Le savant fou des fées de Brocéliande

Le soleil étire ses premiers rayons sur la forêt de Brocéliande. Sur la terre endormie, une tiédeur humide monte des chemins gagnés par les branches et le brouillard. Aleksandr frissonne. Quel pays étrange ! Cette Bretagne aux mille mystères paraît si éloignée, si différente de sa bien-aimée Russie. Botaniste de réputation au pays des âmes démesurées, Aleksandr Bogdanovitch appartient au cabinet des sciences occultes de Raspoutine, le sulfureux médecin du Tsar qui fait trembler la cour. Les légendes celtes sont parvenues aux oreilles du rebouteux mystique, elles ont franchi plaines, montagnes et rivières, faisant fi des frontières. Elles l'ont convaincu que la forêt bretonne regorge d'herbes aux propriétés guérisseuses dont on murmure qu'elles ont des vertus surnaturelles… on n'ose dire des pouvoirs magiques. Depuis le printemps 1914, Aleksandr voyage sans relâche afin de répertorier ces plantes dans un herbier, les analyser et ainsi livrer l'élixir de longue vie que Raspoutine lui a commandé.

Les premières pages consacrées à l'étude de la flore exaltent les qualités prometteuses de la gentiane et de la grande ciguë. Homme de science, Aleksandr y expose en détail ses expériences. Mais un jour, alors qu'il cueille une plante inconnue au bord d'un étang, un être minuscule grimpe sur ses doigts, s'arrête et le fixe du regard. Aleksandr prélève le spécimen et son petit habitant qu'il emporte dans son laboratoire. Sans états d'âme, il découpe tige et feuilles puis dissèque le corps sans vie. Jour après jour, ses recherches dans la forêt lui confirment qu'une part de la végétation abrite des fées miniatures dont elle tire sa puissance ! Voilà l'idée géniale de cet album, les fées ne se limitent pas à loger dans les plantes, elles sont leurs soeurs siamoises, leur symbiose parfaite, le maillon manquant entre le règne animal et le règne végétal. Aleksandr les prend en affection : gracieuses, sensibles, mutines ou facétieuses, comment résister à leur désarmante beauté ? Peut-il continuer à interpréter lucidement leurs enchantements sans tomber sous le charme de leur féérie ? Sa raison vacille et le savant fou se perd dans son conte de fées…

A nouveau, Benjamin Lacombe signe avec « L'Herbier des Fées » un livre rare et précieux. Nul hasard si cet auteur trentenaire à l'univers très personnel, graphiquement proche de Tim Burton, enchaîne les succès de librairie. Tantôt avec des adaptations littéraires (« Contes macabres » d'Edgar Poe, « Notre-Dame de Paris » de Victor Hugo), tantôt par un conte musical original (« La Mélodie des tuyaux »), des bandes dessinées ou des ouvrages en littérature jeunesse, il sème ses petits bijoux pour éviter de se perdre dans l'immensité de sa tâche. Dans « L'Herbier des Fées », son récit souligne d'un trait l'évidente vulnérabilité de l'esprit humain. La lente métamorphose de son héros, Aleksandr, porte à incandescence l'éprouvante valse-hésitation de l'Homme face au surnaturel, caractéristique de la littérature fantastique. Un contenu pédagogique qu'illuminent des dessins somptueux captive l'âme toujours prête à s'envoler des enfants rêveurs.

Sur papier ou à l'écran, Albin Michel double notre joie de lire ; qu'ils tournent les pages ou jouent avec les images, nos doigts caressent des merveilles. La version numérique animée et interactive de « L'Herbier des Fées », qu'a fait éclore au sommet de la technologie le studio d'animation français PrimaLinea, est plus rare qu'un edelweiss. Sur une musique d'Alexis Vallois, le livre augmenté de vingt pages par rapport à la version imprimée, est une plante unique par la feuillaison luxurieuse de ses interactions : immersion dans les illustrations, lecture choisie des documents d'époque, fondus-enchaînés de la flore et de la faune, gestuels délicats des fées, variations subtiles des couleurs… autant de fonctions qui rendent plus haletante l'aventure dans la forêt de Brocéliande. Plus les centaines de dessins dans sept petits films d'animation en 2D réalisés par Nicolas Quéré et Bruno Giraud qui témoignent de l'histoire du savant russe. Sans compter les sons et des bruits peuplant l'univers de Benjamin Lacombe et de son compagnon d'encre, Sébastien Perez, écrivain et co-auteur de ce doublé féérique.

Le propos de «L'Herbier des Fées» est habilement distillé, non par une longue narration, mais par les pages de l'herbier elles-mêmes, la correspondance d'Aleksandr, son journal intime ainsi que ses notes de travail. Le choix du papier de l'album a fait l'objet d'une attention particulière : les calques offrent des superpositions fragiles tandis que des feuilles, plus épaisses et délicatement découpées, laissent entrevoir une fée qui se joue des savants trop curieux. Mais Aleksandr est-il vraiment fou ? « Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent seulement de nuit », susurre Edgar Poe au début de l'ouvrage. Et il a bien raison, le merveilleux n'est-il pas le nectar par excellence de l'élixir de longue vie ? Depuis la nuit des temps les fées embrument les certitudes des hommes, preuve que leur enchantement dépasse les volutes de notre simple imagination : il n'y a pas de fumée sans fée… « L'Herbier des Fées », un ouvrage inoubliable que les jeunes lecteurs garderont vivace dans l'herbier de leurs souvenirs.

Marie-Aude GRIMONT

Benjamin Lacombe, Sébastien Perez, L'Herbier des Fées, Albin Michel jeunesse 2011, 68p., 28,40 euros. A partir de 10 ans.

Disponible sur iPhone, iPad et iPod touch

Catégorie : Fiction pour enfants

Éditeur : Albin Michel

Taille : 85 pages

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6,99 euros

Le site de référence de L'Herbier des Fées : (voir le site)

Le blog de Benjamin Lacombe : (voir le site)

Le blog de Sébastien Perez : (voir le site)