Chic, le Mouvement Breton se dépolitise !

Chronique publié le 20/01/13 14:39 dans Editorial par Jean-Pierre Le Mat pour ABP
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(Crédit PariaRevolution)

- Je ne vois pas ce qui te réjouis, camarade !

- A vrai dire, je ne sais pas s'il faut se réjouir ou se lamenter. J'assiste à la fois à une naissance et à un enterrement.

- L'enterrement de qui ?

- L'enterrement du Mouvement Breton d'après-guerre.

- Qu'est ce qui te fait dire cela ?

A la fin de la guerre 39-45, quand le second Emsav est mort, la relève a été prise par toute une variété de mouvements. On peut citer le CELIB (1950), Kendalc'h (1950), le championnat national des Bagadoù (1949). Ces mouvements n'étaient pas dans la continuité de Breiz Atao.

Aujourd'hui, le mouvement breton se diversifie lui aussi, dans la discontinuité.

La dimension économique émerge avec l'Institut de Locarn, Produit en Bretagne, la Diaspora Economique Bretonne.

D'autres façons d'aborder la construction de la Bretagne apparaissent, comme avec Breizh Impacte. Avec Ai'Ta!, la revendication linguistique se renouvelle et prend un tour festif. Les nouveautés apparaissent dans d'autres secteurs, comme les nouvelles méthodes d'apprentissage du breton, l'expression spirituelle avec le Tro-Breizh ou la Vallée des Saints, la consommation tribale dont A l'aise Breizh est l'emblème. Citons aussi la présence du Gwen-ha-du dans les stades de football et dans les festivals de musique.

- Les partis politiques bretons ne disparaissent pas ! Ils ont de plus en plus d'élus, même si le nombre reste modeste.

- C'est vrai. Mais je veux parler de la vitalité de la réflexion politique bretonne. Dans la mesure où celle-ci s'enferme, l'élection d'un militant politique breton correspondra dans l'avenir à une niche. Voici quelques signes d'enfermement intellectuel:

L'ouvrage "Comment peut-on être Breton ?", reste la référence depuis sa publication en 1970. Alors que la Bretagne est confrontée à une nouvelle phase historique, qui est celle de la globalisation, aucun théoricien politique n'a remplacé Morvan Lebesque.

On aurait imaginé qu'avec l'émergence, dans les années 2000, d'un nouveau parti (Parti Breton), ainsi que d'une droite bretonne radicale (Adsav, puis les Identitaires), on assisterait à une émulation dans la réflexion. Ou alors à une surenchère dans l'action. Il n'en a rien été.

Le nombre de Bretons capables de définir ce qu'est une nation, un état, un peuple ou une région s'amenuise. Hors des sentiers balisés par l'habitude ou par les alliances, le langage politique breton ainsi que les solutions proposées -fût-ce l'indépendance- se sont banalisés. Les éclats occasionnels de lyrisme ne peuvent camoufler la banalité de fond et la pauvreté de la réflexion.

- Le travail réalisé par le mouvement breton d'après-guerre est considérable !

- Historiquement, ce mouvement peut être défini par une préoccupation de reconnaissance officielle de la Bretagne, de sa langue, de ses frontières historiques, de ses droits. Le travail désintéressé des militants d'après-guerre a payé. Quelques uns d'entre eux sont désormais présents dans les institutions (Conseil régional, Conseil culturel, CESER, municipalités, syndicats, etc.).

La reconnaissance officielle et l'instauration d'un pouvoir breton sont les buts ultimes de l'Emsav d'après-guerre. Ces buts, dont certains ont été atteints, apparaissent aujourd'hui comme de simples moyens, vers un objectif plus éloigné. Et ces moyens se révèlent insuffisants. Le nouveau but n'est pas de gérer une existence officielle de la Bretagne, mais de bretonniser la société.

- Qu'est ce qui te fait dire cela ?

- Outre la diversification dont j'ai parlé, deux indices récents m'ont alerté.

Le premier est l'appel de Yannig Baron, TAN BA'N TI. Ce texte doit être lu par tous les Bretons qui se préoccupent de l'avenir de la Bretagne. Yannig pointe le décalage entre, d'une part, le comportement des représentants élus ou officiels de la revendication linguistique, et de l'autre la nécessité de bretonniser l'enseignement de façon énergique.

Le second est la controverse entre Pierre Maille et André Lavanant. Le premier considère que la revendication linguistique bretonne est satisfaite à partir du moment où la langue est officielle. Le second considère que le breton doit être une langue d'usage.

Le décalage observé dans les deux cas concerne la revendication linguistique. Le décalage existe aussi dans le domaine de l'histoire de Bretagne, ainsi que dans celui de l'économie. Etre reconnu est une étape nécessaire. S'en contenter est insuffisant à long terme, et démobilisant. Le risque est grand -et Yannig Baron en donne des exemples-, que seul le militant qui est reconnu officiellement, parce qu'il est élu ou permanent, se considère comme important.

La dépolitisation du Mouvement Breton n'est pas une régression mais un élargissement vers des ambitions nouvelles qui concernent tout le monde, au delà du cadre politique.

Les nouvelles ambitions s'inscrivent dans l'univers mondialisé qui a remplacé le monde d'après-guerre. Dans cet univers, la Bretagne est devenue une communauté attirante, à la fois réelle et virtuelle. Les Bretons de différents horizons se rencontrent de façon informelle. Dans le village global, nos réseaux fonctionnent mieux que les institutions. La crise sous toutes ses formes, de la dette financière à la perte des repères, crée de nouvelles menaces, mais aussi de nouvelles opportunités pour notre pays.

Jean Pierre LE MAT


Vos commentaires :
Vendredi 3 mai 2024
D'accord sur beaucoup de points, notamment sur les victoires remportées par la galaxie culturelle et identitaire associative née après l'épopée du FLB : on a fait de manière inconsciente du «gramscisme breton» c'est à dire qu'on a mis le paquet sur l'ensemble des composants de notre idiosyncratie (langue, musique etc...) Pas mal d'avancées : un drapeau (le drapeau des nationalistes !) reconnu et adopté par tous ; une musique et des fêtes omniprésentes ; des écoles de langue bretonne -insuffisantes certes- présentes et actives ; La seule plaque d'immatriculation comportant, outre un drapeau subversif, le nom de la «région» dans une langue autre que le français ; une élite intellectuelle, économique et culturelle d'esprit breton : peu de gens le signalent, mais il s'agit pourtant ici d'une vraie révolution car la Bretagne avait complétement perdu ses élites -depuis des siècles- par francisation systématique.
Mais tous s'attendaient (comme Gramsci dans les années 20 en Italie, qui échoua finalement face à Mussolini rappelons-le...) à ce que le pouvoir politique «tombe comme un fruit mûr» face à ces conquêtes culturelles et sociétales : ce ne fût pas le cas et la mouvance bretonne, ébranlée et affaiblie en outre par les campagnes haineuses orchestrées contre elle de façon concertée directe ou indirecte, n'a pas compris le pourquoi des choses. La reconquête culturelle a ses limites, même si elle reste le fondement légitime et efficace de tout. La société bretonne d'aujourd'hui est en voie accélérée d'intégration à la société française consumériste et occidentalisée. Le pourcentage de population «non-originaire» de nos villes s'est démultipliée dans les dernières années, accentuant le brassage. Nous sommes englués dans le lavage de cerveaux quotidien des media parisiens et le conformisme mou -réflexe déjà acquis chez nous pour beaucoup !- a gagné du terrain.
La fierté bretonne est néanmoins réelle et s'exprime. Cela tient du miracle quand on voit le poids des superstructures françaises d'Etat d'une part et la chape consumériste occidentale de l'autre...
Je crois pour ma part qu'il faut désormais systématiquement se référer au «peuple breton», très ancienne nation d'Europe et cesser de voir nos combats de façon fragmentée (le combat «pour la langue» notamment) -cette plaie de notre mentalité clannique- mais plutôt comme des facettes d'une même et légitime réappropriation démocratique («demos» = peuple). Avez-vous lu «La Désunion française» d'Yvon Ollivier aux Editions l'Harmattan. Juriste et militant, le Brestois y démonte pièce après pièce les rouages de notre soumission et y livre des clés pour notre émancipation en temps que Bretons et en temps que personnes humaines tout à la fois... C'est un livre éminemment politique, même s'il touche tour à tour à la philosophie, à l'Histoire et bien sûr... au Droit des gens.
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