Rennes et Nantes : jouer ensemble sans coopérer pour l'aéroport de Notre-Dame ?

Chronique publié le 26/12/12 14:20 dans Economie par Christian Rogel pour ABP
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Rennes s'interroge

En 2009, Michel Carrard est devenu docteur de l'Université de Haute-Bretagne - Rennes II pour un travail de 287 pages intitulé : «L'impact de l'aéroport Notre-Dame-des-Landes sur le devenir des relations entre Nantes et Rennes : étude prospective à l'aide de la [[théorie de jeux]] ».

Cette thèse d' « Aménagement de l'espace-Urbanisme » a été rédigée à la demande des élus de Rennes dans le cadre du laboratoire du CNRS Rennes, Espace et Société (RESO) sous la direction de Guy Baudelle.

Questionner l'opportunité du projet n'était pas dans la feuille de route, mais le débat public (2003) et l'enquête publique (2007) ont été pris en compte. Pour le côté Nantes, voir (voir notre article).

Parmi les membres du jury figurait Jean Ollivro, professeur rennais de géographie et d'aménagement du territoire, bien connu pour ses travaux de prospective concernant la Bretagne à cinq départements.

Le rapporteur était Christian Schmidt, professeur d'économie à Paris-Dauphine, un des spécialistes de la [[théorie des jeux]] qui est basée sur les mathématiques et la logique.

Il y a deux choses intéressantes à tirer de ce travail non destiné au grand public, bien que lisible sur l'Internet  (voir le site)  :

la vision propective des relations entre Nantes et Rennes, éventuellement dans le cadre de l'Espace métropolitain Loire-Bretagne (EMLB)

la nouvelle donne en matière de gestion des aéroports régionaux secondaires

Rennes trop proche de Nantes

L'auteur explore donc le fait que les métropoles de Rennes et de Nantes, qui sont nécessairement en concurrence, ont accepté d'avoir un aéroport international de niveau A commun situé à Notre-Dame-des-Landes.

Il remarque que le président de la commission du débat public (2003) a souligné une ambiguité : Notre-Dame-des-Landes sera-t-il « l'aéroport du Grand-Ouest » (sous-entendu ayant un monopole comme aéroport de niveau régional, les autres étant déclassés) ou « le plus grand aéroport du Grand-Ouest », donc pouvant conserver des concurrents mineurs à Rennes, Dinard, Quimper, Lorient, Angers et Brest.

Autrement dit, selon les positionnements des responsables, le projet peut être fédérateur ou (r)allumer la concurrence.

On verra que cette ambiguité peut expliquer certains arguments apparus dans le débat actuel.

Rennes a bénéficié d'une position favorable à l'administration, parce que située entre Paris et Brest, tandis que Nantes a bâti sa fortune sur un espace économique ouvert sur la mer et bien relié à l'intérieur.

Selon l'auteur, après s'être battues l'une contre l'autre, elles ne peuvent plus s'ignorer, car elles sont trop proches (100 km) et qu'aucune ne peut prétendre être la métropole unique et incontestable de la zone.

La solution peut résider dans une coopération forcée, car, des villes peuvent « tirer vers le haut chaque système, à plusieurs, jusqu'à un horizon qu'aucune des villes ne pourrait espérer atteindre et assumer seule » (Baudelle, Buléon, 1999, cité par M. Carrard).

L'objectif pourrait être de créer un aéroport de niveau européen, pouvant même accueillir des vols intercontinentaux, comme à Barcelone ou à Naples.

5 villes + 1 État = EMLB

La Direction de l'Aménagement des Territoires et de l'aménagement régional (DATAR) a lancé en 2006 un appel à coopération entre les villes importantes et pour l'Ouest de la France, cela concerne Angers, Brest, Nantes-Saint-Nazaire et Rennes, réunis dans une coordination appelée Espace métropolitain Loire-Bretagne (EMLB).

Au-delà du mécano technocratique improbable, on peut y voir une tentative de l'État, à la fois de donner corps à une politique des territoires, jusqu'à présent introuvable, de garder la main sur certaines orientations et certains projets et, peut-être aussi, de justifier le rôle contesté de son administration centrale.

Dans le contrat de l'EMLB, au titre de l'accessibilité et du développement touristique, on trouve deux projets de coopération métropolitaine : l'aéroport du Grand Ouest et la ligne à grande vitesse Nantes-Rennes.

Selon une étude de 2003, les aéroports des deux villes occupent une place modeste en Europe : 54ème et « un potentiel européen » pour Nantes et 63ème pour Rennes, qui n'a qu'une « vocation nationale affirmée ».

La réforme des aéroports, achevée en 2007, a pour effet de les doter d'une personne morale et d'ouvrir la voie à la coopération entre les aéroports qui n'existe pas en France.

Aujourd'hui, la gestion des aéroports est confiée par des d'appels d'offres ouverts aussi bien aux organismes publics comme les chambres de commerce de d'industrie qu'aux sociétés privées.

Après avoir été la propriété de l'État, ils appartiennent maintenant aux régions administratives (à la communauté d'agglomération pour Angers, Morlaix et Vannes et à un syndicat mixte pour Lannion).

Sous la coupe des compagnies aériennes

Depuis une douzaine d'années, les compagnies aériennes sont devenues maîtresses du jeu exigeant de payer le moins possible de redevances aux aéroports, les compagnies low cost cherchant même à se faire rémunérer pour créer des lignes.

Pour compenser, les aéroports développent les espaces commerciaux et Nantes-Atlantique tire, déjà, 55 % de ses recettes d'activités qui ne sont pas liées à l'aéronautique.

L'auteur montre que la création de hubs ou réseaux en étoile permet aux compagnies aériennes de faire de grosses économies.

Air France a choisi Roissy et Lyon, mais, certaines compagnies low cost peuvent choisir des métropoles régionales, comme Marseille.

De la compétition à la la coopétition

Comme les élus rennais ont pris conscience de l'impossibilité de hisser leur aéroport au niveau de celui de Nantes (Rennes-Saint-Jacques n'a que 450 000 passagers annuels), ils peuvent être amenés à entrer dans un jeu qui n'a pas besoin d'être fondé sur la coopération.

Michel Carrard, dans une partie très technique avec force graphiques et formules mathématiques, montre qu'on peut appliquer la [[théorie des jeux]] aux relations concurrentielles des villes et des territoires.

Un jeu peut être coopératif ou non coopératif et que, même dans ce dernier cas, le joueur le plus faible peut obtenir des gains, pourvu qu'il établisse une relation de confiance.

Il peut exister une relation de « coopétition », autrement dit de coopération qui n'exclut pas la concurrence sur certains points.

Dans ce cas, Michel Carrard indique que l'ensemble des aéroports, dans une zone aéroportuaire du grand Ouest emmenée par Nantes et Rennes, pourraient survivre en se spécialisant dans le low cost.

Le fait que Vinci Airports, ce que ne pouvait pas savoir Michel Carrard, soit le gestionnaire de Nantes-Atlantique, Rennes, Quimper et Dinard et, maintenant, l'aménageur du futur aéroport permet de laisser ouvertes toutes les questions.

Des fermetures d'aéroports pourront se produire ou, à l'inverse, il y aura un jeu entre Vinci et les villes pour maintenir dans chacune un service minimum, les lignes à longues distances vers l'Europe centrale et l'Asie étant concentrées à Nantes-Notre-Dame.

Avenir flou et jeux multiples = contestation

En conclusion, Michel Carrard indique, avec prudence, que si Brest, aéroport « neutre » coopérait avec Nantes-Notre-Dame, il pourrait obtenir des bénéfices importants et alors que Rennes, trop proche, ne pourrait que coopérer et y gagnerait, surtout s'il négociait avec Nantes, qui, lui, y gagnerait la paix, au prix d'un gain moins important.

Un aéroport qui monopoliserait la croissance pourrait aussi accentuer le déséquilibre Est-Ouest de la Bretagne.

Ce sont ces incertitudes qui alimentent les discours des opposants à la construction, et on comprend la demande de clairement situer les enjeux d'un investissement majeur.

Les élus et leur sous-traitant, Vinci, payent ce flou par une mise en accusation pour une prospective incertaine (desserte, par exemple) et pour une prétendue corruption, mais, peuvent-ils vraiment éclairer un paysage qui leur échappe en partie ?

Se réunifier comme on s'allie au Monopoly?

Au lendemain des attentats de New-York, au moment où le projet a été redéfini, on prévoyait une baisse du trafic aérien, du fait des craintes des passagers.

Tandis que l'IATA, une sorte de syndicat de 240 compagnies aériennes, prévoit une hausse du trafic de 4,5 % pour 2013, le prix du pétrole reste haut, malgré la baisse actuelle de la consommation, et les compagnies à bas coût sont devenues nomades, cherchant la ville la plus offrante.

Finalement, au Monopoly du transport aérien, les décideurs locaux doivent jouer à plusieurs sur plusieurs tableaux, sans certitude de faire fructifier leur mise.

Pour Rennes, soutenir Notre-Dame des Landes peut avoir du sens, au risque d'avoir à assumer l'affaiblissement de sa plate-forme pour en gagner une plus moderne et mieux desservie.

Si le destin de Rennes entraîne de coopérer avec Nantes, par nécessité plus que par conviction, cela peut-il être vu comme une sorte de réunification rampante ?

Notes :

Selon M. Carrard, la réglementation française limite les décollages et atterrissages à 70 mouvements d'avion à l'heure, ce qui a un lien avec les 9 millions de passagers définis comme la saturation de Notre-Dame des Landes.

En 2003, les experts la situaient entre 80 000 et 100 000 mouvements d'avions/an avec 60 passagers par avion (± 250/jour).

Le Monopoly, édité par Hasbro, est un jeu de société dans lequel les participants, par principe concurrents, peuvent parfois s'allier, sans le dire, à un autre pour éliminer ceux qui n'ont pas pu assez investir.


Vos commentaires :
Jeudi 2 mai 2024
@ Louis Le Bars
Est-ce que les 2 heures minimum depuis le centre de Rennes (où ils n'habitent pas) pour atteindre Roissy vont satisfaire les cadres d'entreprise? Certains des avions qui les intéressent seront partis depuis longtemps (à 8 h, par ex.) ou bien ils devront arriver la veille.

Il faudrait que Rennes soit à moins d'une heure de train pour déplacer la totalité de la clientèle régulière. Celle-ci prendra l'avion à Rennes, s'il existe encore et se déporterait à moins d'une heure au Sud, si NDDL captait des lignes intra-européennes ou méditerranéennes.
Ceci pour seulement sous-titrer le discours des responsables économiques.
C'est un pari, qui n'est pas gagné d'avance, mais, pas plus stupide que d'autres qui ont été faits pendant la déprime du transport aérien de 2001-2003.

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