Décès de l'éditeur Jean-Paul Rocher

Communiqué de presse publié le 11/09/12 18:08 dans Cultures par Marie-Josée Christien pour Marie-Josée Christien
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Jean-Paul Rocher au milieu du public au Café-Librairie l'Autre Rive à Berrien en juin 2009 lors de la présentation du Combat Libertaire d'Armand Robin.

L'éditeur Jean-Paul Rocher est mort le 8 septembre. Il était l'éditeur du Combat Libertaire d'Armand Robin et de la plupart des ouvrages de Claire Fourier. Il était venu à Berrien en 2009 présenter le Combat Libertaire de Robin lors de sa parution au café-Librairie L'Autre Rive.

Ses obsèques auront lieu jeudi 13 à 15H45 au Père Lachaise à 15h45.

Nous donnons à lire ci-dessous l'hommage émouvant qui est rendu à l'ami et l'éditeur par Claire Fourier.

Jean-Paul Rocher, un homme et un éditeur très à part

Jean-Paul Rocher me demandait il y a peu : « Qui t'a impressionnée dans la vie ? » Spontanément j'avais répondu : « Toi. »

C'est un homme qui fonctionnait sur de puissantes intuitions. Un homme ingérable et qui gérait donc seul sa maison d'édition. Sa force reposait sur une « terrible » simplicité. Il sentait le monde et n'avait nul souci de le ménager : naturellement porté à ignorer les médiocres, trop à part pour s'insurger contre eux, il allait son chemin, à l'écart de la foire aux vanités. Éditeur anarchisant et pauvre, il a payé cher le refus du compromis et de s'incliner devant les exigences du marché du livre : il est resté peu connu du grand public, des libraires aussi, assumant le risque de négliger les médias. Il n'a jamais demandé aucune subvention : « Je ne vais pas réclamer une louche d'une soupe dans laquelle je crache ! » Personnalité hardie, généreuse.

Au vrai, ce ne sont pas les phrases qui l'intéressaient, mais la coulée de la vie à travers elles. Et la coulée de la vie, c'est l'encre, c'est le vin, c'est la qualité, c'est la poésie, — celle d'Armand Robin, le poète breton « réfractaire », celle de Walt Whitman… La démarche éditoriale de Jean-Paul Rocher ? Rappeler au lecteur comment des plaisirs ont, durant des siècles, accompagné le plus naturellement du monde la vie des hommes et des femmes avant que le « tout-social » ne les réduise à l'état de citoyens-consommateurs.

Ses choix éditoriaux étaient fondés sur le plaisir innocent qu'il y a à goûter dans la simplicité et la convivialité, les fruits d'une nature généreuse. Il désignait au lecteur une terre libre et heureuse, étrangère à la notion de faute, un ailleurs où il fait bon déguster en paix les saveurs maintenues du monde. Cet éditeur singulier, proche de Marcel Lapierre, le pape du beaujolais, et qui a réédité les textes fondamentaux et scientifiques du grand oenologue Jules Chauvet sur le vin naturel, a formé mes papilles, m'a enseigné la gastrosophie.

Ancien ami de Guy Debord, il riait des émules du maître : il avait dépassé tout ça. Ce n'est pas qu'il n'était pas là où on l'attendait : là où il était, c'est lui qui avait fixé le lieu et il nous attendait ; on l'y rejoignait ou non, c'était à prendre ou à laisser ; et parce qu'il en imposait, il donnait envie de le rejoindre dans son ailleurs, dans sa « cabane de la pensée ». Il a publié des textes de Louise Michel, de Patrick Mosconi, Claude Dubois et bien d'autres, réédité des ouvrages sur le lettrisme, etc. Il aimait publier des textes anciens oubliés, or d'une puissante actualité.

Pourquoi est-ce que je figure dans un catalogue qui n'est pas particulièrement littéraire ? Parce que l'écrivain et journaliste Pierre Sipriot, qui s'était pris d'affection paternelle pour lui et avait pour sa personne une grande estime, avait organisé notre rencontre et nous avait, en mourant, remis l'un à l'autre ; aussi parce que le regard que je porte sur le monde correspondait à sa démarche éditoriale. Nous avons marché l'amble quinze années durant.

Il fabriquait de beaux livres. Il avait commencé par travailler dans une librairie d'ancien. Son goût pour la belle matière lui en était resté. Beau papier, belle typographie, belle couverture, marges, rabats, tirages de tête, tout était soigné. Un livre devait être beau autant que bon.

Ce bon vivant était aussi un homme frugal, et cet homme tempétueux pouvait devenir le plus tendre de tous. Il venait d'un milieu pauvre. Il n'y a eu personne pour lui payer des études. Self-made man. Je lui ai demandé un jour : Qu'est-ce que tu aimes dans la vie ? Offrir, m'a-t-il répondu sans hésiter. C'est dire que cet homme qui n'avait pas un sou savait multiplier les pains. Il m'a offert sa puissante intelligence du monde. J'avoue que nul ne m'a influencée, éduquée, modelée autant que lui. Sa très riche compagnie a modifié et ennobli tous ceux qui l'ont fréquenté.

Doué d'une vision radicaliste, et communiquant par contagion son dédain de la pensée formatée, cet homme libre comme il en est peu prenait naturellement et sans effort (nul besoin de reprendre) toute chose à la base. Un seigneur. Et une sorte de Samson qui renversait, pour aller son chemin d'intelligence et de simplicité, les colonnes d'Hercule, jusqu'à ce que le cancer ne soit venu, un an après qu'il fut tombé malade, à l'âge de 62 ans, le priver de ses dernières forces le matin du 8 septembre.

Claire Fourier, un de ses auteurs, prix Bretagne 2012


Vos commentaires :
roselyne Fritel
Samedi 23 novembre 2024
chère claire Fourier, j'ai lu cet hommage avec émotion et voulais vous dire que je pense bien à vous suite à ce décès de votre grand ami et éditeur, triste nouvelle dont Jean Bescond m'a tenue informée. Bien cordialement Roselyne Fritel

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