Le jeudi 18 octobre a été ici publié un texte de Michel Treguer interrogeant le bien-fondé de mes publications depuis 2009, ainsi que celui de l'« université populaire » mise en place cet automne 2012 avec «BreizhImPacte». Comme Michel Treguer le précise dans son texte, celui-ci n'est pas « une attaque » : il n'a donc pas de « visée particulière ». Il développe un certain nombre de considérations qui méritent des réponses détaillées (ce à quoi je m'emploie ci-dessous) et publiques (puisque le texte de Michel Treguer est public).
Tout d'abord, et c'est sur cette réponse que je serai le plus long, en ce qui concerne la notion de « point de vue breton », il n'y a rien là qui doive choquer l'honnête lecteur. Ne confondons pas « proposition de point de vue » et « imposition de point de vue ». Libre à chacun, en Bretagne comme ailleurs, de disposer du « point de vue breton sur Descartes », ou de s'y référer, comme il l'entend. Ce « point de vue » n'est pas « partisan ». Il n'a pas la prétention de parler « au nom de tous les Bretons ». Il ne défend pas non plus « une vision de la Bretagne ».
Concernant le « dossier Descartes », le « point de vue breton » consiste à considérer un contexte en particulier (la Bretagne au 17e siècle) et le fait que Descartes y soit devenu philosophe. Ce qui ne peut qu'intéresser les philosophes (on ne devient pas philosophe « par hasard »), les historiens (il n'y a pas que des « faits » en histoire, mais aussi des « idées »), les Bretons (qu'est-ce que « la Bretagne » pour Descartes ?), ainsi que toute personne s'intéressant, de près ou de loin, au célèbre « héros philosophique » (selon la formule du philosophe allemand Hegel).
Concernant la question de savoir s'il faut parler « du » ou « d'un » point de vue breton, on remarquera que la notion désigne initialement une collection d'ouvrages. Autrement dit, il s'agit de « ce qui peut être affirmé sur tel ou tel sujet (en l'occurrence : des philosophes) depuis une perspective qui se veut bretonne ». L'article « le » désignant simplement « l'ensemble de ce qui peut être affirmé sur les philosophes en question ». Un lecteur basque, alsacien, chinois ou américain peut tout aussi bien parler du « point de vue breton » entendu en ce sens.
Précisons en outre, afin d'éviter là aussi tout malentendu, que ce n'est pas le fait « que Descartes aurait pu, ou non, naître en Bretagne », « qu'il ait pu, ou non, se considérer comme Breton » ou « qu'il ait pu, ou non, revendiquer la Bretagne » qui intéresse « le point de vue breton », mais, encore une fois, le seul fait de savoir « comment il est devenu philosophe en Bretagne ». En d'autres termes, comment le contexte breton de l'époque a pu, non pas « influencer sa pensée », mais l'amener à réfléchir (comme il ne l'aurait sans doute pas fait dans un autre contexte).
Remarquons également que la notion de « point de vue breton », en soi utile et féconde, n'est pas « mon invention » et est plutôt empruntée à Jean Pierre Le Mat qui, le premier, l'a utilisée avec pertinence dans son Histoire de Bretagne, du point de vue breton en 2006. De même, la notion d'un « Descartes Breton » n'est pas davantage « mon invention ». On parle là de ce qu'ont écrit des intellectuels parisiens entre 1820 et 1840 alors que la « nation française » était encore à bâtir sur « l'héritage napoléonien ». Il s'agit en l'occurrence, pour les intellectuels en question, de Victor Cousin (1792-1867), Jules Michelet (1798-1874), Charles Renouvier (1815-1903) et Barthélémy Saint-Hilaire (1805-1895). Cette question d'un « Descartes Breton » a été remise à l'ordre du jour par Gilles-Martin Chauffier dans son Roman de la Bretagne (2008).
Mon premier livre, Descartes, Breton ? (2009), ne tend pas à « reprendre ce qui a pu être écrit au 19e siècle », mais à se demander si cela peut être « réaffirmé » d'un point de vue « breton » ou « d'un point de vue de Breton ». Car on accordera que le « Descartes Breton » du 19e siècle est parisien : il n'est pas à l'honneur de la Bretagne et il sert plutôt à « valoriser la nation française » (qui, dans le même temps, refusait de rendre hommage au philosophe en lui accordant ne serait-ce qu'une sépulture décente ou sa reconnaissance au Panthéon, comme c'était là le projet initial sous la Révolution).
Ajoutons, pour terminer cette première réponse, que la notion de « point de vue breton » n'est pas une « donnée de l'histoire », ni une « reconstruction a posteriori de l'histoire ». Un point de vue apporte « un éclairage » et, en ce sens, est toujours à « constituer ». Mes ouvrages sont une contribution en ce sens et ne prétendent pas « avoir le dernier mot », ou « empêcher quiconque de penser par lui-même ». Au contraire : ils y invitent ! Michel Treguer a raison en ce sens d'user de ce droit de penser par soi-même, mais il ne peut non plus se le réserver à lui seul. Chacun en bénéficie et c'est bien là le message essentiel de Descartes (qui, en maintes occasions, avoue « ne pas comprendre certaines objections de ses lecteurs », si celles-ci leur sont surtout destinées à eux, et non à lui). Autrement dit : nous nous faisons aussi penser les uns les autres ! Et c'est là un autre message de Descartes, à savoir que « si l'on doit bien penser par soi-même », ce n'est pas pour autant que l'on doive le faire seul !
Ensuite, deuxième réponse, qui sera plus brève que la première, point de « certitude » ou de « conviction » dans l'usage des italiques ! La fonction des italiques est d'attirer l'attention du lecteur sur un élément important d'un texte qui mériterait plusieurs phrases pour être développé comme il se doit, et qui ne peut bénéficier de ce traitement du fait de limites imparties (page, chapitre, ou volume de l'ouvrage ; les notes de bas de page servant quant à elles aux références ou à de succins commentaires). L'usage des italiques est donc, pour le lecteur, une invitation à penser par lui-même. Car un auteur ne peut « tout dire » : son approche, partielle, nécessite forcément celle du lecteur. C'est même là tout « l'art de la lecture », si un « livre » est toujours « la rencontre d'un auteur et d'un lecteur ».
Descartes lui-même use d'italiques et invite son lecteur, plus qu'à « réfléchir » ce qu'il lui avance, à le méditer, c'est-à-dire à le prendre en considération pour lui-même. Rappelons en ce sens qu'un livre, et a fortiori un livre de philosophie, délivre moins « un savoir », ou « un contenu de pensée », qu'une « aide », un « moyen », voire une « occasion » pour le lecteur de développer sa propre pensée. En ce sens, un livre est non seulement « une rencontre », mais aussi (et toujours) pour le lecteur l'occasion de penser par lui-même. On se rapportera en ce sens, et utilement, à l'excellent ouvrage de Danièle Pontrémoli paru au printemps cette année (et qui consacre un chapitre entier à Descartes) : Pourquoi lit-on des livres de philosophie ? (Editions Jérôme Millon, « Krisis », 2012). J'en cite ici les pages 163-164 :
« L'originalité de la démarche philosophique tient à ce renvoi du questionneur à lui-même avant qu'il ne se lance au-delà de lui-même (...).Relation d'un lecteur à un auteur, elle fait admettre l'existence comme exposée à l'interrogation (...). La littérature philosophique n'est pas élitiste, elle est confidentielle (...). Les auteurs (...) n'ont sur leurs lecteurs que l'avance de recherches antérieures. Leurs livres épargnent une partie de la peine (...). Ce que l'on doit à cette littérature est inestimable. Elle éveille le lecteur à la singularité de sa propre existence sans lui en révéler la finalité mais en le libérant de toutes sortes d'influences ».
Troisième réponse à Michel Treguer : en aucun cas, Spinoza ne saurait être dit « Breton » ! Nulle part dans mes ouvrages, on ne trouvera pareille formulation. « Le point de vue breton » sur la vie et l'œuvre de Spinoza consiste à prendre en compte le fait que le philosophe affirme avoir lu Descartes « avec le plus grand sérieux » et le fait qu'il connaissait l'existence de la Bretagne par l'intermédiaire de ses parents et grands-parents (qui y ont vécu). En outre, les liens de Spinoza à la Bretagne ne sont pas que familiaux et intellectuels : ils sont aussi culturels, ainsi qu'en témoignent ses relations avec Fransiscus Van den Enden (1602-1674) et Louis de Rohan (1635-1674).
Concernant les derniers points soulevés par le texte de Michel Treguer (que je rassemble ici, faute de temps et d'espace, en une seule et même « quatrième et provisoire réponse »), ils sont d'ordre philosophique et même techniquement philosophiques. C'est donc en « technicien de la philosophie » que j'y réponds.
Pour ce qui est tout d'abord de l'opposition de Hobbes (1588-1679) à Descartes (à laquelle fait explicitement référence Michel Treguer dans son texte), celle-ci est bien connue en philosophie. Dans sa seconde Objection à la Seconde Méditation (sur « la nature de l'esprit humain »), Hobbes refuse à Descartes la pertinence du « je pense, donc je suis », avançant que l'on peut tout aussi bien affirmer : « je suis promenant, donc je suis une promenade ». Descartes ne comprend pas le sens de cette objection, et même s'il en perçoit la teneur (Hobbes lui refuse l'identification de la « pensée » et de « l'action »), il n'en voit pas la pertinence, et encore moins « où Hobbes souhaite en venir ».
Il faut s'entendre sur ladite « querelle » entre Hobbes et Descartes, et cela, d'un point de vue strictement historiographique. Hobbes reproche à Descartes de passer de « je suis pensant » à « je suis pensée ». Or, ce n'est pas ce qu'écrit Descartes et ce n'est pas non plus ce qu'il souhaite faire entendre à son lecteur. Descartes met plutôt en évidence que le fait « que je pense » est révélateur du fait « que je suis », et en un tout autre sens que le fait « que je marche » ou « que je me promène ». Descartes souhaite ainsi faire apparaître dans « le fait de penser », l'attention de l'esprit (qui n'est bien évidemment pas aussi « évidente » dans « le fait de marcher » ou « de se promener »). Remarquons également à ce propos la différence entre la langue anglaise, qui est celle qu'utilise Hobbes et qui dispose de deux termes pour dire « l'esprit » (« spirit » et « mind »), et la langue française, qui est celle choisie par Descartes et qui ne dispose que d'un seul terme (« esprit »). Hobbes passe outre cette différence.
Aussi, suite à l'étrange objection de Hobbes, Descartes demande à son ami Mersenne, dans une lettre datée du 4 mars 1641, « de ne plus avoir de contact avec lui ». Ce qui est intéressant est que Descartes attribue à ce moment-là une nationalité à Hobbes (il le qualifie d'« Anglais » et non de « Britannique »). Citons Descartes dans sa lettre de 1641 : « Au reste, ayant lu à loisir le dernier écrit de l'Anglois, (...) je me trompe fort, si ce n'est un homme qui cherche d'acquérir de la réputation à mes dépens, et par de mauvaises pratiques ». Descartes continue sa lettre ainsi : « Je ne crois pas devoir jamais plus répondre à ce que vous me pourriez envoyer de cet homme (...). Et je ne me laisse nullement flatter par les louanges que vous me mandez qu'il me donne ; car je connais qu'il n'en use que pour faire mieux croire qu'il a raison (...) et me calomnie ».
On ne peut se prononcer sur le fait de savoir ce que Hobbes connaissait ou non de Descartes (en l'occurrence son lien à la Bretagne), ni sur le fait de savoir si Descartes s'est un jour ou non rendu à Londres (comme certains historiens le pensent). Ce qui est certain est que Hobbes est pour Descartes un penseur « anglais » et non « britannique ». Ce qui ne peut qu'intéresser les historiens et les philosophes, car Hobbes cherche à construire à l'époque « l'Angleterre » et non « le Royaume-Uni de Grande-Bretagne ». Autrement dit, Hobbes n'a guère de considérations pour les Irlandais, les Ecossais et les Gallois qui, en toute « logique », n'ont, selon lui, « qu'à se soumettre à Londres ».
Rappelons utilement ici que Hobbes est l'auteur du Léviathan (un ouvrage publié en 1651, soit un an après le décès de Descartes). Ce livre demeure une référence en ce que Hobbes y décrit « la nécessité d'un Etat fort pour lequel les individus doivent se priver de l'exercice de leur liberté ». La conception de Locke (1632-1704) sera sensiblement différente de celle de Hobbes, à savoir que les individus ne se défont pas de leur liberté sans un « consentement tacite » leur permettant en fait, et à tout moment, de se défaire de « la suprématie de l'Etat » (chose inconcevable dans l'univers de Hobbes et que les indépendantistes américains de 1776 sauront lire avec attention dans le texte de Locke).
Hobbes défend donc « un Etat fort » (en l'occurrence « anglais ») se nourrissant de la liberté de ses citoyens (en l'occurrence les Irlandais, les Ecossais, les Gallois). Il en fait « un monstre » similaire à la bête biblique du « Léviathan ». Une vision qui lui est inspirée par son relativisme, son matérialisme et son pessimisme envers la nature humaine. Car, contrairement à Descartes (et à ses lecteurs que sont Berkeley, Hume et Locke), Hobbes ne croit guère en l'esprit humain et en ses capacités. Pour lui, les êtres humains sont tous « semblables » au sens où ils ont tous « les mêmes corps » (formés « d'une tête, de deux bras et de deux jambes ») : nulle « distinction d'esprit » à opérer entre eux !
Hobbes est aussi connu pour avoir repris à son compte la célèbre formule du poète latin Plaute selon laquelle « l'homme est un loup pour l'homme ». Autrement dit : « une menace permanente contre laquelle seul un Etat fort peut le protéger ». Une formule à laquelle Spinoza répond par la phrase de Sénèque : « l'homme est un dieu pour l'homme ». Autrement dit : une occasion d'exercer son esprit. On remarquera, là aussi, que les indépendantistes américains préférèrent le texte de Locke à celui de Hobbes.
En ce qui concerne la polémique des « animaux-machines », que rappelle Michel Treguer dans son texte, de nombreux contre-sens sont à éviter ! Hobbes reproche à Descartes « de défaire l'animal de toute sensibilité et de toute affectivité ». Mais comme pour « le dualisme de l'âme et du corps » et ladite « maîtrise de la nature » (dont on continue injustement d'accabler Descartes), il s'agit là d'un faux débat. Descartes prend l'animal comme exemple pour montrer ce qui fait, selon lui, la spécificité de l'esprit humain : en l'occurrence la capacité à « réfléchir », c'est-à-dire à « faire « retour sur sa propre expérience ».
Concernant « l'existence de Dieu », sur laquelle insiste également Michel Treguer, il est extrêmement difficile de se prononcer au 21e siècle sur des questions qui ont été formulées au moyen d'un vocabulaire datant du 17e siècle. Autrement dit, on ne peut faire abstraction du contexte culturel de l'époque. En outre, il faut avoir pratiqué la recherche philosophique des années 1990-2000 pour savoir que les intellectuels n'ont désormais plus le complexe « positiviste » du 20e siècle eu égard aux questions « théologiques » (on s'intéresse désormais à la modernité occidentale comme on s'intéresse à la mythologie grecque : ce n'est pas parce que l'on ne croit plus en leurs « dieux » que ceux-là « n'ont rien à nous apprendre », et des Grecs, et de nous qui nous y intéressons).
Pensons un instant à ces pionniers en la matière que sont Broughton avec son Descartes' Method of Doubt (2002), Machamer et McGuire avec Descartes' Changing Mind (2009) et Carriero avec son Descartes : Between Two Worlds (2009), sans oublier l'excellent Cambridge Companion to Descartes (2008). Pensons aussi, en France, au jeune philosophe lyonnais Thibaut Gress (désormais chercheur au CNRS) qui a bouleversé 150 ans de tradition intellectuelle française en l'espace de deux ans avec Apprendre à philosopher avec Descartes (2010) et Descartes et la précarité du monde (2012). Thibaut Gress s'inscrit dans le sillage de A Secular Age (2007) du Canadien Charles Taylor et de The Theological Origins of Modernity (2008) de l'Américain Michael Allen Gillespie. Mentionnons également l'important retour de la métaphysique dans la philosophie contemporaine (qui se fait sentir jusqu'à Paris avec la nomination en 2011, au Collège de France, de la philosophe Claudine Tiercelin, originaire de Brest).
Aussi, toujours dans le souci d'informer ici le lecteur pour qu'il puisse « penser par lui-même » et « se forger sa propre opinion », remarquons que le texte de Michel Treguer comporte quelques approximations concernant Descartes qu'il est nécessaire de corriger (et que j'ai pourtant pris la peine de corriger dans mes ouvrages). Tout d'abord, Descartes n'est pas né « en Anjou », mais dans le village de La Haye (renommé « La Haye- Descartes » au 19e siècle et « Descartes » au 20e siècle) : celui-ci est situé à la frontière entre le Poitou et la Touraine. Ensuite, la mention de la langue bretonne dans le Discours de la Méthode n'est pas une « preuve » de la « bretonnitude » de Descartes (« être Breton » n'est-il d'ailleurs « qu'une question d'attitude » ?), mais fonctionne sur le mode symbolique de la « clé de lecture ». En effet, Descartes donne « un indice » à son lecteur pour que la réflexion de celui-ci n'en demeure pas qu'au seul « texte philosophique » et qu'elle puisse être étendue à d'autres considérations (par exemple culturelles). Il s'agit en l'occurrence d'attirer l'attention du lecteur sans « tout lui dire ». Quant à « l'examen de la culture bretonne », ce n'est pas le propos de mes ouvrages (qui, « philosophiques », n'ont pour seule « ressource » que des textes philosophiques).
Une quantité d'ouvrages existe sur la Matière de Bretagne, le Barzaz Breiz, Ossian et La Villemarqué, dont ceux, bien entendu, de Michel Treguer (que j'ai, pour ma part, lus). Le lecteur peut donc s'y rapporter et opérer lui-même les liens qui lui semblent nécessaires entre ces ouvrages et les miens. Quant à la nécessité qu'évoque Michel Treguer « d'examiner les modalités biologiques, psychologiques et linguistiques » du « droit de penser par soi-même », on remarquera que mes ouvrages, encore une fois, ne sont concernés que par la seule « philosophie » : leur « moteur » est la réflexion personnelle (« nourrie » aux seuls textes philosophiques).
Cette dernière considération (avant une « conclusion » qui s'impose à ma réponse, qui sera de toute façon trop courte, à Michel Treguer) me permet une transition sur la notion de « Bretagne ». J'utilise celle-ci dans mes livres à un niveau symbolique et non anthropologique, ethnologique ou sociologique. De quoi « la Bretagne », c'est-à-dire « l'ensemble des Bretons », est-elle le symbole pour Descartes, si ce n'est d'un « ensemble d'individus amenés à penser par eux-mêmes du fait des circonstances de l'histoire » ? Comme toujours en philosophie, il s'agit moins d'« expliquer » de quoi il est question dans un symbole que de l'interpréter et de le comprendre. Point d'« adoration », ni d'« idolâtrie » en ce sens : Descartes est moins à « admirer » qu'à imiter (comme il le formule lui-même : il s'agit moins de le « copier » que de faire « comme lui »).
Concernant « la science » (et ce sera sans doute là la conclusion de cette réponse), car Michel Treguer propose dans son texte « de faire le tri dans l'œuvre scientifique de Descartes », rappelons que Descartes est à la fois scientifique et philosophe. Et cela, à une époque où l'on dissocie encore à peine les deux disciplines. Ne jugeons donc pas sa science avec les critères de la nôtre. Ce contre quoi le philosophe Thomas Kuhn (1922-1996) nous a mis en garde dans les années 1960. La science « évolue » quand la philosophie « réfléchit ». De nombreux scientifiques, dont parmi eux Albert Einstein, ont considéré au 20e siècle « que l'on ne peut faire de science sans philosophie ». Aussi, si « la science » de Descartes a bien évidemment vécu, sa philosophie n'en demeure pas moins pertinente (l'histoire des idées ne s'est pas encore débarrassée de lui : elle le compte encore entre Platon et Kant...).
Quant à ce qui doit être « retenu » de la philosophie de Descartes, cela dépend d'une vision d'ensemble et non d'une considération au détriment d'une autre. L'« Université populaire » doit bien permettre cela, si la finalité de celle-ci n'est pas de « proposer une nouvelle lecture de Descartes », ni même « une nouvelle philosophie », mais de permettre aux Bretons un autre accès à Descartes et donc, par là, de penser par eux-mêmes sans « le complexe français ».
Pour finir provisoirement ici (car on ne finit jamais vraiment et parce qu'il ne s'agit pas non plus « d'avoir le dernier mot »), il ne saurait y avoir de « dispute » au sujet de Descartes, car il ne s'agit pas de trancher publiquement sur la question : celle-ci regarde chacun et, en particulier en Bretagne, chaque Breton. Et si « la Bretagne » est « l'ensemble des Bretons », alors c'est aussi l'ensemble des Bretons qui est concerné par cette question. Tout dernier point : je m'inspire dans mes ouvrages du logicien Ludwig Wittgenstein (1889-1951) pour lequel « philosopher » consiste à « considérer à nouveaux frais des choses qui semblent déjà connues » et qui, « trop connues », ne le sont en fait pas assez (parce que, comme l'écrit Descartes, on n'y fait plus attention). Le point de vue breton concernant le « dossier Descartes » consiste déjà à permettre de nouveau cette « attention » !
Simon Alain
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