt le tour de l'Allemagne».

AM- Ces assassinats seraient donc utilisés comme moyen de pression sur des gouvernements jugés trop laxistes envers les «terroristes» réfugiés dans leur pays ?

Eyyup Doru - C'est clair : la responsabilité de l'Etat turc est engagée dans ces assassinats. Les autorités et instances françaises devraient le reconnaître. Erdogan a rappelé aussi que l'ancien président français, Nicolas Sarkozy, lui avait promis, lors d'un sommet du G20, d'extrader quelques leaders kurdes de haut rang : «j'ai une bonne surprise pour vous» lui aurait-il susurré à l'oreille. Erdogan reproche aujourd'hui à la France de ne pas avoir tenu parole et ce triple assassinat en plein centre de Paris est en quelque sorte un avertissement adressé au Président Hollande.

AM - Pourtant, on pourrait penser qu'en ouvrant des négociations avec le leader kurde emprisonné, Abdullah Öcalan, Erdogan veuille trouver une solution politique de la question kurde.

Eyyup Doru - Mais le veut-il vraiment ? On peut se poser la question à la lumière des derniers événements : les bombardements sur les combattants basés au Kurdistan irakien n'ont jamais été aussi intenses, les arrestations de journalistes et d'avocats continuent et les audiences des procès pour juger nos prisonniers politiques ont repris à Diyarbakir, Van et Sirnak. Le tribunal de Diyarbakir refuse aux prévenus le droit de se défendre en kurde, bien que la loi vienne d'être votée par le Parlement. La sociologue turque Pinar Selek, 3 fois acquittée, est condamnée à perpétuité par un tribunal d'Istanbul pour terrorisme, pour un attentat qui n'a pas eu lieu. Votre compatriote, la jeune franco-kurde Sevim Sevimli, étudiante de Lyon, est toujours retenue en Turquie pour avoir participé à une manifestation pourtant autorisée. La journaliste Özlem Agus qui a révélé les mauvais traitements commis contre des adolescents à la prison de Pozanti (Adana) est toujours en prison comme 70 autres collègues journalistes. Neuf avocats viennent d'être jetés en prison, ce qui fait que le nombre d'avocats incarcérés dépasse la cinquantaine, vidant littéralement des cabinets entiers de défenseurs des détenus politiques : le cabinet juridique Asrin, par exemple qui défend Abdullah Öcalan, a perdu cinq de ses six avocats, la responsabilité de défendre le détenu le plus illustre de la Turquie revient à un jeune stagiaire de 25 ans qui a été le seul à échapper à la rafle. Plus de 7 000 détenus du parti BDP, dont je suis le représentant en Europe, sont en prison, certains depuis près de 4 ans.

AM - Vous sentez-vous directement menacé ?

Eyyup Doru - Tous les militants politiques réfugiés en Europe sont en danger. Nous avons des informations révélant que des tueurs ont été envoyés par la Turquie et l'Iran pour éliminer des responsables politiques kurdes exilés en Europe. Hadji Ahmadi, président du PJAK iranien, Remzi Kartal, président du Congrès du Peuple du Kurdistan, Zubeyir Aydar, membre du comité exécutif du KCK ont reçu des menaces. Des attentats ont été commis contre les personnes et contre les biens kurdes dans plusieurs villes d'Europe. Plus grave encore, la Belgique vient de signer deux accords en matière de coopération judiciaire avec la Turquie, qui ne cache pas ses intentions : ce qui l'intéresse, selon les déclarations d'Ahmet Davutoglu, ministre des Affaires étrangères, c'est «la lutte contre le terrorisme, l'extradition des criminels», entendez par là les opposants politiques kurdes que Bruxelles héberge au grand dam d'Ankara. Moi-même, alors que je vis en Europe depuis trente ans, je suis poursuivi par l'Etat turc qui ne supporte pas le travail de lobbying que je fais auprès des institutions européennes et du Conseil de l'Europe. Il me poursuit via Interpol qui a délivré un mandat contre moi, ce qui m'a valu déjà plusieurs arrestations et séjours en prison dans différents pays européens.

AM - La France aussi a signé un accord de coopération dans le domaine de la sécurité intérieure, qui doit être ratifié par le Parlement.

Eyyup Doru - Vous devez, vous Français, être vigilants et mettre en garde vos parlementaires qui risquent d'approuver par inadvertance un projet de loi apparemment anodin mais lourd de conséquence pour tous les militants kurdes vivant en France que la Turquie voudrait voir incarcérés, jugés et condamnés comme «terroristes». Ceux qui sont accusés de «terrorisme» ou d'appartenir à, de soutenir une «organisation terroriste» sont tous ceux qui militent pour le règlement démocratique de la question kurde et pour la démocratisation de la vie politique turque. Si cet accord de coopération était signé, il permettrait par exemple à la Turquie de réclamer et d'obtenir l'extradition de Pinar Selek et de centaines militants kurdes, tous ceux–là qui prennent déjà la relève des Sakine, des Leyla, des Rojbin.

Questions et propos recueillis par André Métayer

Photo Gael Le Ny


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