Le fait du prince : Erdogan au-dessus des lois

Communiqué de presse publié le 21/06/12 23:38 dans Politique par André Métayer pour André Métayer
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Ainsi parla le Premier ministre Recept Tayyip Erdogan, le 2 octobre 2011 :

« Les avocats d'Imrali qui se relaient auprès d'Öcalan [Président du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan)] dépendent d'une officine appelée le » Cabinet de l'Affaire du Siècle « [cabinet d'avocats Asrin]. Il n'y a pas un, mais des avocats qui se rendent à Imrali et qui s'arrangent pour assurer, d'une manière ou d'une autre, la liaison entre Qandil [Zone montagneuse en Irak où se trouvent les bases arrières du PKK] et Imrali [l'Île-prison sur laquelle est détenu Abdullah Öcalan depuis février 1999]. En interdisant les visites, on a coupé le contact ».

L'argumentation ne résiste pas à l'analyse. Depuis 1999, les visites ont toujours été sévèrement contrôlées et les avocats se rendant sur l'Île d'Imrali, soumis à des fouilles au corps, ont interdiction de prendre des notes ; de plus, une mesure «préventive» permet de récuser tout avocat à qui on pourrait éventuellement reprocher des faits de même nature, et la loi du 1er juin 2005 autorise la direction de la prison d'Imrali à enregistrer l'ensemble des entretiens qui se déroulent toujours en présence d'un surveillant. Tout ceci est d'ailleurs en totale contradiction avec l'article 59 de la loi de procédure 5271 sur le droit au secret ou encore avec l'article 36 sur la fonction d'avocat.

Mais le Premier ministre n'en a cure et, assumant pleinement sa décision politique autoritaire de priver Abdullah Öcalan de tout contact avec l'extérieur, et ce depuis 11 mois, il ne relâche pas la pression. Fort de la complaisance internationale, il pousse son avantage en s'en prenant directement au cabinet d'avocat Asrin chargé de la défense du président du PKK. C'est évidemment un avertissement donné à tous les avocats qui assurent la défense de détenus politiques.

Des procédures stéréotypées et dénuées de fondements juridiques

Le 22 novembre 2011 au matin, sur ordre du Procureur de la République d'Istanbul «à compétences spéciales», une cinquantaine d'avocats et d'avocates du cabinet Asrin a été interpellée dans 16 villes différentes. Domiciles et cabinets furent perquisitionnés non seulement en l'absence des intéressés, déjà placés en garde à vue, mais aussi en l'absence du bâtonnier, alors même que la loi turque le stipule expressément. A l'issue de la garde à vue, 10 d'entre eux furent remis en liberté sous contrôle judiciaire tandis que 36 prenaient la direction de la prison où ils sont toujours incarcérés. La défense a dû attendre 5 mois pour connaître les faits qui leur sont reprochés, le 18 avril 2012 précisément, lorsque le parquet rendit public l'acte d'accusation comportant 891 pages (sans compter les 220 tomes de dossiers annexes).

Le parquet place cette affaire dans le cadre des affaires dites «KCK», ce mode d'organisation qui dérange tant le gouvernement et dont les activités, qui se faisaient jusqu'à lors au grand jour, ont été, du jour au lendemain, déclaré illégales (voir le site) L'argumentation développée est, comme dans toutes les procédures KCK, stéréotypée et dénuée de tout fondement juridique.

S'agissant des avocats, rappelons que l'article 58 de la loi 1136 sur la fonction d'avocat précise qu'en cas de délits supposés commis par des avocats dans le cadre de leurs fonctions, une autorisation du ministère de la Justice est nécessaire avant d'engager une quelconque action. Or la décision est venue directement d'une injonction du Premier ministre adressée au Procureur de la République. Les dossiers saisis, les questions posées aux avocats durant leur garde à vue heurtent de plein fouet le secret professionnel : on les a interrogés, par exemple, sur les recours devant la CEDH (Cour Européenne des Droits de l'Homme) engagés dans le cadre de la défense d'Abdullah Öcalan, ou sur leurs interventions auprès du C.P.T. (Comité européen pour la Prévention de la Torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants).

Réquisitoire et conditions de détention

Depuis 2009, des hommes et des femmes politiques, des élus, des journalistes, des intellectuels, des juristes, se sont vus accuser d'être «membre ou dirigeant du KCK», indiquant par là-même la volonté du parquet, en ratissant large, de placer dans ce spectre un maximum d'hommes et de femmes d'opposition qu'ont rejoints les avocats du cabinet Asrin à qui on reproche, en autres, d'avoir pris part, au sein de l'organisation KCK, créée le 17 mai 2005, à un comité appelé «le Comité de la Présidence», comité de soutien au Président Öcalan. Les conférences de presse, déclarations ou autres interventions publiques auxquelles participèrent les avocats ont été retenues à charge dans le réquisitoire.

Les conditions de détention sont particulièrement sévères : les avocates sont détenues à la prison de type F de Bakirkoy à Istanbul, dans des conditions d'hygiène déplorables et leurs confrères, détenus des prisons identiques à Izmit sont soumis régulièrement à des traitements humiliants : ils peuvent être fouillés à corps jusqu'à 19 fois avant de regagner leur cellule. Le droit de visite des familles est réduit (35 minutes au lieu d'une heure réglementaire) ainsi que le temps accordé pour les entretiens avec leurs avocats ; livres et courriers ne sont remis que très tardivement à leurs destinataires. D'une façon générale les conditions de détention se dégradent de jour en jour, vu le taux de surpopulation jamais atteint jusqu'à lors ; des mutineries éclatent ; la répression s'accentue ; on déplore des morts. Le CPT (Comité européen pour la Prévention de la Torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants) dépêche une délégation qui doit se rendre cette semaine en Turquie.


André Métayer

Liste des avocats détenus classés par barreaux

Barreau d'IGDIR : Şaziye ÖNDER

Barreau d'ARDAHAN : Yaşar KAYA

Barreau de BATMAN : Muhdi ÖZTÜZÜN

Barreau de BURSA : Mehmet Deniz BÜYÜK

Barreau de DIYARBAKIR : Faik Özgür EROL, Muharrem ŞAHİN, Osman ÇELİK Serkan AKBAŞ Fuat ÇOŞACAK, Mehmet AYATA, Mehmet Nuri DENİZ

Barreau de DENIZLI : Aydın ORUÇ

Barreau de HAKKARI : Davut UZUNKÖPRÜ

Barreau d'ISTANBUL : İbrahim BİLMEZ, Mustafa ERASLAN, Emran EMEKÇİ, Cengiz ÇİÇEK, Asya ÜLKER, Doğan ERBAŞ, Hatice KORKUT, Hüseyin ÇALIŞÇI, Ömer GÜNEŞ, Mehmet Sani KIZILKAYA.

Barreau d'IZMIR : Mehmet BAYRAKTAR, Servet DEMİR, Mizgin IRGAT.

Barreau de KARS : Mahmut ALINAK

Barreau de MERSIN : Bedri KURAN

Barreau de MUS : Mensur IŞIK

Barreau de SIRNAK : Veysel VESEK, Hakzan SADAK

Barreau de SIIRT : Şakir DEMİR, Mehmet Sabır TAŞ

Barreau d'URFA : Cemo TÜYSÜZ

Barreau de VAN : Sabahattin KAYA, Cemal DEMİR


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