Monsieur le Président de la République,
C'est avec beaucoup d'émotion que nous évoquons l'assassinat commandité de trois militantes kurdes dont l'une, Fidan Dogan (Rojbin), une amie très proche, était connue de vous. Les mots nous manquent pour exprimer notre chagrin et notre colère.
Rojbin était une véritable ambassadrice des Kurdes et un relais utile auprès de tout le mouvement associatif, de la presse, des personnalités politiques et des cabinets ministériels. C'est sans doute l'un des motifs de ce meurtre : il fallait faire taire cette voix qu'on pouvait difficilement taxer de «terroriste».
Les Kurdes et les amis des Kurdes ont été sensibles à l'attention que vous avez portée ainsi qu'à celle de M. le Ministre de l'Intérieur qui s'est rendu dès les premières heures sur les lieux du drame qui, rappelons-le, s'est déroulé à Paris, dans notre pays à qui, c'est un comble, la Turquie demande des explications.
Dois-je rappeler ici que des milliers de responsables et militants politiques et d'élus locaux, qui pour la plupart sont membres du BDP, (Parti pour la Paix et la Démocratie), parti membre de la l'Internationale socialiste (IS) et du Parti socialiste européen (PSE), sont enfermés, certaines et certains depuis près de 4 ans, dans les geôles turques, au motif qu'ils seraient membres d'une organisation terroriste ? Voilà pourquoi un Premier ministre turc se permet de vous insulter en vous accusant d'être «en relation avec ces terroristes».
D'un autre côté, nous ne comprenons pas la complaisance affichée entre les ministres des Affaires étrangères des deux pays quand il s'agit de «lutter contre le terrorisme», expression qui consiste, en l'espèce, à poursuivre tout opposant politique comme c'est déjà le cas en Turquie devant des tribunaux, dans le cadre d'une parodie de justice, et ce, au vu et au su de tous les observateurs attentifs du monde entier.
Nous avons, en effet, appris avec stupeur que l'accord signé le 7 octobre 2011, à Ankara, par Claude Guéant et Idris Naim Sahin, ministres de l'intérieur de leur pays respectif, «Accord de coopération dans le domaine de la sécurité intérieure entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Turquie» avait été repris sans modification par votre gouvernement et approuvé le 1er aout 2012 en conseil des ministres. Il est à souligner qu'aucune définition juridique ne précise le mot «terrorisme», ce qui permet de faire l'amalgame entre lutte politique, lutte armée et actes terroristes.
Cet accord de coopération policière est, dans le contexte d'aujourd'hui, des plus inquiétants car il permettra à la police turque de pourchasser des militants kurdes, comme aurait pu l'être Fidan Dogan (Rojbin) que M. Erdogan accuse d'être une 'terroriste", et des centaines d'autres réfugiés en France qui pourront même, si l'accord était finalisé par le Parlement, être extradés vers la Turquie.
C'est pourquoi, Monsieur le Président de la République, nous vous demandons très respectueusement de dénoncer cet accord avec un pays qui ne respecte pas les droits de l'homme et qui ne veut reconnaître ni les droits culturels, ni les droits politiques pour lesquels le peuple kurde se bat légitimement depuis plus de trente ans.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président de la République, à l'expression de notre très haute considération.
André Métayer
Président des Amitiés kurdes de Bretagne
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