Crawl, un navet anti-breton

Revue de film publié le 17/01/13 11:32 dans Media et Internet par Philippe Argouarch pour Philippe Argouarch

Ce premier long métrage du réalisateur Herve Lasgouttes était en avant-première hier à Quimper, il sortira en salle le 30 janvier.

Filmé et réalisé en Bretagne, au pays Bigouden et au Cap Sizun, dans les mêmes lieux que «Cornouaille» (voir notre article), dans cette baie d'Audierne qui va du Raz à Penmarc'h, l'événement est suffisamment rare pour être mentionné. Beaux paysages même sous la pluie et chemins côtiers dans les dunes. Au nord : Pors-Poulhan, Penhors, Audierne, Plozévet. Au Sud, le centre de l'activité économique autour du Guilvinec, le premier port de pêche breton et le deuxième en France. C'est ce décor majestueux qu' Hervé Lasgouttes a choisi pour tourner une petite histoire minable. Le scénario tourne autour de l'immaturité d'un blanc-bec délinquant avec un QI de 80 qui engrosse une jeune Bretonne : Gwen. A peine une histoire d'amour.

Certes le cinéma doit parler de tout les sujets de socièté sans tabou mais des films tournés ici sur des histoires d'ici, même si c'est devenu un peu tendance, sont si rares, que le choix des sujets y prend une importance démesurée et ouverte à la critique.

L' histoire serait à l'origine un fait divers américain. Quoiqu'il en soit, dans Crawl, les Bretons sont, soit des blancs-becs immatures, soit des salauds de petits chefs. L'un d'eux, contremaître à l'usine de mareyage, va jusqu'à voler les pêcheurs à pied du coin en se faisant passer pour un garde-pêche ! Il embauche au noir, en plus de faire trimer les pauvres ouvrières. Un vrai salaud de capitaliste quoi....et oui le cinéma français en est encore là.

Du côté des Bretonnes, c'est pas mieux. Enceintes, les deux femmes du film fument comme des pompiers alors que l'une d'entre elles est même infirmière. Étonnant aussi venant d'une sportive comme Gwen qui pratique la natation en mer et a des ambitions sportives (d'où le titre du film : Crawl). Tout le monde fume sans arrêt, et, par les couleurs des paquets, qu'on appercoit furtivement, on peut même identifier certaines marques. Tout le monde aussi boit à tout bout de champ. Le Breton local conduit avec une bouteille de gin dans la main. Et même complètement bourré dans un bar, pas un mot de breton, même pas un «gast !» ne sortira de sa bouche. Notre anti-héros prend aussi de l'extasy.Tabagisme, alcoolisme, drogues, tout y est. On se croirait presqu'en banlieue. Cerise sur le gâteau : c'est aussi un détrousseur de cadavres un peu débile mental qui se déshabille avant de franchir le seuil de la porte de son mobile home.

On se demande si on n'est pas revenu au cinéma muet tant les dialogues sont absents dans cette résurrection de Bécassine. Et quand ça cause, ca gueule uniquement. Le clou c'est la réplique de Gwen à son amant ado : «mais, pauvre con de Breton, sors un peu de ton trou ! ». Faut avoir osé. D'autant plus que les Bretons ont la bougeote : depuis des siècles ils sillonnent terres et mers. Déjà, dans «L'Équipier», le gardien de phare stagiaire venu d'ailleurs ou de Paris, déclarait au gardien titulaire, Yvon Le Guen, joué par Philippe Torreton, du moins dans la version originale : «Breton,ça rime avec con !»

Il y a tant de sujets intéressants à filmer en Bretagne. En particulier le travail courageux des marins pêcheurs avec sa litanie annuelle de drames. La littérature française a pourtant produit des chef-d'oeuvres sur le sujet : «Les travailleurs de la mer» de Victor Hugo, «Pêcheur d'Islande» de Pierre Loti, «Tempête sur Douarnenez» et pleins d'autres romans extraordinaires d'Henri Queffelec. Le cinéma français en 100 ans n'a rien produit sur cet Armor et cette matière de Bretagne pourtant toujours aussi riche. Il y a eu une ou deux exceptions comme Remorques de Jean Grémillon avec Jean Gabin et Michèle Morgan (1941) et «Dieu a besoin des Hommes» (1964) mais c'est tout. L'équipier (2004) fut une tentative interessante mais encore trop parisienne dans sa vision et ses préjugés. Ce sont les Américains qui ont produit un chef-d'oeuvre sur les drames de la mer et sur ce que vivent les familles de marins pêcheurs avec «The Perfect Storm» de Wolfgang Petersen. Georges Clooney y joue entre autres très bons acteurs (2000). Dans ce film, les marins pêcheurs y sont des héros des temps modernes et non pas des salauds comme dans Crawl.

J'ai la chance de vivre dans cette baie d'Audierne et je peux affirmer que rien de ce qui apparaît dans ce film, à part les paysages, ne ressemble à la réalité des hommes et des femmes de ce pays. Et personne ici n'arrose ses hortensias comme on le voit dans le film. Et, oui, j'y entend régulièrement parler breton.

Que cette réalisation ait été subventionnée par la région Bretagne et le Centre National Cinématographique (CNC) est choquant. On est en droit de se poser des questions : le cinéma est-il subventionné par nos impôts pour démolir ce qui nous reste de fierté d'être Breton-- justement au moment où cette fierté commençait à nous revenir ?

Philippe Argouarch