Loïk Le Floch-Prigent a beaucoup réfléchi en prison, lorsqu'il y était pour de sombres affaires à l'occasion desquelles l'exécutif rose avait été forcément, sinon complice, au moins opportunément aveugle.
Rejeté par la société parisienne qui l'avait couvert d'honneurs, il s'est souvenu de la région du granit de même couleur que ses patrons politiques et dans laquelle il a passé son enfance, et de la commune de Trébeurden où est sa maison de famille, ainsi que de Lannion et de Guingamp, où il a fait les études qui le menèrent au sommet du pouvoir économique (haut fonctionnaire du Ministère de l'Industrie, Rhône-Poulenc, Elf-Aquitaine, SNCF).
Il vient de publier, avec un certain succès (une réédition est prévue par Coop Breizh), son premier roman policier, «Granit rosse», qui pourrait, sans exagération, être présenté comme une version enjouée, mais, subtilement arrangée, d'un «Cheval d'orgueil» qui aurait pour sujet une autre transition de la société bretonne, celle des années 60.
Trébeurden est une station balnéaire, dont les agriculteurs et les pêcheurs regardent toujours avec amusement les touristes, qui ont le mérite de ne faire que passer, mais, la pêche artisanale ou celle, coutumière, pratiquée par les anciens de la Marine, qu'elle soit militaire ou marchande, y vit alors ses derniers beaux jours.
Presque tous les habitants sont devenus bilingues, mais, le breton affleure dans les expressions, quand il n'alterne pas avec le français. Les jeunes vont travailler à la ville et les femmes veulent ressembler à celles des magazines.
Le personnage principal est une veuve dynamique de 60 ans qui tient un petit débit de boisson, enfumé et pleins d'odeurs, qui n'est là que pour les gens du cru et les «étrangers» ne s'y risqueraient pas, car, même les voisins de l'Île-Grande, en Pleumeur-Bodou, y sont tout juste tolérés, et, encore, pas tous.
Le crime, dont la victime est un pêcheur retraité de la Marine nationale, saisit d'effroi une communauté locale, dont les piliers intellectuels sont le recteur et le médecin (le maire est absent du tableau).
Par deux fois, le recteur de la paroisse prononce une homélie et notre auteur, élevé dans les meilleures écoles chrétiennes du cru, y déploie un grand art du pastiche, mais, cela dit l'essentiel : le chef de la paroisse est, à la fois, l'homme qui se préoccupe de la moralité et n'hésite pas à intervenir dans la vie des gens, mais, c'est, parfois, pour apporter des équilibres, de la consolation et pour l'apaisement des tensions. Louis Le Floc'h, longtemps recteur de Louannec, poète en breton et philosophe sous le pseudonyme de Maodez Glanndour, était l'oncle de L. Le Floch-Prigent.
Ernestine, sans chichis, mais pleine de logique, ne manque pas d'entregent et elle a dans sa manche pas moins que le patron de la police du département, originaire de Trébeurden, et celui-ci ne trouve pas mieux que d'envoyer un jeune inspecteur parisien qui va loger chez elle.
L'enquête est menée entre Trébeurdinais, et, quand le Parisien est amariné dans tous les sens du terme, on lui donne le coupable.
Dans la fable de Loïk Le Floc'h-Prigent, ce Parisien ne voit pas grand-chose, même quand c'est sous son nez et il ne sait pas toujours se taire au bon moment. Est-ce suffisant, pour se demander s'il 'y a pas quelques clefs inspirées par le faux roman, mais, vraie histoire sordide de l'affaire Elf ?
On pourrait s'amuser à voir dans cette Bretagne un peu exotique, une Afrique, où les solidarités priment souvent sur la rationalité économique.
Le petit trafic, dont il est question, reste mystérieux, comme le restera toujours le trafic de voitures militaires américaines, qu'on a cru pouvoir imputer à Pierre Quéméneur et à Guillaume Seznec. Le nom du premier est cité, à travers celui d'un personnage, le second est mentionné en clair.
Pour parfaire le tableau, un amiral manipule un tribunal militaire pour des raisons politiques.
Si ce n'est pas intentionnel, l'inconscient du Rastignac breton a sans doute parlé.
Le granit n'est jamais rosse, il se contente de supporter les minables intrigues du haut et du bas de la société.
Le livre sera trouvé plaisant et instructif par les témoins de cette époque et on peut supposer que, comme cela a été le cas du «Cheval d'orgueil», beaucoup, Bretons ou non, y reconnaîtront les règles parfois pesantes et parfois efficaces de la vie de leur communauté locale.
Christian Rogel
Notes
Loïk Le Floc'h-Prigent, né en 1943 à Brest, a été condamné à 5 ans de prison et à une amende de 375 000 € pour abus de biens sociaux et a été détenu 27 mois en 3 fois. Dans les entreprises qu'il a dirigées, l'État avait mandaté des hauts-fonctionnaires chargés de surveiller la gestion. Il exerce actuellement le métier de consultant pour l'Énergie.
Le «Cheval d'orgueil» est une autobiographie de Pierre-Jakez Hélias (1914-1995) qui décrit comment l'instruction obligatoire a transformé la société paysanne de Pouldreuzic (Finistère), entre les deux guerres.
Dernière heure : le 3 septembre 2012, dans la capitale du Togo, Lomé, un riche homme d'affaires de Dubaï est venu porter plainte pour escroquerie en mentionnant un ancien ministre Togolais qui a été arrêté et L. Le Floch-Prigent.
Le mandat d'arrêt international contre ce dernier émis par le Togo en 2011 , qui a travaillé avec le plaignant, a été réactivé. L'affaire semble, en partie, liée à la situation politique tendue au Togo.
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