La vie de Victor Moreau, un vrai Breton, pétri de convictions républicaines, mais, ennemi de toute conduite orgueilleuse ou dommageable à autrui, pourrait former la trame d'un film à grand spectacle.
Comme Georges Cadoudal, il est un des rares maréchaux de France bretons (à titre posthume).
Moreau, juriste devenu militaire, au charisme indiscuté, a vécu plusieurs vies depuis ses premières armes à Rennes, en passant par ses exploits militaires en Allemagne et en Italie, son exil aux Etats-Unis et, à la fin d'un parcours hors-normes, sa paradoxale fraternité d'armes avec le Tsar de Russie, Alexandre 1e, ce qui l'amènera en Allemagne pour mourir, peu de temps après, en Bohême.
Mais, Charles de Gaulle, en lutte contre l'Etat fasciste de Pétain, n'était-il pas dans la même position?
3 décembre 1800 : la grande victoire fantôme de Hohenlinden, (Bavière)
L'une des plus grandes victoires militaires françaises est celle d'Hohenlinden (3 décembre 1800), en Bavière, où l'Autriche fut défaite, perdant une partie de son armée et une quantité énorme de matériel militaire.
Pourtant, aucune rue ou aucun pont de Paris n'en rappelle le souvenir.
Se proclamant le meilleur stratège de son époque, Napoléon Bonaparte, a écrit dans ses mémoires, à propos d'Hohenlinden : « La bataille d'Hohenlinden ... ne doit être attribuée à aucune combinaison, à aucune manoeuvre, à aucun génie militaire».
Difficile de faire preuve de tant de bassesse, alors que Moreau était admiré dans toute l'Europe et, même de l'autre côté de l'Océan au début du 19ème siècle.
Les contemporains, éblouis par Bonaparte, ont parlé de Moreau à la lumière de son opposition au pouvoir autocratique et en fonction de leur allégeance à Napoléon.
Ils ne pouvaient que blâmer son retournement contre l'armée de son pays, puisqu'il se mit au service de la Russie en 1813, pour faire cesser les guerres que celui qu'il appelait «l'usurpateur» (de la République) allumait constamment en Europe.
Les historiens français, qui ont rarement exploité les archives anglaises, autrichienne, néerlandaises, russes et prussiennes ont souvent validé les jugements partiaux et révisionnistes.
Le maréchal Moreau a mené de grandes armées, obtenu des victoires décisives et innové en créant une armée de réserve complète et un excellent service de reconnaissance.
Lors de la campagne d'Allemagne de 1800, il créa un piège en dispersant ses corps d'armée sur un large front et, en s'abstenant, contrairement à ses habitudes, d'engager les hostilités afin de cacher ses intentions à l'archiduc Jean-Baptiste d'Autriche. frère de l'empereur.
L'archiduc, croyant finir d'enfoncer le gros des forces françaises en s'engageant dans une forêt, à l'Est de Munich, a vu ses troupes être bousculées successivement par différents corps d'armée dont il ignorait la présence. (voir le site)
Les molles attaques de Ney, de Hardy et de Le Grand, ayant été repoussées, les Autrichiens pensèrent que l'armée française entière était en train de céder.
Moreau fit reculer son corps central derrière la forêt et laisser prendre le château où était son état-major, mais, ce fut pour reprendre position au Nord de la forêt, laissant les Impériaux s'engager dans la vaste clairière qu'il avait repérée pour fondre sur eux depuis les hauteurs.
Grouchy dut subir sans faillir le premier assaut, mais Richepanse ayant contourné le Sud de la forêt arrive sur les arrières des Autrichiens et capture un régiment de hussards démontés, puis, prend le parc d'artillerie en marche.
L'arrivée programmée de Decaen achève la déroute de la colonne principale de 40 000 hommes. Les trois autres colonnes autrichiennes, ayant marché trop lentement dans des chemins étroits et sous la neige, sont attaquées par surprise et souvent chargées à la baïonnette.
L'archiduc manque d'être capturé et les Autrichiens perdent 1 000 tués, 3 800 blessés, 11 000 prisonniers et plus de cent canons, sans compter les magasins militaires d'Augsbourg.
L'Armée du Rhin (90 000 hommes) ne perd que 1 200 hommes, tués ou blessés, et n'a à déplorer que 600 prisonniers.
Un historien républicain, Lanfrey, écrit en 1876 : «Jamais plus, on ne verra un général en chef victorieux, qui, sur le front de ses troupes,...ne saura que dire : «La Paix, la Paix, vous venez de gagner la Paix !». Et ses généraux de se jeter dans les bras, l'un de l'autre.
Il commente en disant que cet enthousiasme républicain reflètait «des moeurs d'une autre époque».
La victoire permet d'occuper toute l'Autriche centrale et de faire 20 000 prisonniers de plus, mais, Moreau refuse d'occuper Vienne, en expliquant : «Ce n'est pas pour humilier les Autrichiens que nous nous battons, mais, pour conquérir la Paix».
Dans sa proclamation à l'armée par laquelle il annonce l'armistice, il précise : «Vos généraux vont vous cantonner dans le pays conquis par votre courage : commandez-y l'amour et l'estime par votre discipline et votre respect des propriétés».
Un organisateur déterminé des premiers affrontements avec l'ordre ancien
Victor Moreau de Lizoreux naît à Morlaix en 1763 dans une famille d'hommes de loi et d'armateurs-négociants. Il descendait du corsaire Pierre Bernard de Basseville.
Dans la parenté figurait Moreau de Maupertuis, un grand savant breton, le premier à avoir mesuré un arc de méridien en Laponie et un précurseur de la science de la Mécanique.
Ayant fait ses «humanités» au collège de Saint-Pol-de-Léon, il est envoyé par son père étudier le droit à Rennes.
En 1785, La Fayette, étant breton par sa mère, vient siéger aux États de Bretagne, ce qui avive les débats politiques, du fait de son rôle dans la création de la démocratie états-unienne.
En 1788, le gouvernement veut réduire les prérogatives du Parlement de Rennes, lesquelles étaient fondées sur l'Acte d'Union entre la Bretagne et la France de 1532.
Les corps constitués (justice, administrations délocalisées) et les étudiants de Rennes s'insurgent contre l'autoritarisme royal et des soldats sont envoyés dans les rues en mai 1788.
Le Roi voulait imposer ses réformes, alors que la constitution provinciale prévoyait que toute nouvelle mesure devait être «consentie par les États et vérifiées par les cours souveraines».
Ce qui, d'habitude, ne se traitait qu'entre les nobles et le clergé crée le tumulte quand deux magistrats sont arrétés.
Moreau fait jurer par les étudiants que le Parlement rennais ne devait perdre ses pouvoirs que «par une délibération nationale» et écrit aux autres universités de France pour propager la protestation.
Il eut l'honneur d'être reçu à Versailles, dans une délégation d'étudiants, par le Roi, lui-même
Le 26 mai 1789, à l'annonce de la convocation des Etats-Généraux et du doublement du Tiers-Etat, une bande d'agitateurs, payés par des nobles et armés de pieux, se jetèrent sur des étudiants qui se trouvaient devant un café et les poursuivirent dans la rue.
Cela ne troublait, ni les policiers, ni les parlementaires qui passaient par là.
Moreau se révéla comme un organisateur de la résistance et, en faisant ouvrir un magasin d'armes pour la milice bourgeoise, retourna la situation.
Le lendemain, les affrontements se poursuivirent avec des nobles qui allaient jusqu'à attaquer à l'épée les bourgeois qu'ils rencontraient.
Ce jour-là, le jeune François-René de Chateaubriand combattait dans le camp des aristocrates.
Certains des assaillants étaient en fait des valets , dont certains, en plus de bâtons ou de couteaux, portaient les bandes de cuir, appelées bricoles servant à lever les chaises à porteurs.
C'est de là que vient le nom de «Journées des bricoles», - car, il en resta beaucoup sur les pavés -, qui fut donné à ces premiers affrontement politiques armés du mouvement révolutionnaire.
Ils sont plus significatifs de ceux de la «Journée des tuiles» de Vizille (avril 1789), car les émeutiers dauphinois y ont affronté, souvent indirectement (par des jets de tuiles) les soldats du Roi qui étaient peu sûrs.
Le militaire au service de la République
Moreau passe son diplôme d'avocat, mais, découvre sa vocation, la vie militaire et la direction des troupes.
Moreau, mis à la tête d'une compagnie de gardes nationaux, va présider, en janvier 1790, à Pontivy, une assemblée de 200 délégués bretons et angevins qui se félicitent que «le joug du despotisme ait été secoué» et que «le peuple breton ait renoncé à ses franchises qui étayaient le despotisme de nobles».
L'atmosphère étant à «l'Union des patriotes», la nouvelle du décret de l'Assemblée nationale qui condamne le Parlement de Bretagne pour ses protestations contre l'abolition de la constitution bretonne, fait remonter le souvenir des batailles de rue et fait monter des cris contre lui.
Moreau, calme et posé, demande qu'on donne une chance aux parlementaires de reconnaître leur erreur et de se rallier au principe de la souveraineté nationale.
L'assemblée se sépare sur un voeu de former «une coalition qui frappe de terreur les ennemis de la régénération présente» et de «ne reconnaître entre nous qu'une immense famille de frères qui, réunis sous l'étendard de la liberté, soit un rempart où viennent se briser les efforts de l'aristocratie»
Moreau, contrairement à beaucoup de révolutionnaires, ne renonça jamais à ces idées de liberté, d'égalité et de fraternité.
L'assemblée de Pontivy fut imitée partout en France et initia le premier mouvement réellement et pleinement politique, car, il donnait au peuple le mandat de maintenir les nouvelles idées, même au cas où les autorités se montraient défaillantes.
Élu chef du 1er Bataillon de volontaires d'Ille-et-Vilaine, il se mit à étudier d'arrache-pied les manuels militaires et partit avec 300 hommes en septembre 1791 sur la frontière Est, car la guerre menaçait avec les royaumes de l'Europe centrale et elle fut déclarée en avril 1792.
Elle allait durer 11 ans, s'interrompre de 1802 à 1804, puis reprendre pendant 11 ans !
D'abord, sous Dumouriez, puis, sous Hoche, Moreau gravit les échelons et Morlaix est en fête quand on apprend qu'il est de ceux qui ont repoussé l'ennemi au-delà de la Sambre.
En mars 1794, il entre en Belgique sous les ordres de Pichegru et on lui confie 18 00 hommes. Il est chargé de mener les sièges le long de la côte. Une fois, la Belgique prise, après le 9 thermidor, Moreau remplace son général en chef malade, puis, engage la conquête de la Hollande.
Fin 1795, Carnot, ministre de la Guerre le fait nommer général en chef de l'Armée du Nord, mais, il ne s'agit que d'occuper les Pays-Bas, où il fait en sorte de garder de bonnes relations avec les autorités et les habitants, en tenant fermement les troupes en main.
Ses compétences auront été acquises uniquement sur le terrain et ses contemporains vanteront son «coup d'oeil» qui lui permettait de prendre les bonnes décisions sur le champ de bataille.
C'est en 1796 que Moreau acquiert ses premiers titres de gloire, lors de la première campagne d'Allemagne qui sera admirée, non pour des grandes victoires, mais, pour la manière efficace avec laquelle Moreau a organisé une retraite sur 300 kilomètres.
Cela avait commencé par une intoxication magistrale, car l'armée passe le Rhin sous le nez de l'ennemi qui avait été leurré afin qu'il croit que le passage se ferait plus au Sud, vers Bâle.
Arrivé en Bavière, Moreau, qui devait suivre le plan du ministre de la Guerre, Lazare Carnot, se rend compte que les Autrichiens, brillamment menés par l'archiduc Charles d'Autriche, ont réussi à couper les corps d'armée les uns des autres et qu'il doit reculer, jusqu'en Alsace.
Non seulement, il ramène la quasi-totalité des hommes et du matériel, mais, il aura, au passage bousculé un corps d'armée et fait 5 000 prisonniers.
Son art de la retraite, que méprisait Bonaparte, partisan de l'offensive à outrance, quelque soit le prix humain à payer, sera enseigné longtemps dans les écoles de guerre européennes.
Moreau et Bonaparte, rivaux militaires sous le Directoire et le Consulat
La deuxième campagne d'Italie le voit accepter en 1799, sans regimber, un poste au dessous de sa valeur.
Alors que Bonaparte est en Egypte, le Directeur Barras s'oppose à un commandement en chef pour Moreau, arguant du fait qu'il avait mis trop longtemps à transmettre les preuves de la trahison de Pichegru, mais, il autorise sa nomination à Milan, comme inspecteur de l'infanterie.
Moreau s'efforce de réprimer les malversations des fournisseurs d'équipements militaires, mais, ne peut empêcher les brigandages et extorsions des officiers supérieurs, comme Brune, Masséna et Suchet qui copiaient le Bonaparte de 1795, en Italie.
Joubert, le général en chef, démissionne, car, on ne lui donne pas le pouvoir de mettre de l'honnêteté dans son état-major.
Schérer, qui le remplace, permet à Moreau de commander trois divisions.
En mars 1799, les premières opérations près de Vérone sont à l'avantage des Autrichiens, qui enfoncent l'aile gauche à Cassano, mais, butent sur le centre de Moreau.
Les soldats exigent que ce soit Moreau qui prenne le commandement en chef, ce qu'accepte Schérer, fin avril.
L'armée, réduite de 50 000 à 28 000 hommes, doit se replier jusqu'à Turin et perd Milan devant les Autrichiens renforcés par les Russes (plus de 100 000 hommes).
Macdonald, venu trop lentement de Naples est battu à la Trébie. Moreau reçoit à Gênes des renforts, mais est renvoyé pour ordre sur le Rhin et remplacé par Joubert.
Il décline l'offre du Directeur Siéyès d'être son sabre pour un coup d'Etat qui diminuerait le pouvoir des législateurs.
Joubert garde Moreau et lui confie une aile.
A Novi, l'armée française est battue et Joubert est tué. Encore, une fois, Moreau ramène les troupes restantes à Gênes sans en perdre en route.
Moreau donne un coup de main sans chaleur à Bonaparte pour le coup d'Etat du 18 Brumaire (octobre 1799) et reçoit le commandement en chef de l'Armée du Rhin pour combattre l'Autriche, qui reprend la guerre, grâce à l'or que lui donne l'Angleterre.
Le Premier Consul, Bonaparte, remporte la victoire de Marengo, le 14 juin 1800, ce qui oblige l'Autriche à sortir d'Italie, mais, ne fait pas cesser la guerre. Et, c'est donc Moreau qui obtient la paix, 6 mois après, par la flamboyante victoire d'Hohenlinden.
Rentré auréolé de gloire, il trouve un Bonaparte qui verrouille le pays, par la répression et l'argent donné aux gens soumis.
Moreau, accusé de conspiration avec Pichegru, secrètement royaliste, et Cadoudal, le grand chef militaire chouan, est arrêté en février 1804.
Bien que Moreau se tînt loin de la politique, il ne pouvait empêcher les opposants d'avancer son nom qui apparut dans la presse anglaise comme l'espoir de quelquess mécontents et cela fut mentionné en août 1803 dans le journal du gouvernement français.
Etant marié avec la fille d'une royaliste notoire et gardant, en privé, son franc-parler, il était une cible pour un Bonaparte soucieux d'éliminer un rival potentiel qu'il n'avait pu acheter.
Le procès de 1804 ne permit pas de prouver une culpabilité indiscutable, face à un Moreau sachant se défendre avec éloquence, et Bonaparte permit à Moreau de s'exiler.
A suivre....
Sources :
Frédéric Hulot, Le général Moreau : adversaire et victime de Napoléon, Pygmalion-Gérard Watelet, 2001.
Et surtout, le livre le plus complet, le seul qui prenne en compte les archives américaines, allemandes, autrichiennes et russes, mais, hélas, indisponible en librairie, même en occasion :
Marcel Coz, Victor Moreau : citoyen méconnu de France et d'Europe, S. l., S. n., 2008, 512 p. ISBN978-2-7466-0155-0. 24 €. Ecrire à scoz2...wanadoo.fr.
Christian Rogel
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