Les Bretons, la mort, les obsèques : un sujet tabou ? Parlons-en
Plomelin/Ploveilh.- Suite du journal de campagne de J.C. Perazzi
Avec l'âge, l'accompagnement d'un parent, d'un ami, d'un voisin à sa dernière demeure, comme ont dit, devient un exercice quasi hebdomadaire. Et… presque obligatoire. Si l'on ne vous voit pas régulièrement à l'église, au crématorium ou au cimetière pour l'ultime adieu, vous n'échapperez pas à la remarque : « Celui-là, il n'est pas de souche. » Entendez par là : vous n'êtes pas intégré au village, au quartier. En d'autres termes, vous ne faites pas partie de la communauté où tout se dit, se sait, se partage. Enfin, presque.
Un verre au fossoyeur, au curé, aux chevaux…
Mais les obsèques, de nos jours, ne sont plus ce qu'elles étaient. Pensez à Brassens. Quand les héritiers étaient contents, « au fossoyeur, au curé, aux chevaux même ils payaient un verre. »
Vrai : si la cérémonie est belle, pas trop triste, ceux qui l'on suivie seront heureux dès son achèvement de partager un moment de convivialité.
Civile ou religieuse, elle peut aussi être sinistre ou simplement ennuyeuse. Tout dépendra de la manière dont elle a été conçue, en règle générale avec les proches du défunt. De son déroulement, aussi.
Plus d'une heure et demie d'office, l'autre jour, en Haute-Bretagne. Dans une belle église bien remplie. Des chants assez beaux, mais interprétés essentiellement sur le mode mineur. Des témoignages de parents et d'amis du défunt sûrement émouvants, mais inaudibles pour la majorité des assistants, en raison d'une sonorité défaillante. Des prises de paroles d'officiants heureux de pouvoir transmettre le message divin, dans un langage assez ésotérique quand même et d'un autre temps, aux croyants présents. Mais aussi… aux agnostiques et aux athées, pris en quelque sorte en otage. Le temps n'est plus, en effet, semble-t-il, où les incroyants mettaient un point d'honneur à rester sous le porche de nos églises durant le déroulement de l'office.
Tout cela, on l'aura deviné, ne pouvait que contribuer à donner aux participants à cet enterrement une sensation d'ennui.
Il aura fallu, en fin de cérémonie, l'intervention individuelle de trois musiciens et chanteurs bretons, amis du défunt pour faire passer sur celle-ci un souffle d'émotion collective, vraie.
Propos iconoclastes ? Point de vue suggestif ? Possible.
Requête
Il se dit qu'en Bretagne -ailleurs aussi- la mort et tout ce qui se passe autour sont des sujets tabous.
Raison de plus pour en parler. D'ailleurs, chez nous, Anatole Le Braz, Xavier Grall, Pierre-Jakez Hélias, Glenmor, Anjela Duval, Youenn Gwernig, et bien d'autres plumes et artistes de Bretagne ont su évoquer le sujet avec talent. Et sans faire systématiquement dans la sinistrose, le langage abscons.
Ainsi Xavier Grall, évoquant la disparition de son père (quatre-vingt-trois ans) dans une lettre à un ami : « Il est mort en paix, sereinement. Comme un bon ouvrier qui a bien fait son labeur (…) Mon père était un juste. Cette certitude essuie quelques-unes de nos larmes (…) Ma peine est silencieuses et profonde, mais il s'y mêle une sorte de joie de nature, je le crois, spirituelle. »
Obsèques civiles, obsèques religieuses : on ne s'y rend jamais comme à une fête.
Juste pour partager avec d'autres la peine qui est la nôtre.
La qualité de l'office peut contribuer à les rendre moins pénibles. Sereines. Apaisantes.
Est-ce trop demander à ceux qui la préparent, l'organisent, qu'il en soit toujours ainsi ?
Jean-Charles Perazzi
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