Les aventures du tram de Brest et du breton : petit journal de bord de Dewi Siberil

Insolites publié le 25/06/12 9:55 dans Langues de Bretagne par Fanny Chauffin pour ABP
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Voici le texte que Dewi a envoyé à la rédaction :

Langue bretonne dans le tram : déception(s) !

10 h 15, samedi matin. J'arrive sur la place de Strasbourg à Brest, pile à l'heure au rendez-vous fixé par le collectif Ai'ta ! Le ciel est bleu, il fait beau, la journée commence bien… Je rejoins rapidement la dizaine de militant-e-s qui attendent patiemment devant une rame du tram à l'arrêt.

Première déception : le panneau vertical de l'arrêt où nous nous trouvons présente la ligne du tram tout en français. Pas tout à fait, " Place de Strasbourg " a été sous-titré " Plasenn Strasbourg ". En maigre et en italique, cela va de soi. Au revers du panneau en question, le plan complet, 100 % en français. Notre inspection citoyenne commence mal ! En fait, l'ensemble de la station où nous nous trouvons est du même acabit : le grand plan, l'écran électronique où défilent les trams en provenance, le distributeur de titres (hors service pour l'instant, mais le message qui s'affiche n'est qu'en français). En m'approchant, je me rends compte que la borne de billets est quand même trilingue : BILLETERIE – Tickets – Bilhedoù ! Idem pour les autres indications. Fort heureusement, je n'ai pas oublié de mettre mes lentilles au réveil. A ce moment précis, nous ne savons pas trop sur quel pied danser : est-ce une plaisanterie de la part des élus brestois ? Ceux-ci ont toujours répondu que " la langue bretonne sera prise en compte dans le tram ". Leur promesse est donc tenue, ah ! ah ! ah !

11 h – Contre mauvaise fortune, bon cœur ! J'oublie un instant ma mauvaise humeur en voyant notre rame ouvrir ses portes pour nous accueillir. Y a pas à dire, c'est une belle bête ! Design et couleurs comme il faut, intérieur confortable, très propre et tout et tout. Je m'engouffre en compagnie de la foule brestoise, en me disant " Chic, là on va pas être déçus… Pour la première fois les annonces d'un transport en commun vont se faire en breton… Moment historique ! " Le chauffeur nous accueille poliment (en français), démarre un peu brusquement et nous voilà qui filons tout droit direction Jean Jaurès et Siam. Attention, premier arrêt… suspens… " Pilier Rouge " nous dit la voix grave pré-enregistrée. Et… ? Mann ebet, netra ! Bon, sûrement un oubli, ce sera pour la prochaine. " Octroi ". Ah… " Saint Martin ". A nos côtés, le journaliste d'Arvorig FM abandonne finalement son idée d'enregistrer les fameuses annonces en breton. Côté signalétique, au mieux c'est comme à l'extérieur (INTERDIT DE FUMER – No smoking area – Arabat butunat), au pire c'est tout en français. J'en ai assez vu, mes camarades aussi, terminus tout le monde descend en bas de Siam.

11 h 30 - Tiens donc, mais que voit-on là au milieu de la foule ? Le plateau de campagne de France 3 Ouest en train de donner du miel à François Cuillandre et Jean-Yves Le Drian pour une spéciale de " La voix est libre ". Par curiosité, allons-y ! Hopala mais pas si vite, malheureux que nous sommes : que n'avons-nous pas retiré nos t-shirts oranges ! Nous voilà marqués à la culotte par tout une équipe de gorilles qui nous lancent des regards patibulaires mais presque ! A peine avons-nous grimpé sur un parapet adjacent et exhibé un gwenn ha du dans l'angle des caméras que les voilà qui nous tombent dessus, nous intimant l'ordre de descendre immédiatement. Pas question ! Pendant ce temps-là, an aotrou Fañch [François Cuillandre] se lance des fleurs et rêve déjà tout haut à une deuxième ligne. Hasard chanceux, il quitte le plateau en passant juste devant nous, encadré de près par sa garde rapprochée. " Monsieur le Maire, et la place du breton dans le tram ? " Mais qui donc me parle ? a-t-il l'air de me répondre en s'éloignant à grands pas. Ultime déception !

" Quelles conclusions ? " me direz-vous. Je ne suis pas naïf. J'ai suivi avec Ai'ta ! depuis plus de deux ans le volet " langue bretonne " du tram. Je savais pertinemment qu'en dépit de notre activisme (pétition, courriers, multiples rendez-vous avec les élus et les responsables, actions de sensibilisation ou plus revendicatives…) nos demandes ne seraient que partiellement prises en compte. Nous avions même reçus plusieurs rapports de BMO sur le sujet, avec photos et commentaires à l'appui… Mais quand même, on est encore en deçà du peu qu'on attendait, et pour ma part je suis dégoûté. Que donc faut-il faire pour que nous soyons respectés, pour que notre langue soit respectée ??? Que les dirigeants parisiens de la SNCF ou La Poste s'en contrefiche du breton et refuse toute avancée, ça ne m'étonne pas. Mais là, des élus et des responsables locaux, qui ont tous l'égalité et la justice à la bouche, qu'est ce que ça peut leur foutre que le breton soit traité à parité pour une fois ? Ce n'est pas pour ce que ça coûterait, alors quoi ? Ca les rendrait malades ?!? Mais non, ils ont gâché une occasion unique de créer un outil moderne et exemplaire en la matière, alors qu'ils avaient toutes les cartes en main… La langue bretonne, ce trésor – notre trésor – a été bousillé par la République des Droits de l'Homme et ses larbins, et ça continue, on ne lui laissera pas une chance ! Et là je me dis que pour être respectés, les méthodes employées ne sont pas les bonnes… mais qui aura le courage d'aller plus loin dans la désobéissance civile, pour ne parler que de ça ?

Mais j'entends déjà les réactions " Ils sont jamais contents ! " ou pire " C'est déjà pas si mal, de quoi se plaignent-ils ? " Venant de la part d'opposants ou de gens qui n'ont pas réfléchi à la question, ça ne m'étonnera pas. Mais on l'entendra également dans nos rangs, de la part de gens sensés défendre nos droits, notre langue et son avenir… Peut-être serait-il temps que ces gens-là se posent la question de savoir ce que nous voulons : que le breton subsiste symboliquement dans le paysage (et à ce moment là, comme dans le cas qui nous intéresse, une prise en compte folklorique, à minima, suffit) ? Ou alors que le breton reste une langue vivante, et pour cela utilisée dans tous les aspects du quotidien, privés et publics ? Dans ce cas là, il faudra bien que ceux qui le souhaitent puissent lire, écrire et parler breton le plus naturellement possible, sans que cela n'exige un effort militant démesuré… Force est de constater que le tramway brestois ne répond pas à ces exigences élémentaires de fonctionnalité. " Mais on a pris en compte la langue bretonne… comme promis ! Alors n'allez pas nous emmerder avec votre breton ! "

br>Dewi Siberil


Vos commentaires :
Lundi 6 mai 2024
@ Anna :

Sauf que l'aire géographique où se développe une langue n'est pas figée... A Brest vivent de nombreuses personnes originaires du Léon et même de toute la Bretagne. De nombreuses personnes y parlent breton, que ce soit leur langue maternelle où qu'il l'aient appris autrement... Et si l'on suivait votre raisonnement, il faudrait immédiatement supprimer le français de la vie publique de toute la basse Bretagne ou presque, car il n'y a avait quasiment personne à le parler il y a seulement quelques décénnies. Brezhoneg e pep lec'h e Breizh 'ta !

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